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Lea Sprunger: «A travers le sport, on apprend la confiance, la persévérance, à avoir un objectif»

C’est fini. A 31 ans, après quinze ans d’une carrière qui fait d’elle l’athlète romande la plus titrée de l’histoire, la Vaudoise Lea Sprunger a raccroché ses pointes. Sensible, elle avoue combien elle a dû se faire violence pour être devant. Et se réjouit d’avoir marqué son sport et de bientôt fonder une famille.

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Lea Sprunger

Lea Sprunger dans l’ancienne salle de gym de Nyon. «Enfant, jamais je ne me suis dit que j’irais aux Jeux olympiques, je ne savais même pas ce que c’était.» Elle en a fait trois et a été sacrée deux fois championne d’Europe, sur 400 mètres haies en 2018 et 400 mètres en 2019.

Sedrik Nemeth

Ce matin-là, dans la salle de gymnastique du vieux collège de Nyon, avec son vestiaire aux gros crochets arrondis et ses élèves espiègles aux airs de Guerre des boutons, on se dirait chez Doisneau. En croisant ces enfants, Lea Sprunger se revoit petite fille, la boucle se referme. A 31 ans, elle vient de mettre le point final à une carrière magnifique, qui fait d’elle l’athlète romande la plus célébrée de l’histoire, double championne d’Europe, double finaliste mondiale, triple olympienne. Le moment de se raconter, de se retourner.

>> Lire aussi: Lea Sprunger, au revoir championne

- Que ressentez-vous dans cette salle?
- Lea Sprunger: Elle est belle. La mienne, à Gingins, était un peu moins old school, mais elle avait aussi des barres, des espaliers.

- Les heures de gymnastique, vous les aimiez?
- Je les attendais avec impatience, avec toujours le stress d’avoir oublié quelque chose. Je me rappelle que nous avions des basanes aux pieds et que j’aurais préféré des baskets.

- Vous étiez déjà très douée?
- J’étais et je suis toujours très grande. J’ai grandi trop vite, la coordination n’a pas trop suivi. J’ai dû travailler un peu tout, rien n’était vraiment fluide chez moi. Après, cela n’a jamais été un handicap. J’étais comme j’étais, capable de courir, mais pas la jeune enfant dont on se disait en la regardant: «Ah oui, celle-là, elle a quelque chose!»

- Et votre mentalité?
- Il faut le demander aux autres, mais j’ai toujours été une gagnante. Aussi parce que nous étions quatre enfants et qu’il fallait faire sa place.

Lea Sprunger

Lea Sprunger s'entraîne à la salle de gymnastique du vieux collège de Nyon. 

Sedrik Nemeth

- Vous voyiez-vous déjà comme une championne?
- Pas du tout. En commençant l’athlétisme, jamais je ne me suis dit que j’irais aux Jeux olympiques. Je ne savais même pas ce que c’était. J’ai gravi les échelons de championnat en championnat, sans en prendre conscience. Je me suis découverte. En 2007, pour ma première grande compétition, j’ai couru un heptathlon, ni bon ni mauvais. J’ai pensé qu’il y avait moyen de réaliser quelque chose.

- Ajla Del Ponte avoue qu’elle a dû se faire violence pour se convaincre de battre ses adversaires. Et vous?
- Nous sommes pareilles pour cela avec Ajla. Elle a eu une éducation similaire à la mienne, basée sur le partage, l’importance de la famille. Ce n’est pas ce qu’il faut pour être tout devant… J’ai dû travailler avec une coach mentale, comme elle. Pour moi, il n’était pas inné d’arriver sur une piste en pensant que j’étais la meilleure et que j’allais écraser tout le monde. En tant que sportive, j’ai pourtant été obligée d’être ainsi.

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- Ce fut difficile?
- Une des plus grosses difficultés dans ma carrière. Apprendre à ouvrir la porte, passer et la refermer sur la fille qui arrive derrière soi, j’ai toujours détesté cela. Ce fut un long travail de l’accepter.

- Que vous disiez-vous pour vous convaincre?
- Que cela faisait partie de ma profession. Avant une course, je me persuadais que, dans les deux heures qui allaient venir, seule moi compterait. C’était horrible, dans un sens. Les autres athlètes le font aussi. Sans cela, tu le paies. Moi, ce fut le cas plusieurs fois: je ne me considérais pas à ma place, je ne m’autorisais pas à battre telle ou telle athlète. Inconsciemment, cela m’a bloquée. Voilà une dimension qui ne me manquera pas: l’égoïsme forcé.

Lea Sprunger

Photographie de Lea Sprunger qui fait la une de ce trente-huitième numéro de «L'illustré».  

Sedrik Nemeth

- Nous vous avions vue en 2012. Réservée, vous vous demandiez comment vous alliez affronter le fait d’être très connue. Et alors?
- Cela fait partie du métier. Je suis reconnue dans la rue, approchée par des gens qui ont besoin de partager. Ils expriment leurs émotions, me racontent souvent comment ils ont vécu mes courses. C’est bon enfant, touchant. J’ai pris conscience que je ne faisais pas que courir. Je véhicule des valeurs, notamment auprès des enfants. Je m’en rends compte encore plus aujourd’hui alors que je prends ma retraite. Je réalise l’impact que j’ai eu dans le monde du sport en Romandie.

- Qu’aimez-vous entendre?
- Que les gens se sont attachés à la sportive que je suis devenue. J’ai toujours voulu rester moi-même, honnête, transparente, ne pas jouer un rôle. Je vois que cela a touché.

Lea Sprunger

Après tant d’années dans le sport de haut niveau, avec beaucoup d’absences, Lea Sprunger va enfin vivre avec son fiancé, Jonas Addor, avec qui elle a emménagé en 2019. Il est aussi un des meilleurs amis de l’humoriste Thomas Wiesel. Le couple a acheté une maison et rêve de fonder une famille.

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- On vous sent attentive à tout ce qui touche aux enfants…
- On en parlait l’autre jour avec ma sœur Ellen. Nous nous sommes souvent mises à la place des enfants, en nous rappelant comment nous étions à leur âge. Petites, nous avons adoré décrocher un autographe, une photo. C’est ce qui nous a fait rester dans le sport. J’y pense souvent. Gamine, j’avais eu un entraînement à Athletissima avec un perchiste français, Romain Mesnil. Aujourd’hui, je suis dans la position de laisser ce souvenir-là. On peut devenir quelqu’un de beau à travers le sport.

- Le sport de haut niveau fait vivre en accéléré. Cela vous manquera-t-il?
- Forcément, car tout est plus intense, tout est décuplé. Comment retrouver ma victoire à Berlin, devant 60 000 personnes qui applaudissent?

- En quoi cette expérience vous servira-t-elle?
- Je me connais mieux que quelqu’un de normal à 30 ans, je suis devenue la personne que je suis à travers le sport. On apprend la confiance, la persévérance. Je sais gérer le stress, avoir un objectif, être prête le jour J.

- Vous avez appris à souffrir. Le sprint long, est-ce le paroxysme de la douleur?
- J’ai couru l’heptathlon, le sprint court, le sprint long. Ce dernier est clairement le plus difficile, mentalement et physiquement. On va chercher très loin dans ses limites, deux ou trois fois par semaine. Dans le starting-block d’un 400 mètres, je sais que je vais prendre très cher, que les 100 derniers mètres vont faire mal, que je coure en 54 ou en 56 secondes. Il faut que j’aille à la guerre.

- Qu’aimez-vous, alors?
- J’ai adoré cette discipline. Elle demande énormément d’entraînement et j’aime cela. Pas besoin pour moi de courir 30 compétitions par an. Quelques-unes me suffisaient, tant j’aimais l’entraînement.

- Etes-vous certaine d’arrêter au bon moment?
- Oui, mais c’est drôle, récemment, sur une piste, un monsieur inconnu s’est approché de moi et m’a dit: «Vous êtes sûre que vous voulez arrêter? Vous n’avez pourtant pas exprimé tout votre potentiel.» J’ai répondu que, en effet, je ne le saurais jamais. Peut-être Bolt aurait-il pu aller plus vite… C’est l’aspect difficile dans notre sport.

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- Et pourtant vous arrêtez…
- Oui, je le veux. Il a d’abord longtemps été clair pour moi que je stopperais après Tokyo, en 2020. Puis il y a eu les Mondiaux de Doha, en 2019. Alors que je galérais à l’entraînement et que je n’avais pas connu une saison folle, j’y ai terminé quatrième, avec le record de Suisse. Je suis sortie de ce stade en me disant: «Je ne suis pas prête à abandonner tout ça!» J’ai pris un mois de réflexion, puis annoncé à mon entraîneur que j’irais jusqu’en 2021. C’est la meilleure décision que j’aie pu prendre. Quand la pandémie est arrivée, je n’ai pas eu besoin de faire un processus pour un an de plus.

- Voulez-vous redonner à la région de Nyon, à laquelle vous êtes attachée?
- Je l’espère, mais mon futur immédiat est déjà bien rempli. L’an prochain, je vais travailler pour Athletissima et étudier une année à l’Université de Lausanne, en management du sport. Et je pense à fonder une famille.

- Côté financier, que représente ce que vous avez gagné?
- J’ai gagné passablement grâce à l’athlétisme, jusqu’à pouvoir investir et acquérir une maison avec mon compagnon. J’ignore cependant combien de temps je vais pouvoir vivre de ce que j’ai gagné. Ma carrière m’ouvre surtout des portes. J’espère capitaliser sur mon image, qui correspond tout à fait à mon caractère. J’ai eu mon parcours, qui a plu aux gens, je crois. J’en suis tellement contente!

Par Marc David publié le 24 septembre 2021 - 08:58