«Privilège de l’âge, je me souviens très bien du couronnement d’Elisabeth II, le 2 juin 1953. J’avais 21 ans et étais au début de ma carrière d’actrice. Sous le nom de Nadine Tallier, je commençais à tourner avec Marc Allégret, Jean Boyer, Léonide Moguy. Cinq ans plus tard, je rencontrais, au Festival de Cannes, un bel héritier, le fils de Lady Docker, dont le superbe yacht, le Shemara, mouillait au large.
Commença une idylle qui me mena très régulièrement à Londres, où je croisais, dans les clubs, la sœur de la reine, la princesse Margaret, alors amourachée du photographe Antony Armstrong-Jones qu’elle épousera en 1960. A la même époque, ma romance anglaise prit fin, mais le destin ne m’abandonna pas pour autant. Je fis la connaissance du baron Edmond de Rothschild et l’épousai en 1963. A son bras, je repartis à la conquête de Londres et me retrouvai un soir à la même table que la reine. C’était un dîner en petit comité chez les Heinz, le propriétaire du fameux ketchup. Elisabeth II se montra absolument charmante avec tout le monde.
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Bien sûr, c’est elle qui menait la conversation et j’attendais respectueusement qu’elle m’adresse la parole, ce qu’elle fit avec une gentillesse qui semblait non feinte, de sa voix aiguë et douce, et en français, car elle le maîtrise parfaitement.
Bien évidemment, on lui avait dit qui j’étais et surtout qui j’avais épousé…
Et comme par hasard, nous avons évoqué les voyages en France que faisait régulièrement sa mère, la Queen Mum, et plus particulièrement celui qui l’avait conduite dans les vignobles bordelais en 1977. Elle avait dormi à Mouton et était ensuite venue à Lafite. La famille l’avait reçue chaleureusement. On le sait, elle appréciait le vin français. Et le champagne! Comme sa fille du reste, avec toutefois plus de retenue. Mais jusqu’à récemment, la souveraine buvait un «dry» martini avant le dîner et une petite coupe avant de se coucher…
Pour en revenir au dîner, la conversation était des plus policées, ce que les Anglais appellent du «small talk», c’est-à-dire qu’aucun sujet polémique n’est abordé.
Je savais qu’Elisabeth II avait une passion folle pour les chevaux et les chiens. Je ne connaissais pas bien les premiers – bien que le père d’Edmond eût une écurie, tout comme le baron Guy (de Rothschild, propriétaire de haras, ndlr) –, quant aux seconds, nos gentils labradors ne pouvaient rivaliser avec sa meute de corgis!
L’idée de parler mode m’a traversé l’esprit, mais je me suis abstenue: les couturiers anglais n’étaient pas ma cup of tea et le sujet était périlleux. A peine le dîner achevé, elle se retira, libérant les autres invités, car on n’arrive pas après la reine et on ne part pas avant elle…
Après toutes ces années, il me reste de ce moment un souvenir de grande civilité. Cette aisance, ce maintien, ce sourire permanent, cette absence de tout mouvement d’humeur restèrent gravés dans ma mémoire. Elle devint mon modèle et, au fil des années, elle ne cessa de m’épater.
J’ai souvent dit et écrit qu’en épousant un Rothschild j’épousais une fonction. Mais que dire de la sienne?»
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