Les jeux en bois ont toujours autant de succès auprès des enfants et des adultes. Des marques comme Cuboro, Naef ou Trauffer ont su instaurer la tradition du jouet en bois en Suisse. Loin de ces grandes entreprises, des artisans romands sont aussi inspirés qu’inspirants dans leurs créations ludiques. Vendus, loués, prêtés ou offerts, les jeux qu’on vous présente reflètent la personnalité de leurs fabricants, tous passionnés par cette matière vivante. «L’illustré» est donc parti à la rencontre des mains habiles qui confectionnent cramalet, kubb ou petites voitures de course.
«J’ai créé des jouets que je ne pouvais pas m’acheter enfant»
Marcel Béguelin, 80 ans, Baulmes (VD)
«Je crée, je crée, je crée. Quand je vois un bout de bois, je fais quelque chose avec.» Dans l’atelier de Marcel Béguelin, avions, camions, voitures de course et chats à roulettes s’empilent. Voilà près de cinquante ans que l’octogénaire fabrique des jouets en bois pendant son temps libre. «J’ai commencé comme dessinateur machine. J’ai fait mon apprentissage dans le canton de Schaffhouse, dans l’usine de SIG, qui fabriquait des wagons de train, marchandises et personnel. J’ai dessiné des wagons de chemin de fer.» Un savoir-faire qui se retrouve aujourd’hui en version miniature. «J’ai créé des objets que je ne pouvais pas m’acheter enfant: des avions, des bus, des voitures de course. Enfant, j’avais peu de jouets, car c’était cher et mes parents étaient modestes.»
Malgré le stock immense qui se répand dans son atelier au sommet d’un étroit escalier, Marcel ne projette pas d’en faire un commerce. Il a bien fait quelques expositions pour montrer ses créations, mais ce qu’il préfère, c’est les offrir. Avec sa moustache blanche, il a un petit air de Père Noël qui distribue des cadeaux. «J’ai une liste dans un carnet! Il y a plein d’enfants dans le quartier. Je fais aussi des jouets pour la garderie. Et, bien sûr, pour la famille.»
Ses jouets, des pièces uniques, ne sont faits quasiment que dans du bois de récupération. «J’achète de temps en temps des planches, mais il y a surtout beaucoup de gens qui m’apportent du bois qu’ils n’utilisent plus.» Des tiroirs voués à la déchetterie, de vieux skis et snowboards débarrassés d’une usine ou encore les piquets de clôture d’un ami paysan, tout est bon pour devenir un avion ou un camion. Quant aux roues des petits véhicules, elles proviennent souvent des branches qu’il récupère en taillant les arbres dans son propre verger. Et c’est la matière elle-même qui lui inspire les formes des objets: «Parfois, je découpe une planche et puis je me rends compte que le reste ressemble déjà à un animal.» De la voiture de course au chat à roulettes, la hotte est pleine de cadeaux.
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«Le bonheur, c’est de voir les jeunes jouer»
Édouard Fasel, 82 ans, Le Landeron (NE)
Il était en vacances en France avec son épouse lorsque l’idée de créer des jeux en bois a commencé à germer. Edouard Fasel, 82 ans, décrit avec enthousiasme les œuvres observées là-bas: «Les jeux étaient en bois noir, en noyer ou en cerisier, avec une finition extraordinaire. Le vernis était impeccable, on n’osait presque pas les toucher.» De retour en Suisse, c’est une fête médiévale à Estavayer-le-Lac qui ancre le projet. «Des jeunes gens jouaient au jeu de kubb et ils m’ont expliqué les règles. Je suis rentré et, une heure après, mon jeu était fait.» Le kubb, qui se joue en plein air, consiste à faire tomber des blocs de bois avec un bâton que l’on lance. La deuxième création d’Edouard est aussi une sorte de jeu de quilles: le mölkky. «Je suis allé en forêt et j’ai pris de la défriche. Ensuite, j’ai coupé de biais, j’ai ajouté les numéros de 1 à 12, et c’était prêt!»
En n’utilisant que du bois de récupération, il enchaîne les créations. D’abord pour lui-même, puis pour sa famille. Petit à petit, le bouche à oreille aidant, il est contacté par des enseignants qui souhaitent occuper leurs élèves avec une activité sportive et originale. Les jeux géants sont prêtés, puis loués. «J’ai prêté à Terre des Hommes, qui a fait des journées pour les enfants. J’ai prêté aussi à Neuchâtel Rando.» Et si les enfants sont toujours enthousiastes, les adultes se montrent également curieux et finissent souvent par se laisser convaincre de disputer une partie.
Dans son minuscule atelier au bord du lac de Neuchâtel, Edouard Fasel, qui assure en souriant avoir «tout ce qu’il faut» malgré l’étroitesse du lieu, fabrique à présent de plus petites pièces, à l’image du puluc, un jeu de plateau que l’on peut poser sur une table et transporter facilement. Avant de fabriquer des jeux en profitant de sa retraite, Edouard travaillait le bois en tant que restaurateur en mobilier. Aujourd’hui, il s’inspire de discussions ou de vidéos dénichées sur internet pour construire de nouveaux jeux. «Je m’amuse! Mais ce qui est du bonheur, c’est de voir les jeunes jouer.»
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«On a fait pas mal de prototypes pour que ça fonctionne»
Bénédicte Loeffel, 33 ans, Vollèges (VS)
Enfant, elle était déjà bricoleuse. Aujourd’hui, Bénédicte Loeffel, 33 ans, crée toujours, mais pour d’autres enfants. «J’ai un CFC de polydesigner 3D, j’ai pas mal travaillé avec des machines et fait de la construction. Par contre, j’ai peu de connaissances techniques, donc quand j’ai commencé les jeux, je me suis associée à mon papa, qui est aussi très bricoleur.» Grâce à un échange d’idées, les plateaux de cornhole, de billard japonais ou de remonte-bille prennent forme. «On a dû faire pas mal de prototypes pour que ça fonctionne», rigole la jeune maman d’un garçon de 15 mois. L’un des critères mis à l’épreuve durant les premiers essais concernait la sécurité, car les jeux sont destinés aux enfants dès 10 ans. A l’avenir, la fabricante souhaite aussi développer des articles pour les tout-petits.
Active dans le milieu de l’événementiel, Bénédicte a commencé à fabriquer ses jeux de société géants durant la période du covid. «Dans mon secteur, tout était arrêté. Quand on nous a dit de rentrer chez nous et d’attendre, c’était chouette d’avoir ce nouveau projet et de ne pas rester à rien faire.» Elle construit alors trois séries de 15 jeux qu’elle propose aujourd’hui encore à la location sous sa marque Wooderful. Les occasions sont multiples, les clients variés. «Ça peut aller du simple anniversaire à la fête de famille ou à un mariage, et jusqu’à une entreprise qui fait une journée pour ses collaborateurs.»
Les demandes s’enchaînant, Bénédicte se lance ensuite dans la vente, mais pas toute seule: «Ma situation a changé; maintenant, j’ai un enfant et il est difficile de tenir des délais de production. J’ai mandaté Dany Morard, un menuisier autodidacte. Je lui ai montré les plans des jeux et il fait même mieux. Par exemple, il grave le logo et le remplit avec de l’époxy, alors que moi, je le fais simplement avec un chablon et de la peinture.» Pour celle qui chérit la présence de collègues de travail, c’est également un soulagement. «J’ai eu des moments où je me levais à l’aube pour peindre ou poncer un jeu avant de partir au bureau!»
«J’en fais 200 pièces et j’en vernis une vingtaine à la fois»
Martial Hegel, 47 ans, Semsales (FR)
«J’aime beaucoup les jeux de société. On y joue deux à trois heures par semaine avec les enfants.» Martial Hegel, 47 ans, expérimente ses propres jeux fabriqués dans son atelier à Semsales (FR). «Il y a sept ans, j’en ai eu ras le bol du boulot où j’étais. J’ai fait un stage de maître socioprofessionnel en pensant peut-être changer de voie. Ensuite, je me suis mis à mon compte en vendant justement des articles produits par des gens en situation de handicap.» Ainsi, plusieurs jouets figurant dans sa boutique en ligne sont manufacturés par l’Atelier Passage.
Aujourd’hui, il alimente son entreprise, L’Objet bois, avec divers jeux qu’il fabrique lui-même. «J’ai commencé avec la Cata’Tell pour la ludothèque de Savigny.» Dans ce jeu de lancer, où le but est de faire tomber la pomme de la tête du fils de Guillaume Tell, un système de catapulte envoie un projectile. Ce premier jeu était aussi le plus complexe, «car il y a des parties articulées, avec des tendeurs et des élastiques». Après cela, il y a eu l’échiquier: «Toutes les cases sont décalées de 5 millimètres, le plateau se creuse vers le centre. C’est un jeu en 3D, ça change pas mal la perspective quand on joue aux échecs.»
S’il voudrait développer la construction de jeux de société, Martial Hegel garde pour l’instant son activité d’ébéniste. «Un meuble, je n’en fais qu’un seul à la fois. Avec les jeux, on fait une série. Les cramalets (ou charrets), par exemple, j’en ai fait 200 pièces et j’en vernis une vingtaine à la fois.» Un projet futur se trouve à la frontière entre les deux: «C’est un meuble pour jouer, sourit l’artisan en décrivant une table particulière. Des pièces se fixent sur les bords de la table pour mettre des pions, des jetons, des cartes.» Il espère terminer ce projet dans les mois à venir. D’ici là, il sera présent à plusieurs marchés de Noël, notamment à Clarens et à Châtel-Saint-Denis. Des moments qu’il apprécie pour la qualité des échanges avec la clientèle. «Quand un client vous dit: «Ça fait des années que je cherche ce jeu» et que vous avez l’objet devant lui, ça fait toujours plaisir.»