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Reportage

Le jour où Genève a viré à droite

La droite genevoise attendait cela depuis seize ans. En remportant haut la main le second tour de l’élection au Conseil des Etats, le candidat du MCG Mauro Poggia ravit un siège à la gauche, qui monopolisait les deux fauteuils du canton depuis 2007. La Verte Lisa Mazzone est éjectée de son siège et annonce son retrait de la politique. Récit du dimanche où tout a basculé.

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élections fédérales - Mauro Poggia fête sa victoire

Pari réussi pour la droite, qui parvient à faire entrer le MCG Mauro Poggia au Conseil des Etats. Enfin, pari à moitié réussi. Malgré un score historique pour le parti (40 371 suffrages), la candidate de l’UDC, Céline Amaudruz, ne s’emparera pas du deuxième siège de la gauche.

Niels Ackermann/Lundi13

Ce dimanche matin d’une grisaille déprimante, comme le mois de novembre en a le secret, seule la pluie bat les pavés de la Vieille-Ville genevoise. Il y a bien le plateau de la chaîne régionale Léman Bleu, installé sous les arcades de l’ancien arsenal, pour renseigner sur la tenue du second tour au Conseil des Etats, mais les badauds – à l’exception de quelques intrépides touristes, vêtus de pèlerines de fortune chiffonnées – ont déserté la Cité de Calvin.

Pourtant, il y aurait de quoi trépigner. La journée électorale pourrait se révéler historique pour le canton du bout du lac. La droite – forte de son alliance créée au printemps dernier rassemblant le PLR, le Centre, l’UDC et le MCG – parviendra-t-elle à briser l’hégémonie de la gauche, qui monopolise la représentation genevoise au Conseil des Etats depuis 2007, en lui chipant un, voire deux fauteuils? 

Ce sont quatre cadors de la politique genevoise qui s’affrontent pour ce second tour extrêmement serré. Avec, à la gauche, le tandem des sénateurs sortants, le socialiste Carlo Sommaruga (64 ans) et la Verte Lisa Mazzone (35 ans), et, à la droite, un ticket inédit composé des deux candidats populistes, le MCG Mauro Poggia (64 ans) et l’UDC Céline Amaudruz (44 ans). 

Au premier tour des élections fédérales, le 22 octobre, Mauro Poggia avait cassé la baraque en obtenant 38 761 suffrages, mais ses poursuivants de l’alliance rose-verte se tenaient dans un mouchoir de poche, à un millier de voix. Céline Amaudruz occupait la quatrième position, accusant un retard de 10 000 suffrages. Mais les cartes pouvaient être rebattues, car il restait deux inconnues et non des moindres. L’alliance de droite allait-elle porter ses fruits? Vers qui iraient les voix des électeurs du PLR et du Centre? 

L’aura de Mauro Poggia
 

Au Restaurant de l’Hôtel-de-Ville, le score réalisé au premier tour par l’ancien ministre de la Santé n’a pas surpris outre mesure François Baertschi, président du MCG. «Mauro a une aura à Genève, héritée notamment de son expérience d’avocat et de conseiller d’Etat. On savait qu’il pouvait ratisser large, dépasser le clivage gauche-droite afin de capter des électeurs au-delà du MCG.» Si le président du parti anti-frontaliers se montre confiant, il rechigne toutefois à livrer un pronostic. «Cela porte malheur», se justifie-t-il. Tout juste concède-t-il du bout des lèvres éprouver une certaine excitation à l’idée de voir son candidat propulsé à Berne avant de nous inviter à le suivre au premier étage de la brasserie, là où le MCG a établi son quartier général, paré pour l’occasion d’une ribambelle de drapeaux rouge et jaune.  

D’ailleurs, pourquoi ne pas avoir fait comme l’alliance rose-verte et opté pour un seul et même stamm avec l’UDC? «Pour des raisons de logistique», assure François Baertschi. «Mon œil!, nous glissera plus tard à l’oreille une députée de gauche sous le couvert de l’anonymat. Une vraie alliance de façade.»

De la fenêtre du restaurant, on aperçoit une foule de plus en plus compacte se masser autour du plateau de Léman Bleu pour l’annonce imminente des résultats. Au stamm du MCG, l’arrivée du ténor Mauro Poggia se fait sous les applaudissements. Dans quelques minutes, l’ancien ministre genevois de la Santé saura s’il reprendra la route de Berne pour la deuxième fois (entre 2011 et 2013, il avait siégé au Conseil national, avant de le quitter pour rejoindre le gouvernement genevois). «C’est moi qui devrais avoir le trac, pas vous», lance-t-il à son fan-club, soudain devenu silencieux face à l’enjeu. 

A 12 h 45, les résultats tombent. Mauro Poggia arrive en tête du second tour du Conseil des Etats avec 55 317 voix, devançant le socialiste Carlo Sommaruga, élu lui aussi, de près de 9000 suffrages. L’écologiste Lisa Mazzone, troisième à un millier de voix de son colistier, est éjectée de son fauteuil de sénatrice. Céline Amaudruz se hisse en quatrième position et atteint un score inédit à Genève pour une candidate de l’UDC, avec 40 000 suffrages. Un jour historique pour la droite genevoise.

Mauro Poggia fête sa victoire au au stamm du MCG

Explosion de joie au stamm du MCG. Mauro Poggia remporte la mise, haut la main.

Niels Ackermann/Lundi13

Cris de joie des militants en liesse, le sénateur MCG fraîchement élu disparaît sous la nuée des journalistes, venus en nombre pour capter ce moment triomphal. «Il y a quelques mois, on prédisait la mort du MCG, adresse-t-il aux caméras. Voyez comme il a progressé. Cela prouve que, contrairement à ce que pense une élite bien-pensante de ce canton, il y a des gens dans la rue qui souffrent et qui, tous les jours, ont de la peine à joindre les deux bouts.» Mauro Poggia glisse un mot à l’intention de sa colistière malheureuse: «Je voudrais remercier Céline Amaudruz pour cette campagne que nous avons menée ensemble. En la faisant à deux, on apprécie la personne au-delà des couleurs politiques. Et on souffre aussi avec, quand celle-ci est victime d’attaques injustifiées.» 

«Un œil qui rit, un œil qui pleure»
 

L’homme du jour enfile son manteau, direction le stamm de l’UDC, au restaurant Les Armures, pour saluer sa colistière, qui n’a pas encore fait son apparition. Kevin Grangier, le président de l’UDC Vaud, «venu en ami», résume les sentiments contrastés qui se dessinent sur les visages des membres du parti. «J’ai un œil qui rit et l’autre qui pleure. Il rit, car la droite a enfin mis un terme au duopole de gauche à Genève. L’autre pleure pour Céline, qui n’est pas élue.»

élections à Genève - Céline Amaudruz se prête au jeu de l’interview malgré sa défaite

Malgré sa déception, Céline Amaudruz se prête au jeu de l’interview en compagnie de son mari, Michael Andersen (à droite).

Niels Ackermann/Lundi13

Sous les arcades de l’ancien arsenal, on croise Charles Poncet (UDC), l’avocat genevois nouvellement élu au Conseil national, à l’âge de 76 ans. «Il s’agit d’un résultat historique pour l’UDC à Genève. Et tout le mérite revient à Céline, qui est parvenue à dédiaboliser le parti et à le placer au centre de la vie politique du canton.» Toutefois, la jubilation laisse rapidement place à la colère causée par la non-élection de Céline Amaudruz à la Chambre haute. Et pour l’avocat, les coupables sont toutes désignées, ce sont les Femmes du Centre. Pour rappel, le 30 octobre, dans une prise de position, ces dernières refusaient «d'être associées à cette alliance et bien évidemment à toute propagande raciste de l'UDC». «Nous nous en souviendrons», peste-t-il avant de réajuster son bonnet.

Immense déception à gauche
 

Arrivée en Vieille-Ville quelques minutes auparavant accompagnée de son mari, Céline Amaudruz, visiblement émue, joue la carte de l’apaisement, même si elle a été blessée par le comportement des Femmes du Centre. «Je regrette toujours quand des femmes s’en prennent à des femmes. En l’occurrence, à une femme… Cette désunion est regrettable. Elle m’a probablement fait du tort. A Lisa, aussi. Il n’y a plus de représentation féminine au Conseil des Etats, c’est regrettable.»

élections à Genève - Céline Amaudruz salue Lisa Mazzone

Triste journée pour les candidatures féminines à Genève. Céline Amaudruz salue Lisa Mazzone, ici avec son compagnon, qui a annoncé son retrait de la politique.

Niels Ackermann/Lundi13

A gauche, les mines sont fermées et les yeux embués. L’élection de Carlo Sommaruga ne parvient pas à éclipser la grande défaite du jour, celle de la prodige de la politique, l'écologiste Lisa Mazzone. «Je suis très déçu, confie le conseiller national vert Nicolas Walder. C’est injuste pour Lisa. En regard notamment de son investissement et de l’aura qu’elle donnait à Genève au-delà de la Suisse romande.» Il ajoute: «Pour la première fois depuis longtemps, il n’y a plus de femme pour représenter Genève à la Chambre des cantons. Pour les jeunes, pour les femmes, pour celles et ceux qui veulent regarder vers l’avenir, c’est un échec. Pour notre parti aussi. Il va falloir comprendre ce qu’il s’est passé et travailler.»

la défaite de Lisa Mazzone est scrutée au stamm de l’UDC

Au stamm de l’UDC, la défaite de Lisa Mazzone est scrutée entre deux fondues.

Niels Ackermann/Lundi13

A quelques pas, l’ancien conseiller national Ueli Leuenberger (Les Vert-e-s/GE) ne mâche pas ses mots. Le score réalisé par la droite l’horripile. «J’ai été très impliqué dans cette campagne. J’ai vu comment les électeurs ont été trompés par les discours de la droite et de l’extrême droite pour reprendre les sièges verts et socialistes. La droite traditionnelle a été cocufiée par ses extrêmes. L’esprit de la Genève internationale a pris un sacré coup aujourd’hui. Et je suis très triste pour Lisa.»

Emue aux larmes, Lisa Mazzone annonce son retrait de la politique. A 35 ans, la politicienne à l’ascension fulgurante met un terme à sa carrière, après huit années passées sous la Coupole. Un peu à l’écart, elle tente encore de faire bonne figure, mais le cœur n’y est plus. «J’ai donné beaucoup de cœur, de conviction, d’énergie et de détermination dans mon engagement. Je suis très fière et honorée d’avoir pu le faire. Une page se tourne pour moi», dit-elle avant de s’éloigner sous une pluie battante. Triste comme un mois de novembre.

élections à Genève - Mauro Poggia et Carlo Sommaruga se saluent

Les deux élus du jour, Mauro Poggia (MCG) et Carlo Sommaruga (PS), qui se sont allègrement houspillés durant la campagne. Leur collaboration à Berne s’annonce colorée.

Niels Ackermann/Lundi13
Par Alessia Barbezat publié le 18 novembre 2023 - 05:23