«Fais voir un sourire, s’il te plaît», implore la doctoresse Hannelore Luy, présente dans le véhicule conduit par Christian Constantin en cette dramatique fin de soirée du samedi 28 octobre dernier. Cloué depuis dans un lit de l’hôpital de Sion, Léonard Gianadda s’exécute dans une mimique digne du meilleur humoriste. A 88 ans et malgré le terrible coup du sort qui l’a laissé avec une fracture ouverte de la malléole et du péroné de la jambe droite, le mécène octodurien n’a rien perdu de son humour et de sa répartie.
Pour rappel, c’est à l’issue du spectacle du cirque Knie auquel venait d’assister le trio que s’est produit l’improbable accident de la place des Potences, à Sion. Alors qu’il le croyait bien installé à l’arrière de sa Lamborghini Urus, le président du FC Sion avait démarré sans voir que la jambe de son ami se trouvait encore à l’extérieur de son lourd véhicule, qui a ainsi roulé sur cette dernière avec sa roue arrière, projetant violemment l’octogénaire au sol.
Un épisode qui tourne en boucle dans la tête de CC depuis. «Le cri de douleur de Léonard résonne encore. J’étais tétanisé. Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre ce qui était arrivé. C’est après avoir dégagé sa jambe que j’ai vraiment pris conscience du drame. Du sang coulait de sa cheville, beaucoup de peau avait été arrachée. Heureusement, les secours sont arrivés très vite et nous ont un peu rassurés, estimant à première vue que l’ossature n’avait été que partiellement touchée. Mais pourquoi ne l’ai-je pas obligé à monter à côté de moi, comme à l’aller?» s’en veut le promoteur, avant de répondre lui-même à sa lancinante question. «Léonard avait décidé de s’asseoir à l’arrière au retour pour éviter la gêne de la ceinture de sécurité. Mais je n’aurais pas dû l’écouter», se désole-t-il, rongé par la culpabilité.
«Je n’en veux pas à Christian. Je suis très malheureux pour lui»
«Il y a eu ce cri et puis plus rien. Il ne bougeait plus. Ne parlait plus. J’ai réellement cru qu’il était mort», témoigne Hannelore Luy, le médecin traitant habituel du mécène, toujours sous le choc malgré les relatives bonnes nouvelles. «Même si l’opération s’est très bien déroulée, je ressens une forte culpabilité. On a beau se dire que c’est la fatalité, que c’est la faute à personne, on aimerait pouvoir refaire l’histoire», regrette-t-elle, avant de confier, inquiète: «Le problème, c’est que M. Gianadda peine à s’alimenter, ce qui ralentit sa convalescence et son rétablissement.» Ces derniers jours, le commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres a toutefois troqué son lit contre une chaise roulante, l’espace de quelques heures. Notamment pour assister à l’hommage que lui a rendu la ville de Sion, lundi soir. Un signe encourageant, se réjouit la doctoresse Luy.
«Je me bats au mieux pour me relever», assure faiblement Léonard Gianadda, encouragé et très touché par les centaines de messages bienveillants qui lui ont été adressés à la suite de nos révélations, la semaine dernière. «Les gens sont incroyablement gentils. Ici à l’hôpital et à l’extérieur. Si j’étais mort, je n’aurais pas pu profiter de toute cette affection et de cette fraternité», confie-t-il dans un sourire entendu, avant de consoler son ami de Martigny. «Je n’en veux pas à Christian, bien sûr. Ce fut un malheureux concours de circonstances. Je suis très malheureux pour lui, d’ailleurs. Si l’affaire tourne du bon côté, j’espère qu’on pourra en rigoler.»
Tous les deux jours, CC passe une bonne heure en compagnie de son ami, se remémorant l’amitié de 80 ans qui le liait à son père, Martial, décédé en avril dernier à l’âge de 91 ans. «Léonard est l’un des derniers à lui avoir dit adieu», confie CC, des trémolos dans la voix, en regardant la photo du duo accrochée dans son bureau. «On peut toujours se dire qu’il y a pire. Que l’épisode aurait pu s’avérer fatal ou alors que j’aurais pu mortellement faucher un enfant. On peut se dire tout ce qu’on veut, mais cela ne diminue en rien la responsabilité de lui avoir rajouté ce truc», se reproche-t-il.
Cancer des os
«Rajouté ce truc», dit le président du FC Sion, fidèle à ses formules. Comprenez par là: un souci supplémentaire à une santé déjà fragile. Car il est désormais de notoriété publique que le créateur de la fondation qui porte son nom lutte depuis plusieurs mois contre un autre mal, bien plus pernicieux et dangereux encore: un cancer des os. «Il a déjà subi plusieurs séances de chimiothérapie. Les choses évoluent plutôt bien», indique Hannelore Luy. «Ce n’est pas tous les jours facile. Physiquement et plus encore moralement», enchaîne son patient, avant de délivrer un message optimiste. «Je suis très bien entouré et je fais tout ce que je peux pour aller de l’avant», assène-t-il, déterminé face à l’adversité et jamais en retard d’une boutade malgré les circonstances.
En effet, à l’affirmation de son médecin lui assurant qu’il finit toujours par retomber sur ses pattes, il rétorque du tac au tac: «Oui, mais cette fois, les pattes sont mal en point.» Séquence rigolade, qui met un peu de baume au cœur de tous les protagonistes de cette tragique histoire. «A chaque fois que je le vois, on rigole un peu, sourit CC. Ce Léonard est incroyable. Je le connais depuis toujours mais il m’épate et je le découvre encore à chacune de nos rencontres. Comme mon père, il fait partie de cette génération en voie de disparition pour qui rien n’est impossible. Quand on leur demande de déplacer la tour Eiffel, ils répondent: «On la met où?» Un état d’esprit et une volonté qui nourrissent leurs combats», analyse CC. Soutenu par son ami, cadet de vingt-deux ans, Léonard Gianadda est bien décidé à remporter celui que la fatalité a mis sur son chemin en ce noir samedi d’octobre...
L’hommage de la ville de Sion
A l’occasion d’une émouvante cérémonie qui s’est déroulée à l’aula de l’hôpital, la ville de Sion a honoré le mécène de Martigny pour son soutien à ses événements culturels et à ses actions sociales.
Effervescence à l’Hôpital du Valais en cette fin de journée de lundi. Initialement prévu à l’église des Jésuites, sur les hauts de la ville, l’hommage que tenait à rendre la capitale valaisanne à Léonard Gianadda pour ses diverses actions et dons en faveur de la cité, programmé depuis près de deux mois, s’est finalement déroulé à l’aula de l’établissement médical, circonstances obligent.
En présence d’une centaine de personnes, Conseil municipal et Service de la culture en tête, les autorités de la ville, emmenées par leur président, Philippe Varone, ont témoigné leur reconnaissance et ont remercié l’homme d’art octodurien, assis dans une chaise roulante, pour son attachement à la ville et pour ses nombreux gestes de soutien en faveur de ses institutions culturelles et sociales depuis près d’un demi-siècle.
Des mots empreints d’émotion et de gratitude qui ont ému aux larmes le galeriste, entouré de ses proches collaborateurs et amis. Ces quinze dernières années, Léonard Gianadda a notamment soutenu les rendez-vous de musique classique à hauteur d’environ 600 000 francs. «Je suis énormément touché par ce geste que je n’attendais pas», a-t-il commenté, les larmes aux yeux. Pour mémoire, il y a une dizaine d’années, la ville de Martigny s’était contentée de lui décerner son prix culturel annuel. Présent auprès de son malheureux ami, Christian Constantin a suggéré qu‘une tribune de l’hypothétique nouveau stade de Tourbillon, s’il devait exister un jour, soit baptisée du nom de Léonard Gianadda.