Toute sa vie, Jasmine Flury racontera à la veillée le savant cocktail de vent et de température qui lui donna des ailes. Ce petit soleil du 11 février qui favorisa légèrement les premières partantes au haut de la descente des Mondiaux de Méribel. La Grisonne s’élançait avec le numéro 2, elle se laissa porter, grappilla quelques dixièmes de seconde, puis enchaîna avec une telle justesse qu’elle causa une de ces surprises monumentales qui sont le lot des courses d’un jour. Championne du monde! Au bas de la piste, c’est elle que les reporters voulaient, alors qu’il lui est si souvent arrivé de passer tout droit et incognito, dans le dos des stars Shiffrin ou Gut-Behrami.
«Je crois que je vis un rêve. Chaque fois qu’on me dit «championne du monde», j’ai de la peine à y croire. C’est à la fois irréel et indescriptible», dit-elle alors, touchante, entre deux embrassades avec son amie Corinne Suter, troisième de la course et avec qui elle partage plusieurs points communs. Là, elles abordaient l’épreuve dans le doute, elle à cause d’une grippe qui l’avait empêchée de s’entraîner lors du camp avant les Mondiaux, la Schwytzoise encore diminuée par une commotion cérébrale subie en janvier à Cortina.
Prof de gym décisif
Jasmine n’a pas toujours vécu dans un rêve. Même si l’entraîneur de l’équipe féminine suisse, Beat Tschuor, a longtemps affirmé qu’elle était «un diamant brut» et qu’elle fut la première Grisonne à gagner une course de Coupe du monde, en 2017 à Saint-Moritz, elle n’a pas souvent exulté, en sept saisons au plus haut niveau. Son podium suivant, elle a dû attendre cinq ans pour y grimper, l’an dernier à Garmisch. La faute à des soucis de hanches tout au long des années 2010 ou à une blessure au genou droit, survenue à Lake Louise en 2019, qui la priva d’une saison entière.
Sa victoire est aussi celle de ces menues stations comme la Suisse en connaît tant. Si Daniel Yule vient de La Fouly ou Beat Feuz de Schangnau (un seul téléski, construit par son grand-père), elle, c’est encore pire. Situé à quelques lancers de boule de neige de Davos, son village de Monstein ne possède aucun remonte-pente. Il avait beaucoup mieux: un professeur de gymnastique d’exception, nommé Hans Laely, qui donna le goût du sport à ses 18 élèves, regroupés dans la même classe de la première à la sixième année. Comme la salle de gym ne mesurait que 10 mètres sur 10, ils sortirent sans cesse, firent du hockey sur glace, du vélo sur de longues distances, de la course à pied avec ardeur. Avec des résultats fabuleux pour une localité de 200 habitants. Hormis la désormais championne du monde Jasmine Flury, on y trouve de récents participants aux Jeux olympiques comme les fondeurs Jason Rüesch et Valerio Grond. Ou des sportifs concourant lors de Mondiaux juniors de ski ou de Mondiaux de floorball...
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Née en septembre 1993, Jasmine Flury n’a en outre pas manqué de douceurs. A la fin des années 1970, son père Georg, qui avait fait un apprentissage de confiseur, a même préparé un jour un gâteau d'anniversaire pour le vice-président des Etats-Unis Walter Mondale, alors qu’il travaillait à Washington. Après être revenu à Monstein et avoir repris la ferme familiale, il dirige aujourd’hui avec sa femme Corinna le restaurant Veltlinerstübli, qui appartient à la famille Flury depuis le XIXe siècle. Plus étonnant, Jasmine a grandi dans la même maternelle que le déjà nommé fondeur Jason Rüesch, puis elle a vécu dans la même famille que lui, quand son père a épousé la mère de ce dernier. Elle a transformé ce foyer recomposé en atout. «Le fait d’avoir des sœurs, un frère et des demi-frères rend peut-être automatiquement plus ouvert», estimait-elle dans un bel article paru dans la «Neue Zürcher Zeitung». Jason Rüesch y rendait hommage au courage de sa presque sœur, sur une piste de ski ou dans une descente de VTT, mais surtout quand elle osa renoncer à un apprentissage pour tout miser sur le sport.
Elle sait qu’on va la regarder autrement. Normal, elle est championne du monde.
Va-t-on l’appeler «Federmatt»?
Alors qu’il n’avait jamais gagné de descente de Coupe du monde, Marco Odermatt l’a emporté avec près d’une demi-seconde d’avance sur son grand rival, le Norvégien Aleksander Aamodt Kilde, le 12 février dernier. En sport, quand on ne trouve plus de qualificatifs pour dire l’excellence et l’élégance, on évoque Roger Federer. Même s’il s’en défend, c’est désormais le cas d’Odermatt. A 25 ans, il a déjà décroché tout ce qu’un skieur peut espérer de plus haut: champion olympique, gagnant du classement général de la Coupe du monde et champion du monde.
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