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Environnement

Le plastique, un ennemi public dont on ne peut se passer

Certes, le sommet d’Ottawa n’a pas débouché sur un accord international de réduction de la production de plastiques. Mais cette pollution aussi laide que sournoise est unanimement reconnue comme un fléau planétaire. Le prochain et dernier round de négociations agendé en fin d’année sera-t-il le bon? Etat des lieux en cinq points.

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La pollution des microplastiques disséminés dans la nature représente bel et bien un fléau pour le vivant

L’estimation d’une ingestion hebdomadaire de 5 grammes de particules de plastique, soit le poids et le volume d’une carte de crédit, est exagérée. Mais la pollution des microplastiques disséminés dans la nature représente bel et bien un fléau pour le vivant et donc pour l’humanité.

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Essayé, pas pu... La quatrième des cinq sessions prévues par les Nations unies des travaux du Comité intergouvernemental de négociation sur la pollution plastique a accouché d’une souris... en plastique. Un miracle aura-t-il lieu le 1er décembre prochain à Busan, en Corée du Sud, lors du dernier round de négociations?

En attendant, l’humanité continue à produire, à consommer et à jeter toujours plus de plastique. La barre de production annuelle des 500 millions de tonnes de ces matériaux (62 kilos par être humain) est presque atteinte. Cela signifie que plus de 350 millions de tonnes de déchets supplémentaires seront balancés cette année dans la nature, étant donné le faible taux de recyclage ou d’incinération. Malgré ces chiffres affolants, les représentants des ONG actives dans ce dossier sont plutôt confiants, à l’instar d’Henri Bourgeois Costa, directeur des affaires publiques de la Fondation Tara Océan, qui s’exprimait au micro de France Inter dans le cadre de la conférence d’Ottawa: «Cette question, qui ne concernait naguère que des navigateurs observant l’augmentation des déchets plastique flottant dans les océans, est devenue une question universelle.

Lors du troisième round de négociations, on a ainsi entendu des syndicats des ouvriers du plastique et des représentants des ramasseurs de déchets plastique des pays du Sud dire d’une seule et même voix qu’ils avaient besoin non pas de prolonger ce modèle économique, mais au contraire d’en sortir. Ils demandaient à être accompagnés dans une nouvelle économie, plus durable et meilleure pour leur santé.»

1. Quels sont les dangers de l’omniprésence du plastique dans les sols et les eaux?


Les plastiques, matériaux artificiels qui n’existent donc pas à l’état naturel, posent trois grands problèmes écologiques. Le premier, le plus visible, c’est celui des déchets qui s’accumulent sur les sols et surtout dans les mers, les lacs et les rivières et provoquent, entre autres nuisances, la mort de millions de créatures aquatiques. Les plastiques participent aussi à la problématique des gaz à effet de serre. Enfin, ces matériaux synthétiques, en se fragmentant, sont impliqués dans des problématiques de toxicité environnementale et alimentaire. Pour les humains, l’ingestion de microplastiques pose des problèmes de cancer, de fertilité, de perturbations hormonales ou encore d’obésité. Car ces particules se retrouvent dans l’eau et dans la chaîne alimentaire. Certes, l’étude hâtivement relayée par le WWF il y a cinq ans selon laquelle un être humain ingérerait chaque semaine l’équivalent d’une carte de crédit est considérée comme excessive par les spécialistes. Mais le fait est que ces polymères s’accumulent dans nos organismes et qu’ils posent des problèmes de santé majeurs. Et ces mêmes polymères s’accumulent aussi dans les sols et dans les eaux, avec une durée de vie qui se chiffre en années, voire en siècles selon le type de molécule. 

2. Une industrie qui n’en finit pas de croître


Malgré la prise de conscience en cours, les Nations unies estiment que la production de plastique pourrait tripler d’ici à 2060. Aujourd’hui, l’équivalent d’un camion poubelles est déversé chaque minute dans les océans. En un mot, le plastique est au sommet de sa forme. Quels sont les produits les plus coupables de cette infection? Après analyse des déchets plastique ramassés par des bénévoles dans plus de 80 pays, 56 entreprises sont responsables de la moitié de cette pollution. En tête de ce hit-parade, la marque Coca-Cola, avec un déchet sur dix. Etant donné que 9% seulement des déchets plastique sont intégrés dans des cycles de recyclage, la seule solution serait d’imposer des règles contraignantes qui obligeraient ces industriels à se tourner vers des solutions de réutilisation grâce à des systèmes de recharge.

3. Le plastique en Suisse


La Suisse, qui utilise environ 1 million de tonnes de plastique par année (110 kilos par habitant), n’est pas épargnée par cette contamination, malgré son haut niveau de collecte et de recyclage des déchets. Sur le site de l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), on peut lire que «près de 14'000 tonnes de matières plastique (macro et micro, ndlr) sont rejetées chaque année dans les sols et les eaux en Suisse». La dissémination de microplastiques (moins de 5 mm) provient notamment des granulés de remplissage pour terrains en gazon synthétique, des engrais, des produits phytosanitaires, des cosmétiques, des nettoyants ménagers et industriels, des couleurs et des laques, autant de sources difficiles à circonscrire. Mais c’est un autre type de microplastiques qui est responsable de la plus grande partie de cette pollution invisible: ceux qui résultent de l’usure des pneus des véhicules automobiles. Cette abrasion des pneumatiques sur le bitume représente à elle seule environ 8900 tonnes de microplastiques par année, selon l’OFEV.

4. Sommet d’Ottawa: quel bilan?


Les discussions d’Ottawa devaient idéalement aboutir à un accord global de réduction de la production mondiale de plastique. Ce but n’a pas pu être atteint en raison de l’opposition d’une coalition de pays pétroliers, même si la fabrication de plastique ne représente que 4% de la production de pétrole. Pour Laurianne Trimoulla, de la fondation genevoise Gallifrey, interviewée dans le journal «Le Temps», «le bilan est mitigé, mais meilleur que celui des deux précédentes sessions, à Paris et à Nairobi, qui n’avaient pas amené de progrès significatifs. Cette fois, les Etats se sont mis d’accord pour faire progresser certains sujets d’ici à leur prochaine rencontre. Il s’agit de thèmes importants, tels que les mécanismes financiers de lutte contre la pollution plastique et la réduction des substances chimiques préoccupantes associées à ce matériau.» En revanche, cette spécialiste ne cache pas sa déception face au résultat final. «Des pays défendent les intérêts des producteurs de pétrole, dont est issu le plastique. Ils utilisent différentes techniques pour faire durer les négociations. Le moindre mot du texte est longuement débattu afin d’épuiser le temps disponible pour les négociations et ainsi obtenir des concessions.» Une tactique du délai qui rappelle étrangement celle utilisée dans les sommets climatiques...

5. Des raisons d’espérer malgré tout


Le plastique et sa dissémination dans l’environnement vont donc continuer et même augmenter ces prochaines années. On peut pourtant entretenir un optimisme prudent à moyen terme. Car en sévissant de manière relativement équitable dans les pays du Nord et du Sud, dans les pays riches et pauvres, cette pollution provoque une prise de conscience générale. D’ailleurs, les deux pays les plus engagés dans ce cycle de négociations sont la Norvège et le Rwanda. Ce leadership euro-africain, inédit dans ce genre de négociations environnementales, symbolise l’«Internationale antiplastique» en marche. Le Rwanda, en mettant en place une politique nationale héroïque pour en finir avec l’invasion plastique, pourrait même servir de modèle à l’Europe. Et répétons-le en guise de conclusion: chaque consommatrice et consommateur peut, moyennant du bon sens et de l’information, améliorer son bilan plastique sans conséquence pour sa qualité de vie. ●

Par Philippe Clot publié le 24 mai 2024 - 10:52