Apparue dans les pays scandinaves dans les années 1950, l’idée des jardins d’enfants dans la nature a lentement essaimé. En Suisse, il a fallu attendre 1996 pour que le premier lieu soit instauré, dans le canton de Zurich. Après la Suisse alémanique, la Suisse romande s’engage désormais dans cette voie-là. Depuis une dizaine d’années, les formations intégrant la nature s’intensifient, des multitudes d’enseignants se mettent à ouvrir les murs de leurs classes, notamment pour les élèves du premier cycle: de 1H à 4H (HarmoS), soit de 4 à 8 ans.
A l’école publique, il peut s’agir d’une demi-journée ou d’une journée réservée aux activités en plein air, dont la forêt fait partie. Pour les plus grands, des cours habituels peuvent avoir lieu à l’extérieur. L’expression «canapé forestier», des ouvrages faits de troncs et de branches qui peuplent nos bois à travers toute la Suisse romande, entre peu à peu dans les mœurs, en autant de rendez-vous sociaux. Une demande existe, que la période du confinement a encore augmentée. Bien appliquée, solidement encadrée, l’école en forêt constitue un instant suspendu, où l’enfant oublie les écrans pour partir en quête d’aventures à deux pas de chez lui.
1. Quelles sont les activités possibles en forêt?
Multiples. A travers des ateliers, les enfants sont sensibilisés à l’environnement et à sa préservation. En forêt, avec la présence des clairières, des mares, des ruisseaux, ils vivent au rythme de la nature, aiguisent leur curiosité. Qu’il pleuve, qu’il neige, qu’il vente, ils sont confrontés aux éléments naturels. Leurs jouets peuvent être une branche, un tronc d’arbre, de la corde.
2. Qui se charge de la formation des enseignants?
La Fondation Silviva, organisation nationale d’éducation à l’environnement, dispense depuis plusieurs années des formations, sous diverses formes, également au sein des HEP. Le WWF propose aussi des formations. Les deux organismes collaborent depuis plusieurs années. «Il existe beaucoup de petits projets, explique Ariane Derron, du WWF. Le plus ambitieux concerne environ dix classes par an: l’enseignant est formé pendant une année entière.» Plus léger, le module «Ecole en plein air» se déroule sur une semaine en septembre. L’invitation a déjà séduit 1300 classes, qui reçoivent du matériel pour se lancer. «C’est un vrai bol d’air frais pour les enseignants!»
3. Quelle est la tendance?
«Nous sentons un énorme engouement autour de l’école en forêt, lâche la responsable. En 2013, elle apparaissait comme une initiative extraordinaire. Aujourd’hui, elle est acceptée. Les gens reconnaissent son utilité.» Véritables best-sellers, les livres de l’auteur américain Richard Louv, qui décrivent le «syndrome du manque de nature», ont eu de puissants effets dans le monde scolaire. En 2019-2020, sept classes (quatre sur Vaud et trois à Genève) ont participé au programme le plus exigeant, «Ecole en forêt». De nouveau sept classes (seulement sur Vaud) y prennent part en 2020-2021.
4. Quels outils existent-ils?
Une littérature se met en place, avec quelques ouvrages qui jouent un rôle central. Le livre L’école à ciel ouvert (Ed. de La Salamandre), de Sarah Wauquiez, Nathalie Barras et Martina Henzi, est même distribué dans les classes vaudoises. Soutenu par Silviva et le WWF, il fourmille de conseils pratiques et instaure une réelle pédagogie de l’éducation enfantine à l’extérieur.
5. Existe-t-il des écoles privées à 100% à l’extérieur?
Elles sont encore rares. Fondée en 2013 à Sion, l’association EducaTerre fait œuvre de pionnière (voir le témoignage d’une enseignante, ci-contre) et concerne les enfants de 1H à 5H. Point Nature, à Orbe (VD), propose aussi depuis août 2019 une école à ciel ouvert, en forêt, pour les enfans de 1H à 4H. Tout comme Zoulou Zazou, à Lutry (VD). Dans le canton de Genève, GEducation, qui a déjà lancé une écocrèche en forêt, a aussi un projet pour ces âges-là, mené par la pédagogue Sandrine De Giorgi. Pour les crèches et les garderies, davantage d’organismes intégrant le plein air et la forêt existent.
6. Légalement, comment l’école en forêt est-elle régie?
Les écoles privées doivent répondre aux règles du Plan d’études romand (PER), notamment en prévision de l’intégration des élèves lorsqu’ils devront rejoindre l’école publique, en 5H.
7. Quels sont les tarifs?
Ils obéissent la plupart du temps à une éthique qui veut les rendre abordables, selon les revenus des parents. L’écolage se situe entre 550 et 850 francs par mois à Point Nature. Dès 600 francs à EducaTerre.
8. Le trend des canapés forestiers
Il en naît de plus en plus en Suisse romande. Ce sont des lieux de réunion et des points de rendez-vous fixes, du «nid d’aigle» rudimentaire, qui peut être réalisé à l’aide de bâches, au réel canapé forestier, où il est même possible de faire un feu. Ces derniers doivent être bâtis en accord avec les forestiers locaux, qui participent souvent à leur élaboration. «Ces lieux créent un élan chez les parents. Ils peuvent y retourner avec leurs enfants», note Ariane Derron.
«Cela amène beaucoup de ne pas tout le temps leur dire de se taire et de s’asseoir»
A l’école EducaTerre, à côté de Sion, la journée commence autour d’un grand tableau blanc posé contre un arbre, avec une forêt, un parc à animaux et un étang ombragé à proximité. Ici, les enfants, qui vont des classes 1H à 4H (4 à 8 ans), vivent à plein temps dehors, sauf par grand froid, par forte pluie ou si le vent fait s’envoler les papiers. L’école, qui compte une douzaine d’élèves par année scolaire, ne peut cependant se passer de quelques bâtiments sur un étage. Ils sont désertés en temps normal, à moins qu’un enfant veuille y trouver un instant de paix.
La maîtresse des 1H et 2H (4 à 6 ans), Isaline Pilet, est là depuis la genèse de ce projet captivant. Elle commence par louer l’énergie de sa collègue Chloé Schaller, en charge des 3H et 4H. Puis évalue le chemin parcouru: «Au début, en 2013, nous n’avions pas de locaux. Nous nous contentions d’activités extrascolaires.» L’école a pu débuter l’année suivante, dans une roulotte, en nomade. «Le département cantonal a toujours été ouvert envers nous», reconnaît-elle. Elle y trouve son bonheur. «Il n’y a pas que le côté nature. Je n’ai que 11 élèves, cela change tout, je peux aller à leur rythme. Et puis, en plein air, le bruit incessant des enfants est moins dérangeant. Cela amène tellement de ne pas avoir besoin de leur dire tout le temps de s’asseoir et de se taire. On leur demande de se calmer, mais cela n’a rien à voir avec la vie dans une classe fermée. Là où, souvent, tout le monde finit cassé nerveusement au terme de la journée.» Elle peut comparer, elle a d’abord enseigné avec 24 élèves en école publique. A EducaTerre, le projet s’étoffe. Une classe de 5H ouvre cette année, un nouveau local a été rénové, l’équipe compte désormais cinq enseignantes et une stagiaire.
Prudence: les motifs de distraction sont nombreux à l’extérieur. «C’est un apprentissage pour les enfants. Ils y gagnent une capacité d’attention accrue. Je constate qu’ils sont beaucoup plus sereins que les élèves que j’avais dans le public.» Elle aime le fait que la pédagogie ne soit pas figée: «Tous les jours après l’école, nous nous voyons pour améliorer les détails. Nous voulons rester en mouvement.»
Elle a l’impression de pouvoir appliquer ses valeurs à elle. «Il est important que la génération qui vient puisse se reconnecter à la nature. Mieux la connaître, ne pas en avoir peur. Voir combien elle dépend d’elle.» Même si le programme est aussi strict que dans le public, certains enfants en profitent pour rêver, bricoler. Tout est parfait, alors? Presque: «Des enfants peuvent être perturbés par le fait de devoir décider sans cesse d’eux-mêmes.» Si cette overdose de liberté peut dérouter, la nature fait aussi sourire: «Comme certains arrivent plus tôt, il peut arriver que l’un d’eux ait huit limaces dans les mains au moment de commencer…»
«La forêt stimule le côté explorateur»
- Quel regard portez-vous sur l’école en forêt?
- Raymonde Caffari: La préoccupation d’augmenter les contacts des enfants avec la nature est légitime et nécessaire. C’est notamment une réponse pour des enfants qui vivent en milieu urbain et se trouvent dans une situation de carence avec la nature.
- Quel premier avantage voyez-vous?
- Le fait de marcher dans la forêt est excellent pour la motricité, l’équilibre physique, ainsi que pour l’attention. Si vous marchez sur la route ou sur un gazon entretenu, pas besoin de regarder vos pieds. Dans la forêt, le sol est inégal, varié. Pour avancer sans tomber, il faut se montrer attentif, habile. La richesse du milieu forestier rencontre le goût immodéré des enfants pour l’expérience.
- Le fait d’apprendre en bougeant compte-t-il?
- Les petits enfants apprennent surtout en bougeant, et cela, jusqu’à la préadolescence. Les adultes ne le comprennent pas, ils les font asseoir; même les tout-petits, qu’on place en rond pour leur apprendre une chanson. Or, chez les enfants, c’est en s’appuyant sur la motricité fine ou globale que l’esprit travaille. La nature de la forêt, sa complexité, constitue une école du mouvement qu’on trouve moins dans d’autres milieux. Un enfant qui bouge bien est aussi souvent bien dans sa tête. Il peut s’ouvrir au monde et pratiquer son métier d’enfant, c’est-à-dire découvrir. L’enfance est une longue adaptation au monde. C’est faciliter cet apprentissage que d’évoluer dans la forêt, dans des conditions protégées bien sûr.
- La forêt atténue-t-elle aussi l’excitation générale?
- La forêt a l’avantage de ne pas offrir une large ouverture où l’on va courir en criant. C’est un espace fragmenté, complexe, qui présente des surfaces, des volumes, de la hauteur, celle des arbres.
- Un autre aspect vous touche-t-il?
- Simplement celui de mettre les enfants à l’extérieur. Vivre avec le froid, le chaud, la pluie, le vent. Les activités d’intérieur immobilisent souvent. Elles sont peut-être moins profitables pour les développements physique et intellectuel, qui sont étroitement liés.
- Vous avez beaucoup écrit et travaillé sur l’enfant et le jeu. Est-il stimulé en forêt?
- Certainement davantage que sur le bout de gazon en bas de l’immeuble ou dans des structures que les adultes ont créées eux-mêmes. Celles-ci sont plus pauvres que tout ce qu’on peut imaginer avec des pives ou des branches.