Tout y est, non sans sa touche d’ironie délicieuse, l’une de ses marques de fabrique. Le pantalon blanc, le micro argenté, le teckel, les poses lascives rappelant les posters des magazines people des années 1990 que les ados collectionnaient pour accrocher leurs boys bands favoris au-dessus de leur lit.
Dès le 20 août, l’idole du Quartier Général*, centre d’art contemporain de La Chaux-de-Fonds, c’est lui. Fuzzy. My name is Fuzzy, soit «Mon nom est Flou» en français. L’alter ego délibérément confus du Neuchâtelois Bastien Bron, un artiste hybride de 37 ans, musicien et réalisateur, qui se révèle tout aussi talentueux que son personnage atypique. A noter que les deux partagent un goût prononcé pour les casquettes colorées, les lunettes et la moustache. «Fuzzy, c’est un peu mon prolongement. Un acteur sincère que j’ai sous la main à disposition.» En d’autres termes, ce sont ses avatars: une version superstar, l’autre loser. Et bien d’autres qu’il garde secrètes.
Avec son look de hipster aux pulls pixélisés et ses choix musicaux pop décalés, certains prennent My name is Fuzzy pour le petit frère spirituel du français Philippe Katerine. «C’est à cause des cheveux filasse? (Sourire.) Entre nous, c’est une personnalité que j’apprécie beaucoup. Il est inclassable, évolue tout seul avec son style», répond Bastien Bron. Le Suisse aussi est un ovni, qui déconstruit les codes: il maîtrise aussi bien le populaire que le pointu. Et ce qu’il anime par-dessus tout, c’est brouiller les pistes.
Pour son deuxième album-exposition, «Vedette 93», il détourne avec autodérision le culte de la célébrité à l’heure où celui-ci embrase les réseaux sociaux comme TikTok. Ses créations audiovisuelles glissent du documentaire à la fiction. Il propose des morceaux-installations basés sur des enregistrements qu’il a faits enfant, en 1993. Il avait alors 8 ans et chantait à tue-tête pour l’anniversaire de sa grande sœur, Noëlle.
En retrouvant la vieille cassette, l’adulte s’étonne de la dimension absurde des textes qu’il avait écrits à l’époque. Des paroles naïves sur son quotidien ou plus cocasses quand il s’adresse aux «voleurs d’enfants» dans «Chanson métier». Avec le recul, certaines se révèlent même poétiques. «Ce qui m’a le plus étonné à l’écoute, c’est mon attitude. Je joue à la vedette en faisant participer le public, ma famille donc, mais aussi en annonçant la session d’autographes à la fin du concert», raconte Bastien Bron, encore légèrement médusé.
Pour l’anecdote, des vrais autographes, il en a signé vingt ans plus tard lorsqu’il a fondé avec ses potes le groupe The Rambling Wheels en 2003. Les Neuchâtelois enchaînent alors les dates, avec leurs six albums. Clap de fin il y a deux ans avec 600 concerts au palmarès. En parallèle de sa carrière musicale, le batteur affine son regard sur le monde de l’image. Autodidacte, il monte en 2011 son agence de production de clips vidéo qu’il baptise Das Playground, son terrain de jeu.
Sa compagne, Laetitia Gauchat, le rejoint en tant que collaboratrice artistique. Vrai duo de choc, ils composent des projets audiovisuels pop art, teintés d’absurde qui séduit des groupes notoires, de Carrousel à Baron.e. En binôme, le couple remporte en 2021 le Prix du public du Best Swiss Video Clip aux Journées de Soleure avec l’un des extraits de la première exposition musicale de My name is Fuzzy. C’est pour cette création, nommée «Septante-Quatorze», que Bastien Bron a inventé le concept de chansons à ne découvrir qu’au musée, une volonté à contre-courant de la diffusion en masse sur Spotify. Son idée avait germé pendant sa résidence artistique à Berlin, quand il réfléchissait à l’ultra-disponibilité de la musique. Alors, pour découvrir ses nouveaux titres, le public doit se rendre sur place! L’été passé, 1000 personnes ont tapé du pied à la Galerie C, à Neuchâtel! Et ce n’était que le début. Après les festivaliers du Castrum à Yverdon-les-Bains il y a peu, Bastien Bron déménage ses «install’musicales» du 14 au 18 septembre prochain à La Bâtie-Festival de Genève en partenariat avec l’Usine à Gaz à Nyon.
Mais revenons à «Vedette 93», dont il peaufine les derniers détails «à La Tchaux» à quelques jours du vernissage avec son équipe de choc. Ensemble, ils donnent vie à des dispositifs remplis de second degré. «J’espère ne pas tomber dans la pure parodie, car la frontière est fine. Je n’ai pas l’impression de faire des sketchs, mais je peux comprendre que ce soit drôle.» Bastien Bron est rigolo de nature, mais son délire est ailleurs. Comme dans le fait de tester des formes interactives en immergeant le public dans un décor fictif des années 1990, celui d’une chambre d’un enfant baba de Fuzzy. Les objets – que ce soit une console de jeux vidéo qui lance un clip en pixel art, une poupée à l’effigie de l’idole d’un jour ou des affiches de concert qui s’animent en mapping – permettent d’activer l’écoute des chansons-souvenirs. Récréatif.
Et il va encore plus loin dans les mirages du star-système en déployant un merchandising digne des phénomènes marketing comme les Spice Girls. Son visage est partout: chaussettes Fuzzy, autocollants Fuzzy, tasses Fuzzy, draps de lit Fuzzy. «C’est bizarre et marrant de pousser ce jeu jusqu’au bout, même si c’est un peu malaisant», avoue l’artiste en mentionnant une figurine en carton grandeur nature qui sera dans l’exposition. Le vrai, celui en chair et en os, sera là également, observant la réaction des gens devant la borne d’écoute de ses chansons originales, celle du Bastien de 8 ans. «S’ils tiennent une ou deux minutes à écouter mes hurlements, je serai déjà content», lâche-t-il.
>> * A voir au QG du 20 août au 3 octobre 2021. Tournée à venir. Dates annoncées à Yverdon-les-Bains en mars 2022 avec le Théâtre de l’Echandole.
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