C’est la chronique d’un séisme annoncé au Royaume-(dés)Uni. Magnitude 8. Au moins. «Spare», la biographie du prince Harry, qu’il dit avoir écrite «non comme le prince» qu’il est depuis la naissance, mais «comme l’homme» qu’il est devenu, va mettre le souk à Buckingham et s’arracher comme des donuts. Libéré de ses obligations, exilé aux Etats-Unis, le fils cadet du nouveau roi d’Angleterre sonne la fin du recueillement après la mort d’Elisabeth II. Sur plus de 400 pages, il balance, se livrant sans tabou. Les Américains vont adorer.
La méthode rappelle celle de sa défunte mère, Diana, qui avait choisi de laver son linge sale en public, lassée par le mutisme et l’indifférence de sa royale famille d’accueil. Tout est déjà dans le titre: «Spare», ce mot lourd de sens tiré de l’expression «the heir and the spare», autrement dit «l’héritier et le suppléant», qualifiant les princes William et Harry, dans l’ordre. Formule gratuite? Pas vraiment, si l’on en croit les mots que Charles aurait glissés à Diana après la naissance de Harry: «Tu m’as donné un héritier et un remplaçant, mon travail est fait.» Délicat, non?
On imagine l’amertume de «l’héritier de rechange». Dans Spare, tel un tailleur londonien, il remonte les bretelles de toute la Firme. Pour ce brûlot (en gestation depuis 2000), qui ferait presque passer l’incendie du château de Windsor pour un feu de camp, le duc de Sussex a recruté l’auteur new-yorkais J. R. Moehringer, 58 ans, une référence passée par le «New York Times», lauréat d’un Pulitzer en 2000, devenu le «ghostwriter» inspiré d’Andre Agassi («Open») et du fondateur de Nike, Phil Knight («Shoe Dog»). Salaire: 1 million de dollars.
Sous sa plume, c’est un Windsor qui raconte. Pas une source anonyme. Ça change. Spare marque un tournant. Cela valait bien 20 millions de dollars d’avance… La version espagnole, accessible cinq jours avant la mise en rayon de l’édition originale, a traversé la Manche et embrasé la planète. «L’illustré» vous résume le propos en dix chapitres.
>> Lire aussi: Prince Harry, la vengeance d’un enfant meurtri
1. La vérité sur le nazi
«L’une des plus grosses erreurs de ma vie», a dit Harry sur Netflix. Son apparition en nazi lors d’une soirée costumée en 2005. Une photo volée, placardée à la une d’un tabloïd, déclenche un immense scandale. Comment le petit-fils de la reine d’Angleterre a-t-il pu? La réprobation est unanime. Harry écope. Aujourd’hui, il révèle avoir été encouragé à enfiler ce déguisement par son frère William (!) et Kate Middleton, qui n’était encore que sa copine.
Cette soirée, privée, avait pour thème «le costume le plus idiot». Harry se voit encore, ce jour-là, furetant dans une boutique spécialisée. «J’arpentais rangées et casiers sans rien trouver à mon goût. J’ai fini par prendre deux tenues: un uniforme de pilote britannique et un uniforme nazi couleur sable avec brassard à croix gammée et casquette plate, écrit-il. J’ai téléphoné à Willy et Kate pour avoir leur avis. «L’uniforme nazi», m’ont-ils dit. […] Ils hurlaient de rire tous les deux. […] J’avais l’air vraiment ridicule… C’était le but!»
Dans son livre «Battle of Brothers», publié en 2020, l’historien royal Robert Lacey révélait déjà les dessous de cet épisode, curieusement passés sous silence. L’approbation tue de William a, selon Lacey, profondément blessé Harry, qui a compris le rôle de paravent qu’on lui réservait.
2. Un prince sous influence
Cannabis, cocaïne, champignons hallucinogènes: oui, Harry a consommé des stupéfiants, «à la fois pour le plaisir et à des fins thérapeutiques». Il a fumé des joints au collège d’Eton tandis que la police de la vallée de la Tamise, censée le protéger, patrouillait à l’extérieur. Il l’a refait dans le jardin du palais de Kensington, chez lui. Certaines drogues, écrit-il, l’ont aidé à «s’échapper» et à «redéfinir» la réalité. Tel Jim Morrison, le chanteur des Doors, le prince affirme avoir perçu divers niveaux de conscience. On imagine la tête de son père, qui l’avait expédié en désintox en 2002, après avoir appris qu’il avait fumé de l’herbe et bu de l’alcool…
>> Lire aussi: Le prince Harry dit adieu à sa dignité (éditorial)
La cocaïne? «La première fois, c’était lors d’un week-end de chasse. On m’a proposé une ligne. J’en ai repris quelques-unes depuis lors.» Il raconte: «Ce n’était pas très amusant et cela ne m’a pas rendu particulièrement heureux […], mais je me suis senti différent. C’était l’objectif. J’avais 17 ans et j’étais prêt à essayer tout ce qui altérait l’ordre établi.»
Harry raconte aussi avoir pris des champignons hallucinogènes lors d’une soirée arrosée chez Courteney Cox, la star de «Friends» – pour laquelle il avait le béguin –, à Los Angeles, en janvier 2016. Alors âgé de 31 ans, le duc de Sussex dit avoir «eu des visions délirantes dans une salle de bains», avant de se retrouver «hilare» à «implorer la lune pour que quelque chose change dans [sa] vie».
3. Dépucelage à l’air libre
Ce n’est pas tous les jours qu’un Windsor raconte sa première fois. Dans «Spare», le prince Harry explique avoir perdu sa virginité «dans un champ situé derrière un pub bondé de monde, à Eton», où il étudiait, en 2001. Il venait d’avoir 17 ans. Celle qui se chargea de le «déniaiser», comme chante Brel, était une «femme plus âgée» qui «aimait beaucoup les chevaux» et le traita «comme un jeune étalon». Il écrit: «Je l’ai montée rapidement, après quoi elle m’a fessé et renvoyé d’où j’étais venu…» Un «épisode humiliant», confie-t-il.
Harry était persuadé que quelqu’un avait été témoin de sa séance de jambes en l’air. Fin 2001, alors qu’il se rend à un dîner, l’un de ses gardes du corps, prénommé Marko, lui dit: «Ils m’ont demandé de découvrir la vérité, Harry.» La presse, croit-il, a été informée de ses ébats. A tort. La presse a découvert qu’il fume du cannabis.
L’an dernier, soupçonnée d’être celle qui l’avait chevauché en plein air, l’actrice Liz Hurley a nié catégoriquement: «Ce n’est pas moi. Je ne suis pas coupable.»
4. Le réveil et le chagrin
Aujourd’hui âgé de 38 ans, le prince Harry allait sur ses 13 ans lorsque Diana, sa mère, est morte à Paris le 31 août 1997, à 37 ans. Dans ses Mémoires, il raconte que cette nuit-là, son père l’a réveillé. «Il s’est assis sur le bord du lit et a mis sa main sur mon genou.» Charles lui a parlé d’un accident de voiture, d’une blessure à la tête, de l’hôpital. «Papa ne m’a pas pris dans ses bras, écrit-il. […] Il n’était pas doué pour montrer ses émotions au quotidien, comment aurait-il pu le faire dans une telle crise? […] Sa main est tombée une fois encore sur mon genou et il a dit: «Ça va aller.» C’était beaucoup pour lui. Paternel, plein d’espoir, gentil. Et en même temps tellement faux.»
Dix ans plus tard, Harry est à Paris pour la Coupe du monde de rugby. Il demande à son chauffeur de refaire le dernier itinéraire de sa mère, au départ du Ritz. «A l’entrée du tunnel de l’Alma, nous avons roulé sur la bosse qui aurait fait dévier la Mercedes de Maman», écrit-il. Vitesse identique: 105 km/h. Il poursuit: «J’ai dit: «C’est tout? Ce n’est rien. Juste un tunnel, droit.» J’avais toujours imaginé ce tunnel comme un passage perfide, intrinsèquement dangereux. […] Il n’y avait aucune raison pour que quelqu’un meure à l’intérieur.» Loin de le soulager comme il l’escomptait, cette expérience va raviver son chagrin.
>> Lire aussi: Elisabeth II, un sourire gravé pour l’éternité
5. Un signe de l’au-delà
C’est un passage troublant du livre. La rencontre entre Harry et «une femme qui se disait dotée de pouvoirs» écrit-il, sans évoquer ni lieu, ni nom. Il ne la présente pas comme une voyante, déclarant seulement qu’elle lui a été «recommandée par des amis de confiance». Il va la voir. Un contact avec «Maman» serait-il possible? Dubitatif, Harry dit avoir perçu «une énergie tout autour» de la dame. Elle lui souffle: «Votre mère est avec vous en ce moment.» A cet instant, écrit-il, «mon cou s’est réchauffé et mes yeux se sont mouillés». La femme ajoute: «Votre mère dit que vous vivez la vie qu’elle n’a pu vivre elle-même, la vie qu’elle souhaitait pour vous.» Elle le déstabilise plus encore en lui confiant: «Votre mère a dit quelque chose… au sujet d’une décoration de Noël? Une mère? Une grand-mère? C’est tombé?» Harry se souvient que son fils Archie a brisé par mégarde une boule de Noël à l’effigie de la reine. Il est médusé. La femme conclut: «Cela a bien fait rire votre mère.»
6. Camilla, cette intrigante
S’il est une figure qui prend cher dans Spare, c’est Camilla, la reine consort. Harry affirme qu’elle l’a «sacrifié» pour flatter sa propre image publique, de temps en temps en informant les médias de conversations privées. «L’autre femme», comme il la nomme, «a joué un rôle» dans la mort de Diana. Elle a été un «pivot» dans la désintégration du mariage de ses parents. Harry et William auraient pu lui pardonner. «Tout ce que nous avons demandé en retour, c’est qu’il ne l’épouse pas», écrit Harry. Charles n’a pas écouté. Redoutable stratège, Camilla a obtenu le mariage… et la couronne suivra. «Je me souviens de m’être demandé si elle serait cruelle avec moi, à l’image des belles-mères diaboliques des récits», avoue-t-il. A leur première rencontre, Harry dit avoir éprouvé ce qu’on ressent «juste avant une injection». Il raconte aussi avoir peu apprécié qu’après son départ de Clarence House, à 28 ans, sa chambre d’enfant ait aussitôt été convertie en dressing pour Madame.
En avril 2021, en marge des funérailles du prince Philip, Harry et William sont fâchés, sur le point de s’empoigner. Charles s’interpose, écrit Harry, et les implore: «S’il vous plaît, les garçons, ne faites pas de mes dernières années un supplice.»
7. La mort dans le viseur
Jamais un prince britannique n’avait avoué avoir tué au combat au XXe siècle. Jusqu’à Harry. Dans ses Mémoires, il révèle avoir abattu 25 combattants talibans en tant que pilote d’hélicoptère en Afghanistan, en 2012. «Dans des conditions de combat, les tirs aveugles sont nombreux, mais à l’ère des Apache («des hélicoptères, ndlr») et des ordinateurs portables, tout ce que j’ai fait au cours de mes missions était enregistré, horodaté, écrit Harry. Je sais précisément combien d’ennemis j’ai tués.»
>> Lire aussi: En Afghanistan, l’ultime défaite de l'interventionnisme
«Ce chiffre ne m’emplit pas de fierté, mais il ne m’embarrasse pas non plus», avoue-t-il. Ses camarades étaient en danger. Le devoir d’abord. «C’était comme retirer les pièces d’un échiquier, éliminer les méchants avant qu’ils ne tuent les bons», écrit-il. Une comparaison qui révolte à Kaboul. Cité par «The Telegraph», Khalid Zadran, porte-parole de la police, a estimé que le prince Harry devrait être traîné devant un tribunal international. La question de sa sécurité pourrait se compliquer.
8. Belles-sœurs sous tension
Entre Kate, actuelle princesse de Galles, et Meghan, comme entre leurs époux, le torchon brûle. Harry révèle pourtant qu’avant même de rencontrer sa chérie, Kate et William étaient fans de la série «Suits», qui l’a révélée. L’entente sera du reste parfaite au début. On les surnomme les Fab Four, comme les Beatles. Selon le prince Harry, un mot maladroit de son épouse, lors d’un échange téléphonique à deux mois de leur mariage, célébré le 19 mai 2018, a tout déréglé. Organisatrice zélée, Kate s’en veut d’avoir oublié un détail. Insignifiant, insiste Harry. En plaisantant, Meghan justifie l’oubli en invoquant les hormones et son «cerveau de bébé» – expression populaire commune –, mais Kate, qui accouchera du prince Louis le 23 avril, se vexe. Elle se dit insultée. Meghan est perplexe, explique Harry, mais le litige persiste. Juin 2018, le quatuor se réunit autour d’un thé à Kensington. Harry écrit que Kate, «offensée, serrait si fort l’accoudoir de sa chaise que ses doigts étaient tout blancs». Elle apostrophe Meghan: «Nous ne sommes pas assez proches pour que vous parliez de mes hormones.» Selon Harry, Meghan, qui s’est déjà excusée, joue l’apaisement: «Désolée, mais moi, c’est comme ça que je parle avec mes copines.» Harry écrit: «Willy a alors pointé Meg du doigt en lui disant: «C’est impoli, Meghan, et cela ne se fait pas ici, en Grande-Bretagne.» La réplique fuse: «Si ça ne te fait rien, éloigne ton doigt de mon visage.» Depuis, plusieurs moments de tension ont entamé le respect mutuel que tous se vouaient à l’origine.
9. L’empoignade fraternelle
Dans «Spare», Harry témoigne d’une violente dispute avec son frère en 2019. Le motif? Les mots blessants dont William avait affublé Meghan, décrite comme «difficile, impolie et agressive». William, écrit son frère, veut aussi mettre «la catastrophe permanente» de leur relation fraternelle à l’ordre du jour. Il déboule à Nottingham Cottage, dans l’enceinte du palais de Kensington, où Harry réside. «Très échaudé», précise ce dernier. Les insultes fusent. Harry se dit incompris par son frère, qui prétend tout faire pour l’aider. «Non, mais tu es sérieux? lui rétorque Harry. Tu appelles ça m’aider, toi?»
William sort de ses gonds. Harry se retranche dans la cuisine. Son frère le suit. «Willy, je ne peux pas te parler quand tu es comme ça», lui dit-il. Tout s’envenime. «Il s’est précipité sur moi, écrit Harry. Tout est allé très vite. Il m’a attrapé par le col, brisant mon collier, et m’a jeté au sol. J’ai atterri sur la gamelle du chien, qui s’est brisée. Les éclats m’ont lacéré le dos. Je suis resté là un moment, hébété, […] et l’ai prié de partir.» William attend une riposte. En vain. «Plus tard, Willy est revenu pour s’excuser, confie Harry. Il m’a dit: «Tu n’es pas obligé d’en parler à Meg.» Harry affirme alors avoir d’abord appelé son psy.
10. Meghan de trop à Balmoral
Septembre 2022. La reine Elisabeth II, 96 ans, se meurt. Ses enfants l’ont rejointe en Ecosse. La fin est proche. Charles appelle son fils cadet. «Il m’a dit que j’étais le bienvenu à Balmoral, mais qu’il ne voulait pas… d’elle», révèle dans «Spare» le prince Harry, qui l’interrompt: «Ne parlez plus jamais de ma femme de cette façon.» Son père s’excuse.
Les Sussex sont à Londres. Harry fait affréter un avion privé et décolle de Luton. Arrivé en Ecosse, il reçoit un message urgent de Meghan. Buckingham vient d’annoncer le décès de la reine. «J’ai mis ma cravate noire, je suis descendu de l’avion dans un épais brouillard et j’ai rejoint Balmoral en voiture», raconte Harry. Sa tante Anne l’acueille. «Elle m’a demandé si je voulais voir Mamie. J’ai dit oui.» Le voilà devant le corps de sa grand-mère. «C’était difficile, mais je songeais aux regrets que j’avais éprouvés de ne pas avoir vu ma mère à la fin», écrit-il. A la défunte Elisabeth II, il murmure espérer «qu’elle sera heureuse auprès de grand-père», le prince Philip, mort en avril 2021 à 99 ans.
La publication des Mémoires du prince Harry de Sussex risque d’exacerber les tensions déjà vives au sein du clan Windsor, divisé. Le 6 mai prochain, le couronnement du roi Charles III et de Camilla, reine consort, devrait réunir tout ce joli monde. Harry y assistera-t-il? Sans l’exclure, il confie: «La balle est dans leur camp, désormais.»
>> Lire aussi: Harry et Meghan: une série à millions… de bâillements!