«Jusqu’en 2019, j’étais une actrice romande qui faisait son petit bout de chemin. J’ai notamment joué dans «Double vie» de Bruno Deville, série pour laquelle j’ai reçu le prix de la meilleure actrice dans une série télévisée suisse aux Journées de Soleure. C’est cette distinction qui a fait que les Suisses alémaniques ont commencé à entendre parler de moi. A cette époque, mon allemand n’était vraiment pas terrible. A un tel point que ça m’a parfois joué des tours avec des journalistes germanophones.
Un jour, je reçois un appel de ma directrice de casting qui me dit: «Anna, j’ai un gros truc pour toi. Je ne peux pas t’en dire plus, mais est-ce que tu te sentirais de passer un casting en allemand?» Je sortais d’une séance de kinésiologie, j’étais dans une sorte d’état béat et j’ai répondu: «Mais oui, pas de problème!» Quand je reçois le texte à préparer, je découvre avec stupeur plusieurs pages contenant des clauses de confidentialité. J’apprends également que le mystérieux projet est une série baptisée «Tatort» (en français, «le lieu du crime»). Ne connaissant pas, je regarde de quoi il s’agit et j’hallucine lorsque je découvre que c’est l’une des séries les plus populaires d’Allemagne! Les surprises ne s’arrêtent pas là puisque je manque de tomber de ma chaise lorsque je constate que les deux scènes que je dois présenter sont d’immenses pavés avec un vocabulaire policier très spécifique. C’est la panique, je manque de me décourager. Sans la force de persuasion de mon mari, j’aurais sûrement annulé, de peur de ne pas être à la hauteur.
J’apprends le texte, je me fais aider par un coach et je me rends au casting tout en n’ayant aucun doute sur le fait que je ne décrocherai pas ce rôle. Je rencontre alors Carol Schuler, qui doit jouer ma coéquipière et qui, elle, est déjà embarquée dans le projet. Et là, coup de foudre! Une vraie connexion, c’était musical. D’un coup, la pression monte! Je me dis: «Il faut absolument que je travaille avec cette fille, elle est incroyable!» Et me surprends à espérer que ça fonctionne. Après deux semaines d’attente, la nouvelle tombe: je suis prise! J’étais heureuse, mais aussi dans une sorte d’état de sidération. Pendant plusieurs jours, je pensais même qu’on allait m’appeler et me dire qu’il y avait erreur sur la personne! Jouer dans «Tatort» a été une super expérience qui m’a ouvert beaucoup de portes. Prochainement, je vais même jouer en suisse-allemand dans la seconde saison de «Neumatt», un nouveau défi!
Ce que je retire de cette expérience? J’ai appris qu’il faut savoir s’écouter. Je crois beaucoup à l’intuition, aux choses que la vie met sur votre chemin. Regardez, j’en ai la chair de poule! Je pense aussi à mon papa, décédé depuis sept ans maintenant. Il était Suisse alémanique mais ne nous a jamais parlé sa langue. Je pense que ça fait partie des clins d’œil de la vie et que ma volonté de dépasser ce Röstigraben pour jouer aussi bien en français qu’en allemand vient aussi du fait que, s’il peut m’entendre et me voir quelque part, j’aimerais le rendre fier de moi. Si ça a marché pour moi, ça vaut le coup pour n’importe qui de dépasser sa peur et de faire confiance à sa petite voix!»