S’immerger parmi les épicéas en hiver. L’idée paraît saugrenue à l’heure du cocooning au coin du feu.
Il suffit pourtant de quelques bouffées d’air glacé au milieu des bois du Risoux, dans le Jura, pour ressentir les bienfaits que procure une escapade en forêt. La respiration s’apaise. Chaque pas ancre le promeneur dans une quiétude revigorante. «Si vous retrouvez votre faculté d’émerveillement, vous allez assister au pétillement caché des arbres. Ecoutez-les parler», suggère Ernst Zürcher, ingénieur forestier et professeur à l’Université de Berne. A 65 ans, celui qui est aussi l’auteur de l’ouvrage Les arbres, entre visible et invisible, saupoudre la balade de savoirs scientifiques. Une forêt heureuse égale des hommes heureux, puisqu’elle régule le climat, le cycle de l’eau et purifie l’air.
Le chercheur est fasciné par l’organisation sociale des arbres. Solidaires, les anciens sont les pharmacies vivantes des nouveau-nés. Photo Julie de Tribolet
Pour assister à la magie de ce lent labeur, il faut éveiller ses sens. Observer la douce agitation. Comme les brindilles qui craquent sous le poids des cristaux de neige et grésillent en musique. Petit à petit, les sapins blancs commencent à dévoiler leurs secrets. De leur système de communication ingénieux à leur impact étonnant sur la santé. «La forêt regorge de bienfaits. Nous ne sommes qu’au début d’une longue étude sur ses mystères, mais nous pouvons d’ores et déjà affirmer qu’elle possède des vertus thérapeutiques, autant physiologiques que morales», ose le chercheur. Comme les soins en immersion.
Au Japon, des «bains de forêt» sous contrôle médical ont déjà séduit 5 millions de patients. Entre science et ésotérisme, le phénomène fascine. Les livres sur la question s’arrachent. D’où vient un tel engouement? Fait avéré, le contact avec la nature renforce le système immunitaire. L’air filtré à travers les aiguilles des pins est porteur d’ions négatifs, idéal pour réduire les tensions. Quant à l’inhalation des extraits de résine, elle aurait des effets antioxydants, voire anti-inflammatoires. Et ce n’est pas tout. L’odeur de certains bois, comme l’arolle que l’on trouve par exemple en Valais, diminuerait le rythme cardiaque, de quoi réduire le stress rapidement. Voilà pour les aspects tangibles. La félicité mentale, elle, conserve sa part de mystère.
En cette fin d’après-midi, le soleil tente une percée entre une famille de hêtres. Le vert fluo de la mousse qui s’accroche à leur tronc crée une fresque colorée en 3D. Un appel au toucher. «Pour être sûr de l’existence de quelque chose, l’homme a toujours eu recours à ce sens», commence Ernst Zürcher en joignant le geste à la parole. Le contact paume-écorce est vécu comme réconfortant. «Les personnes qui enlacent les arbres décrivent souvent cette sensation comme rassurante, raconte l’expert. Superstition ou non, les végétaux transmettent des pulsations électriques et ce, même en hiver. Il y a de vrais échanges électromagnétiques entre eux et nous.» Des ondes électromagnétiques que les spécialistes appellent aussi le pouls de la terre, soit 7-8 hertz par seconde, une fréquence atteinte par le cerveau humain quand il se retrouve en méditation profonde. Cela pourrait expliquer notre attirance instinctive pour les zones forestières puisqu’elles plongent l’homme loin de la frénésie du quotidien. Au rythme de la sève.
Wood Wide Web
Une temporalité ralentie que l’on retrouve dans le système de communication des arbres, paradoxalement très efficace. Comme un réseau internet souterrain, ils s’informent 24 heures sur 24 des changements météorologiques et des éventuels dangers. Par leurs racines entremêlées mais aussi par les odeurs et les signaux électriques. Solidaires, ils ont développé un sens de la communauté enviable. Les plus robustes veillent sur les jeunes pousses et les malades. «Quand les nouvelles générations ont des problèmes de santé, les végétaux matures leur transmettent les antidotes. Ce sont des pharmacies vivantes», s’extasie Ernst Zürcher, spécialisé dans les effets lunaires du bois.
Le partage de la lumière se fait également en bonne intelligence, au profit de tout le tissu social. Une générosité tactique. «Les sapins de Douglas ont les racines soudées entre voisins avec des échanges de sève. Si l’un des deux arbres est abattu, la souche va continuer d’être alimentée, de vivre par la couronne de son acolyte.» Mais l’arbre voisin ne l’aide pas seulement pour sa survie, il récupère aussi une partie de l’eau que son ami a stockée dans le sol. Un échange de bons procédés en quelque sorte.
«Ils sont malins», lance l’homme qui écoute les arbres converser depuis des décennies. Enfant, il restait souvent jusqu’à tard dans la nuit parmi ses amis végétaux. «J’aurais rêvé de m’installer dans une cabane forestière. Mais je suis devenu père, puis grand-père, alors j’ai recouvert mon appartement au centre de Bienne d’épicéas pour créer un climat naturel en ville», raconte le Bernois d’origine.
La question brûle les lèvres: les végétaux seraient-ils en mesure de dialoguer avec les hommes? «Du côté scientifique, on sait que le merisier communique à sa façon avec le bûcheron, l’informant en courbant ses branches de la venue de la pluie», s’amuse Ernst Zürcher. En répondant à sa façon: «Je reviendrai», chuchote le chercheur en guise d’au revoir à un épicéa. Un peu comme s’il saluait un ami de longue date.