On le voyait déjà englouti par le reflux annoncé de la vague verte. Un petit tour et puis s’en va claironnaient les derniers sondages et les pronostiqueurs les plus avisés. En partageant un café, dimanche matin, lui-même semblait déjà avoir intégré cette funeste issue. Au point qu’on s’est permis de pousser le bouchon en cherchant les raisons de cet échec programmé. «J’ai des faiblesses. Je ne suis pas un animal politique. Ce n’est pas mon style. J’ai beau me faire violence, mais je n’arrive pas à serrer des mains et à payer des verres plus que tant. Cela ne me correspond pas», analysait un peu tristounet, mais lucide, l’élu du parti dont la couleur a passé en un week-end du vert émeraude au vert pâle à l’échelle du pays. Une heure plus tôt, alors qu’il faisait son footing autour du lac de Mont d’Orge, balcon sur la ville de Sion, un quidam qui l’avait reconnu avait osé parodier la tortue de la fable en le voyant gambader. «Pauvre Christophe. Rien ne sert de courir désormais», prophétisait-il, visiblement satisfait de sa trouvaille. L’affaire semblait pliée.
A tous ces oiseaux de mauvais augure, celui qui a finalement été réélu avec 491 suffrages de plus qu’en 2019 et a largement dominé la coalition rose-verte pourrait à son tour leur balancer la morale d’une autre fable, qui nous recommande de ne pas vendre la peau de l’ours… Pas le genre de la maison. Ce fils d’agriculteur, qui a grandi à Venthône, au-dessous de Crans-Montana, et qui a sacrifié ses congés d’écolier et d’étudiant pour travailler dans les vignes familiales, n’est ni rancunier, ni revanchard. Son sillon politique, commencé il y a vingt ans à la commune de Sion (conseiller général puis conseiller communal), il l’a tracé sans jamais chercher la polémique ou la confrontation, mais avec ses convictions d’écologiste modéré chevillées au corps et au cœur. Une rectiligne qui lui vaut aujourd’hui des sympathies et même des soutiens de la droite bourgeoise. «Y compris parmi des gens qui ont des postes à responsabilité mais qui ne vont jamais le dire officiellement», confie-t-il avec une pointe de fierté.
Tour de force
Il est vrai que s’approprier coup sur coup un fauteuil valaisan à la Chambre basse avec un ruban vert en sautoir et avoir combattu la candidature olympique, les parcs solaires alpins, l’expansion de l’aéroport de Sion, les pelleteuses de Zermatt et défendu bec et ongles la Lex Weber relève d’un sacré tour de force. D’autant plus lorsqu’on est sans doute le seul parmi les 5909 candidat(e)s du pays à ne pas mettre un franc de sa poche pour sa campagne, comme il y a quatre ans d’ailleurs. «Pour moi, la politique doit rester une affaire collective. J’ai toujours trouvé un peu bizarre cette manière de dire aux gens «votez pour moi plutôt que pour mes colistiers», alors qu’ils ou elles ont la même vision», se justifie-t-il.
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Cohérent, Christophe Clivaz ne se contente pas de pérorer mais calque ses actes à son discours. «Je reverse chaque année dans le pot commun 7000 francs de mon salaire d’élu au parti cantonal et 6000 francs au parti suisse.» Pan dans le bec des railleurs. Et quid de sa philosophie, qui réussit à être entendue même parmi les plus féroces opposants au loup par exemple? «Pour être crédible, on doit rester accroché à sa vision du monde et à ses valeurs, quand bien même celles-ci passent par des thématiques qui ne sont pas très porteuses dans son canton», assène le politologue de 54 ans, en confiant ce qu’il pense être le secret de sa réussite. «Pour moi, faire de la politique, c’est parler avec les gens et les écouter avant de leur dire quelle est la direction à prendre. D’autres préfèrent prendre d’abord la température de l’opinion avant de faire des propositions. Pour éviter de se trouver en porte-à-faux avec l’électorat. Personnellement, je ne me préoccupe pas trop de savoir si ça va me faire du tort ou pas.»
Le mari de Réjane et papa d’Oriane et Eline, 25 et 22 ans, est malgré tout conscient que le chemin qui le mène à Berne reste étroit. «J’ai reçu deux ou trois messages de collègues qui trouvent incroyable que j’aie été réélu. Les mêmes qui, en 2019, me disaient que je ne pouvais pas défendre le Valais parce que je ne représentais pas les Valaisans, peu ouverts et sensibles à l’écologie à leurs yeux. Ce Valais version Far West à l’image des pelleteuses de Zermatt. Bien sûr, les médias jouent parfois avec ces stéréotypes. Mais aujourd’hui, le Valais est multiple et une frange croissante de sa population souhaite un développement différent en termes d’urbanisation et de tourisme», estime la locomotive verte du Vieux-Pays, grâce à qui son parti a limité la casse (–2,2% par rapport à 2019, contre –3,8% au niveau national). Des chutes en cascade aux causes multiples selon lui. «Le déclenchement de la guerre en Ukraine a bouleversé l’agenda politique et les priorités des gens. En quelques semaines, l’immigration, la crise énergétique et les conséquences sur le pouvoir d’achat sont devenues des thèmes prioritaires, qui ont largement favorisé l’UDC. Quant au PS, il a profité selon moi de la récente annonce de l’augmentation des primes maladie. Son score aurait-il été différent si ces données avaient été divulguées en mars?» interroge, un brin malicieux, celui qui est aussi professeur associé à l’Institut de géographie et durabilité à l’Université de Lausanne.
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«Toujours l’économie qui prime…»
S’il trouve certaines vertus à la désobéissance civile, celui qui fut aide-jardinier à Hambourg et agent d’exploitation à Alusuisse avant d’entamer ses études en sciences politiques à Lausanne et à Genève regrette également certaines actions d’Extinction Rebellion, qui ont pesé sur les résultats de son groupe. «A trop vouloir éveiller les consciences, on finit par énerver les gens», résume-t-il, prudent, en confessant toutefois dans la foulée qu’adoucir un peu les positions souvent jugées trop rigides des Verts pourrait aussi aider à remonter la pente. «Peut-être que nous sommes trop droits dans nos bottes parfois», admet-il, avant de livrer les contours de ses prochains combats, comme membre – ou pas – de la Commission de l’environnement: économie circulaire, biodiversité et santé publique. «Un dossier où je ne lâcherai rien, c’est celui de l’interdiction des cigarettes électroniques jetables. Un fléau écologique et sanitaire, chez les jeunes surtout, à qui l’on donne de plus en plus de saloperies alors que le diabète fait des ravages et que les coûts de la santé explosent. Malheureusement, comme pour l’affaire de Zermatt, c’est toujours l’économie qui prime. Il faut que ça change!» prévient Christophe Clivaz qui, tout compte fait, se sent de plus en plus à l’aise dans son costume de marathonien…
Glacier du Théodule: «Une affaire choquante qui a heurté une grande partie de la population»
Le champion des Verts valaisans reconnaît avoir été favorisé par l’affaire du glacier du Théodule, à Zermatt, mais se désole d’être le seul élu à crier au scandale.
«Je ne comprends pas qu’on puisse cautionner le massacre d’un glacier même si on est de droite.» S’il avoue humblement qu’en pleine élection les images chocs des pelleteuses en train d’éventrer le glacier du Théodule lui ont sans doute donné un bon coup de pouce dimanche, Christophe Clivaz dit sa déception de ne pas entendre d’autres élus du canton dénoncer (sic) «cette aberration écologique». «Les autorités cantonales et communales ne sont pas très bavardes», s’étonne-t-il. Lui ne s’en est pas privé. Via les réseaux sociaux puisque, équité oblige, les médias n’ont pas voulu lui offrir cette tribune à l’approche du verdict électoral. «D’un côté, un village sans voitures avec des bus électriques et la volonté d’être une destination «Swisstainable», de l’autre, un glacier éventré juste pour faire une course de la Coupe du monde de ski et la recherche de toujours plus de touristes asiatiques et américains au bilan carbone désastreux. Grand écart assuré», écrivait-il avec un brin d’ironie vendredi dernier sur son compte LinkedIn, en proposant à ses suiveurs de signer une pétition pour contraindre la Fédération internationale de ski (FIS) de prendre sérieusement en compte la question climatique dans l’organisation de son calendrier et de ses compétitions.
«Cette affaire est choquante et a d’ailleurs choqué une grande partie de la population. Elle est complètement révélatrice de ce système autour du ski, qui privilégie la consommation à tout prix au mépris des enjeux écologiques. Tout le monde parle de protection de l’environnement mais, au final, on se rend compte que c’est le profit avant tout. Y compris dans une destination qui n’a absolument pas besoin de ça pour bien vivre», constate ce titulaire d’un doctorat en administration publique, dont les travaux actuels se focalisent sur les questions de gouvernance des lieux touristiques, en particulier les stations de montagne et les parcs naturels. «C’est aussi pour cela que je m’engage en politique. Pour un tourisme compatible avec notre nature et nos paysages qui est bénéfique à la population locale.»