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L'édito

Le miroir que nous renvoie l’Ukraine

Stéphane Benoit-Godet nous rappelle que même si le scénario de l'invasion de l'Ukraine par la Russie paraît improbable, la menace ne peut être totalement écartée. Selon le rédacteur en chef de «L'illustré», si l'essor de technologies nous a grandement facilité la vie et rend la guerre inenvisageable, les démocraties occidentales affaiblies ainsi que l'inflation grandissante sont des failles qui rappellent le contexte des années 30.

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Ukraine

Selon Stéphane Benoit-Godet, même si le scénario de l'invasion de l'Ukraine par la Russie paraît improbable, la menace ne peut être totalement écartée.

Niels Ackermann / Lundi13

Si nous publions 14 pages sur ce qui se passe en Ukraine, c’est que la situation est grave. Même si personne aujourd’hui ne peut être sûr de la suite des événements. Vladimir Poutine va-t-il mettre la menace que font peser ses troupes massées à la frontière à exécution? Les Occidentaux vont-ils trouver un moyen de stabiliser leurs relations avec le dirigeant russe qui s’accroche au pouvoir, comme son homologue chinois?

Il faudrait envoyer la reine Elisabeth II négocier un accord de paix à Kiev. Elle a en effet connu pas moins de 14 présidents américains. La royauté «bon pied, bon œil» après 70 ans de règne, c’est ce que nous chuchote l’actualité dans ce moment de tension extrême aux portes de l’Europe. A l’opposé, nos démocraties dans ce premier quart de siècle se révèlent terriblement affaiblies.

Il y a d’abord l’agenda des protagonistes de la crise: la position d’Emmanuel Macron s’avère fragile, à moins de deux mois des élections, Boris Johnson vacille en étant à deux doigts de présenter sa démission et il manque encore deux bonnes tailles à Olaf Scholz pour être à l’aise dans le costume laissé par Angela Merkel. C’est tout le paradoxe de la stabilité en démocratie. Une série de mandats réussis – seize ans d’exercice du pouvoir pour l’ex-chancelière – ne fortifie pas le système. Au contraire. L’alternance après une telle ère de stabilité s’apparente à un défi. Même Joe Biden – qui pouvait espérer briller après le désastre Trump – apparaît atrocement essoufflé.

Et il y a le fond. Les sondages marquent une désaffection prononcée pour la démocratie. Dans une époque de repli sur soi, de perte à la fois de sens et du collectif ainsi que de goût immodéré pour les outrances, c’est à se demander si les gens n’appelleraient pas secrètement de leurs vœux une bonne guerre à suivre sur leur smartphone.

Le discours politique qui minimise les horreurs des conflits passés et crédibilise les régimes dictatoriaux nous prépare à cette éventualité. Les années 1920 avaient commencé sous les mêmes auspices. Personne ne croyait une guerre possible après la boucherie de 14-18. L’économie tournait à plein régime et la société s’émancipait avec les débuts du jazz, l’essor du cinéma et les coupes garçonnes pour les femmes. Puis il y a eu le krach de 1929, la misère et – au bout de la décennie suivante – le plus grand conflit que l’humanité ait jamais connu. La semaine dernière, Facebook a perdu en bourse l’équivalent de tout ce qui s’était volatilisé lors de la crise de Wall Street d’il y a presque un siècle. Et après des années d’argent gratuit, l’inflation fait son retour. L’histoire ne se répète pas, mais elle nous rappelle que le scénario du pire ne doit jamais être d’emblée écarté.

Par Stéphane Benoit-Godet publié le 9 février 2022 - 08:34