«J’aime toutes les couleurs, à condition que ce soit du rouge», disait Ronald Reagan. Si l’on peut supposer que le 40e président des Etats-Unis souhaitait par cette boutade réaffirmer son appartenance au clan républicain, en politique, le choix des couleurs n’est jamais innocent. Lorsqu’il s’agit de l’habillement des femmes, le sujet fait couler beaucoup d’encre. Sophie Lemahieu, historienne de la mode, en a d’ailleurs fait un livre paru en février dernier. S’habiller en politique. Les vêtements des femmes au pouvoir 1936-2022 démarre son odyssée du style féminin en politique en 1936, année où trois femmes accèdent à des postes de sous-secrétaires d’Etat en France: Suzanne Lecorre à la Protection de l’enfance, Cécile Brunschvicg à l’Education nationale et Irène Joliot-Curie, Prix Nobel de chimie 1935, à la Recherche scientifique.
Récemment, un certain nombre d’articles ont été consacrés… à la veste rouge portée par Valérie Pécresse le soir de sa victoire à la primaire de la droite, le 4 décembre dernier. Il est souvent dit de cette couleur vive qu’elle représente la force, le pouvoir ou un certain esprit de conquête. Est-ce donc si simple? Pas si vite. Selon Bruno Moreno, consultant en relations publiques et spécialiste en communication politique au sein de Voxia Communication, de telles analyses forcent le trait et flirtent avec la surinterprétation lorsqu’elles ne prennent pas en compte le contexte dans lequel est porté le vêtement en question: «En politique, l’habit n’est pas innocent, il est toujours réfléchi. On se trouve aujourd’hui dans une société de l’image. Surstimulés et submergés d’informations que l’on peine à traiter, on se base sur des perceptions. C’est ce que l’on appelle des raccourcis cognitifs. Ainsi, on peut associer des intentions et des compétences à une personne selon l’image qu’elle renvoie.»
La couleur rouge en particulier revêt une signification différente selon la situation géographique. Si, au niveau européen, elle est généralement associée à l’idéologie de gauche depuis les mouvements révolutionnaires du milieu du XIXe siècle, au Parti socialiste ou aux groupes d’extrême gauche, en Amérique latine, elle est en revanche plutôt l’apanage des partis libéraux, voire nationalistes. Aux Etats-Unis, le rouge est la couleur des républicains, parti de droite et conservateur. Mais alors, est-il impossible de mettre en avant certaines généralités en rapport avec le choix pour une femme politique d’arborer une pièce de couleur rouge? Selon Bruno Moreno, il existe tout de même certaines grandes catégories.
En premier lieu, on trouve la stratégie visant à attirer le regard et l’attention. Au sujet de Valérie Pécresse par exemple, le spécialiste en communication indique que sa veste rouge, portée le soir de sa victoire à la primaire, lui permet de se démarquer et de faire converger les regards vers elle. Détail intéressant, avant son investiture, la candidate LR ne portait pas de couleurs vives. «Il est courant d’observer ce genre de changement de comportement au fil de la campagne, et encore plus entre le premier et le second tour. A présent qu’elle est la candidate désignée par le parti Les Républicains, Valérie Pécresse ne s’adresse plus seulement à sa base, mais aussi à une plus large audience, d’où un changement de stratégie de communication.» On observe une démarche semblable chez Ursula von der Leyen: «Au sein d’une assemblée aussi vaste où se trouvent de nombreux photographes de presse, la présidente de la Commission européenne utilise cette technique issue du neuromarketing afin d’être facilement reconnaissable, tout en restant néanmoins dans les limites des normes et codes édictés par le jeu politique.»
Viennent ensuite les références à une certaine famille politique ou idéologie. «Angela Merkel, par exemple, avait fait du rouge l’une de ses couleurs de choix. Or c’est aussi la couleur de la CDU, le parti dont elle était issue.» Un choix de porter les couleurs de leur parti qu’ont également fait Christiane Taubira ou, plus proche de chez nous, les deux candidates aux élections vaudoises Nuria Gorrite et Rebecca Ruiz. De manière semblable, Isabelle Moret, alors présidente du Conseil national, avait arboré un tailleur rouge lors de l’ouverture de la session extraordinaire à Bernexpo en 2020. De l’aveu de la principale intéressée, ce choix s’expliquait entre autres par une volonté de faire siennes les couleurs de la Suisse.
Bruno Moreno met néanmoins en garde contre les lieux communs. «L’habit en politique est un outil au service de l’image et de la communication de l’individu, et ce, peu importe le genre. Cependant, dans un domaine qui a longtemps été l’affaire des hommes, certains réflexes persistent. Parmi lesquels une tendance à réduire l’image des femmes politiques à des préoccupations purement esthétiques ou à les juger sur des critères masculins.»