«Comme beaucoup de jeunes adultes, j’ai longtemps cherché ma voie. Au tournant de la vingtaine, on navigue tous un peu à vue, dans un mélange d’euphorie et d’insouciance, tout en se demandant où la vie va bien vouloir nous mener. Mais plus je me posais de questions et moins je trouvais de réponses. Du genre touche-à-tout, tout m’intéressait. J’ai fini par étudier les mécanismes qui déclenchent l’impulsion d’achat, la communication et les relations publiques. Mais ce qui me plaisait, au fond, c’était de développer des relations amicales tout en faisant des affaires avec, comme fil rouge, le plaisir, le respect et la passion. Pas juste de courir après l’argent mais en valorisant chaque échange, sans hypocrisie. A vrai dire, c’est le fonctionnement qui correspond le mieux à ma nature.
Cette philosophie s’est encore exacerbée après mes premiers voyages au Japon. J’y reviendrai. Car un autre événement s’est produit avant, qui a finalement bouleversé mon destin. En 2003, j’ai hérité du plus beau des challenges: reprendre et exploiter un joyau viticole de Lavaux, le domaine du Daley, balcon sur le Léman, au-dessus de Lutry. Un défi certes excitant mais très effrayant puisque, autant le confesser, je ne connaissais pas grand-chose – pour ne pas dire rien – au vin, hormis boire de bons canons de temps en temps!
Pour me former, je me suis d’abord tourné vers l’Amérique du Sud. L’Argentine et le Chili, précisément, qui, bien que voisins, ont un climat très différent, ce qui se ressent dans le vin. J’ai ensuite visité la Bourgogne, pour comprendre la finesse et la perfection du vin. Cette finesse que je recherche autant dans ma vie que dans mes vins ou encore dans les aliments. C’est cette quête incessante de perfection qui m’a conduit au Japon, le pays du Soleil levant certes, mais surtout celui de la pureté des matières et, plus encore, de la plus fine gastronomie. Un déclic qui a changé ma vie. Mon premier vin y fut dédié, The Swiss Sushi Wine. Une inspiration, alors que je n’étais pas encore allé au Japon. Ce qui fut fait en 2006. Comme dans le film «Lost in Translation», la première fois, on ne comprend pas très bien le système et encore moins la culture. On se sent perdu, venant d’une autre planète. Mais j’avais la volonté de découvrir. Alors j’y suis retourné et j’ai créé des liens. Avec le temps, lorsque les gens perçoivent que votre personnalité est aussi pure que la leur, ils vous acceptent et vous intègrent.
De fil en aiguille, ce qui était pour moi un challenge s’est transformé en passion pour ce peuple tellement humble, dévoué et habité d’un profond respect pour l’amitié, avant tout autre calcul, bien qu’étant très bon en affaires. Depuis, j’ai appris à être humble comme lui, à prendre mes distances avec un monde de plus en plus agressif, à me réfugier dans les tréfonds de ma cave quand je ressens le stress. Au Japon, même si le monde s’écroule, on garde son sang-froid et on prend le temps de réfléchir à comment faire au mieux sans affecter les autres. Du plus célèbre au plus anonyme, de mon meilleur client devenu mon ami inconditionnel, mon âme leur est désormais dédiée, dans ma volonté d’essayer de toujours faire mieux.
Les années ont passé et j’ai fondé ma société au Japon afin que les gens que je rencontre puissent boire mes vins à un prix raisonnable tout en étant en contact avec leur producteur. Aujourd’hui, le Japon et mes amis me manquent. Mais bientôt, je les retrouverai et ce sera une grande fête de l’amitié et de l’humain telle qu’elle devrait toujours être.»
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