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Reportage

L'écrivain Daniel Sangsue explore le surnaturel au cœur de la Suisse romande

C’est un professeur d’université neuchâtelois incollable sur les fantômes, les morts-vivants ou les vampires. Certes, Daniel Sangsue les a traqués principalement dans les livres, mais il a aussi placé un fantôme dans son roman, qui hante le vieux presbytère qu’il habite une partie de l’année. L’occasion de lui rendre visite avec une médium. Histoire de voir si la réalité peut dépasser la fiction.

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Le professeur d’université neuchâtelois spécialiste des fantômes Daniel Sangsue et la medium Begoña Favre

Un vrai décor de film à frissons que ce presbytère du XVIIIe siècle, dans l’Aveyron (France). Daniel Sangsue et Begoña Favre partagent leurs connaissances des fantômes. Y en aura-t-il un au rendez-vous?

Julie de Tribolet

Le presbytère se découvre au détour d’un virage sur la petite route qui mène à Saint-Martin de Montbon. On aperçoit le clocher de l’église qui lui est accolé, le cimetière tout à côté, enchâssé dans un écrin de forêts vallonnées, un décor qui aurait pu inspirer l’auteure de «Harry Potter». Et c’est dans ce hameau isolé de l’Aveyron, au cœur d’un édifice du XVIIIe siècle dans lequel il habite trois mois par an, que Daniel Sangsue a imaginé le fantôme de son livre, l’esprit d’un abbé bruyant qui vient perturber le quotidien de ses nouveaux habitants en frappant contre un mur.

Pourquoi sommes-nous ici? En compagnie d’une médium? Tout simplement parce que cet homme de lettres de 69 ans est une véritable bible pour tout ce qui concerne fantômes et esprits; il a d’ailleurs enseigné la pneumatologie (de «pneuma»:  esprit, souffle). Pas une chaire fantôme à l’Université de Neuchâtel, mais une chaire de littérature française où apparaissaient des cours sur les fantômes. Un érudit, incollable sur la moindre apparition littéraire d’un ectoplasme – et il y en a beaucoup. «Je suis arrivé aux fantômes par les vampires», raconte-t-il, amusé encore à ce jour de voir son nom de famille imprimé sur la couverture d’un livre juste après le mot vampire.

Maisons hantées en Suisse romande


Les fantômes hantent toute la littérature du XIXe siècle. C’est le siècle du spiritisme, des tables tournantes, le Ouija de l’époque. Balzac réclamait qu’on enseignât les sciences occultes à l’université. «Il n’y a pas un auteur du XIXe qui n’ait écrit sur les fantômes», assure le prof à la retraite en nous accueillant devant sa demeure. A deux pas, le cimetière et ses tombes encore fleuries. L’église à l’abandon est fermée, avertit un écriteau. C’est Yvette, la voisine, qui en a la clé. Il nous tarde d’y pénétrer. Une pièce secrète, commune à l’église et au presbytère, existe bel et bien, comme dans le roman. C’est de là que l’esprit de l’abbé imaginé par notre auteur frappe contre le mur, en quête d’absolution.

Begoña Favre, enseignante en médiumnité à Genève, va-t-elle percevoir une présence inhabituelle? Certes, dans un premier temps, notre homme de lettres n’était pas très chaud à l’idée de sa venue. Il reste un chercheur qui n’a jamais eu besoin de faire la preuve que les fantômes existent ailleurs que dans les livres ou les colloques universitaires. Mais il a de l’humour et a aussi écrit qu’il ne fallait pas attendre passivement que les fantômes viennent à nous, mais les convoquer. Chiche.

Le professeur d’université neuchâtelois spécialiste des fantômes Daniel Sangsue fait visiter à la medium Begoña Favre une église romane désaffectée

Le professeur d’université a fait visiter à la médium l’église romane désaffectée où demeurent encore quelques objets de culte et des toiles d’araignée. C’est depuis cette église que le fantôme de son roman tente de se faire connaître aux habitants du presbytère.

Julie de Tribolet

Et les exemples de maisons hantées fleurissent dans ses deux journaux extimes (il préfère ce terme à «intimes»). Cette dame au Salon du livre de Genève qui lui confie qu’une entité habite dans son appartement. Cette famille de malentendants du canton de Fribourg victime d’un esprit frappeur dans la maison, que seul le fils qui n’est pas sourd entend. La maison dite La Polonaise, à Chez-le-Bart (NE), où les fantômes d’un soldat décédé ou d’une petite fille noyée se manifesteraient… Celle de La Bulette, hantée par une certaine Marie. En 2011, nous apprend-il encore, quand l’Unesco a dressé une liste d’objets à inscrire au patrimoine culturel immatériel, une des propositions d’Appenzell a été la Weisse Frau vom Belchentunnel. Une auto-stoppeuse fantôme censée hanter depuis 1980 ce tunnel qui relie Eptingen à Hägendorf. Daniel Sangsue lui-même s’est prêté à une expérience en 2018 pour «Temps présent» en accompagnant un médium à l’intérieur de la maison Pourtalès à Neuchâtel, supposément hantée par l’esprit de Joséphine de Beauharnais. Qui manifestement, ce jour-là, était aux fantômes absents.

 «J’ai eu la chair de poule»


Vous croyez aux fantômes, monsieur le professeur? Il sourit. Son mysticisme s’arrête à la magie du monde ordinaire. Ces synchronicités qui parsèment son existence, la magie des livres ou des articles qui arrivent comme par miracle sans avoir besoin de les chercher. «Je reste un scientifique qui suspend son jugement, même si j’admets qu’il y a en quelque sorte la preuve par l’abondance; trop de gens témoignent de ce genre de phénomènes pour que tous racontent des mensonges… Disons que je suis ouvert mais que je me suis protégé. Je n’avais pas envie de vivre des expériences déstabilisantes.»

Le professeur d’université neuchâtelois spécialiste des fantômes Daniel Sangsue

Le professeur à la retraite, qui continue d’écrire des livres, est incollable sur les vampires, les morts-vivants et les fantômes. Dans la littérature mais aussi au cinéma. Mais sa croyance, dit-il, s’arrête à la magie du monde ordinaire. Les synchronicités sont nombreuses dans sa vie, souvent sous forme de trouvailles extraordinaires en lien avec ses objets d’étude.

Julie de Tribolet

Pourtant, il en a vécu une en 2003. Ce jour-là, en se rendant au fitness, sa carte de membre affiche à l’entrée le prénom de son père décédé, Gilbert, au lieu du sien. A trois reprises. Jusqu’à ce qu’un employé introduise à son tour la carte dans la machine et que «Daniel Sangsue» s’affiche à l’écran. «Oui, j’ai eu la chair de poule sur le moment, mais je ne pourrai jamais avoir la preuve que je n’ai pas eu d’hallucination.»

Apparition, disparition, deux maîtres mots dans ses recherches académiques mais manifestement aussi dans sa vie. Daniel et son épouse, Rosana, nous désignent trois clés à la porte principale du presbytère. Les deux plus petites sont mystérieusement apparues un jour sans que personne puisse dire qui les a mises là, ni ce qu’elles ouvrent.

Le professeur d’université neuchâtelois spécialiste des fantômes Daniel Sangsue avec son épouse Rosana

Le couple Sangsue passe environ trois mois par an dans ce délicieux presbytère, où il aime vivre. Avec ou sans fantôme.

Julie de Tribolet

Le mystère demeure, il est donc grand temps de laisser notre médium passer le lieu au tamis de son extrasensorialité. Silencieuse depuis plusieurs instants, elle nous fait part d’une présence dans le salon du presbytère, «un homme de taille moyenne, cheveux courts, pas gros mais avec une petite bedaine et des bretelles qu’il tire régulièrement…» L’individu, dit la médium, semble montrer la terre, comme s’il avait un lien avec elle, il pourrait se nommer Fernand ou Ferdinand. «Il est là depuis que nous sommes arrivés ce matin, il nous observe.» Daniel Sangsue écoute sans émettre de réserve. Précise qu’un homme qui pourrait correspondre à ce profil a vécu dans ce lieu mais la voisine infirmera l’hypothèse, le prénom ne correspond pas.

Contact avec un défunt?


Nous pénétrons dans l’ancienne église romane laissée à l’abandon. Murs décrépits, bouquets de fleurs fanées, statues de saints et, dans la sacristie, des chasubles dans les armoires ainsi que différents objets de culte qui prennent la poussière et les toiles d’araignée. Avec une musique de circonstance, on pourrait faire naître quelques frissons. Daniel Sangsue nous montre une indulgence. Au Moyen Age, explique ce fin lettré, on voyait des fantômes, comme à toutes les époques, mais l’Eglise a récupéré la chose. «Si les morts exhortaient les vivants à prier pour eux, autant en faire une activité lucrative, avec ces indulgences qui permettaient de gagner des années sur le purgatoire. Tout un commerce qui a abouti à la Réforme!» On ne croit pas forcément aux revenants mais on en a peur. Notre professeur, qui a grandi dans le Jura, terre de rebouteux et faiseurs de secret, se souvient que sa voisine était considérée comme une «genatche», une sorcière, à qui le boucher du village refusait de donner de la viande pour son chien. De peur qu’elle s’adonne à quelque pratique occulte. «J’ai grandi dans la foi catholique, j’ai même été servant de messe, c’est un peu comme si mon besoin de foi perdurait mais s’était déplacé vers les objets surnaturels de mes recherches», confie-t-il. 

Notre médium a parcouru le lieu sans percevoir, dit-elle, la présence de fantômes particuliers. Tout au plus quelques mémoires, au seuil du cimetière, notamment celle d’un curé. «Accepteriez-vous l’idée d’une communication avec un esprit présent depuis un moment?» demande-t-elle soudainement à Daniel Sangsue. Il dit oui. Par politesse et certainement avec une pointe de curiosité. Après tout, Victor Hugo a bien interrogé toutes sortes d’esprits autour d’une table tournante à Jersey sans qu’on le traite d’hurluberlu. Loin d’imaginer que l’esprit qui veut entrer en contact avec lui est son père, le fameux Gilbert, celui de l’épisode du fitness de Neuchâtel. Qui évoquera une relation familiale qu’il souhaiterait que son fils améliore, ses regrets de n’avoir pas été plus présent pour lui, sa fierté vis-à-vis de cette carrière universitaire si loin de son univers de gendarme. La distance qui s’est installée au fil des ans. Et puis ces objets ou papiers du défunt gardés par Daniel décrits par la médium, le nombre exact de frères et sœurs… Même s’il n’est pas ressorti de cette séance convaincu que la communication avec un esprit est possible, le Neuchâtelois n’a pas caché son trouble, ni une certaine émotion. Notamment en se souvenant qu’il n’avait pas invité ses parents à sa leçon inaugurale.

Le professeur d’université neuchâtelois spécialiste des fantômes Daniel Sangsue et la medium Begoña Favre

Séance de médiumnité improvisée. Même s’il reste un scientifique avec les pieds sur terre, Daniel Sangsue a été interpellé par ce que lui a communiqué Begoña Favre.

Julie de Tribolet

Il y a une heure de départ pour les fantômes et les journalistes. Nous prenons congé avec le sentiment que les fantômes du presbytère ne sont pas toujours ceux que l’on attendait. Daniel Sangsue, lui, va continuer à traquer ceux des livres, plus coopératifs. On se quittera sur un clin d’œil, l’histoire de fantôme la plus courte du monde, citée dans un de ses ouvrages: «Hier, j’ai rencontré Jean et sa veuve!»

Par Patrick Baumann Publié il y a 50 minutes