Avant de régner dans un monde matriarcal créé à sa mesure – Barbie Land –, d’où vient Barbie? Ses racines sont allemandes. Sa grande sœur s’appelle Bild Lilli, un personnage de bande dessinée érotique créé en 1952 par Reinhard Beuthien pour le quotidien «Bild Zeitung». Trois ans après son apparition, Rolf Hausser, un fabricant de jouets à la tête de l’entreprise familiale O. & M. Hausser, a eu l’idée de fabriquer une poupée à son effigie. Lancée le 12 août 1955, Lilli a connu un énorme succès et les commandes ont afflué de toute l’Europe. Cette poupée mannequin aux mensurations inouïes (99-48-84) possédait une garde-robe de 100 tenues différentes. Interviewé en 1999, Rolf Hausser, alors âgé de 90 ans, nous avait raconté le processus ayant mené au dépôt de trois brevets pour le cou, l’implantation des cheveux et l’articulation de la hanche. «A l’époque, quand on mettait les poupées en position assise, elles écartaient les jambes. C’était impudique. On avait trouvé un moyen pour qu’elles restent parallèles.»
Paradoxalement, c’est le succès phénoménal de Lilli qui a signé sa chute. En 1956, alors qu’elle voyageait en Suisse avec son mari Eliot, sa fille Barbara, âgée de 15 ans, et son fils Kenneth, Ruth Handler, cocréatrice de la société de jouets Mattel, a découvert une poupée Lilli en tenue de ski dans une vitrine lucernoise. De retour aux Etats-Unis avec un exemplaire dans sa valise, elle a décidé d’en créer une version américaine qu’elle a prénommée Barbie (le diminutif de Barbara) et qu’elle a lancée au salon du jouet de New York en 1959. La première année, 350 000 poupées ont été vendues au prix de 3 dollars pièce. «Elle (Ruth Handler, ndlr) nous a volé notre modèle! Ce n’est que bien plus tard, en 1964, que Mattel nous a racheté les droits sur Lilli. Mais, entre-temps, elle en avait déjà vendu pour 90 millions de dollars!» nous confiait Rolf Hausser. Il a vendu l’exclusivité mondiale de ses droits pour une somme de 69 500 marks de l’époque mais sa compagnie, privée des revenus de Lilli, est tombée en faillite peu après.
Du succès à la remise en question
Depuis sa création, la poupée mannequin de 64 ans a évolué avec son temps. Elle n’a toujours pas d’enfants, n’est pas mariée et sait tout faire ou presque, exerçant 150 métiers: elle fut businesswoman dès 1963, astronaute en 1965, chirurgienne en 1973, agent secret, conceptrice de jeux vidéo et même candidate à l’élection présidentielle des Etats-Unis en 1992. Elle a également été la muse d’Andy Warhol, qui a réalisé son portrait en «1986: Barbie, Portrait of BillyBoy». L’œuvre a été adjugée par Christie’s en 2014 pour la somme de 722 500 livres (environ 927 000 euros). La première Barbie noire, prénommée Christie, a fait son apparition en 1968, quatre ans après le Civil Rights Act de 1964 qui mettait officiellement fin à toute forme de discrimination. En 1998, Becky est apparue dans son fauteuil roulant, qui était hélas trop grand pour entrer dans la maison de Barbie. Mattel a repensé les choses en 2019.
Au début des années 2000, la poupée mannequin a perdu de son attrait. Les filles lui préféraient les poupées Bratz, apparues en 2001, plus en phase avec l’esthétique du moment et les icônes de la culture pop: grosses lèvres, grands yeux maquillés et larges hanches à peine cachées par des minijupes. Entre 2012 et 2014, les ventes de Barbie ont chuté de 20%.
Pour relancer les ventes, Mattel a décidé de suivre les courants sociétaux et a créé des versions plus inclusives de sa poupée. Le corps de Barbie avait été ostracisé en 1997 par la marque de cosmétiques Body Shop dans une campagne où l’on voyait une Barbie au corps «rubenesque» avec ce slogan: «Il y a 3 milliards de femmes qui ne ressemblent pas à des top-modèles et seulement 8 qui leur ressemblent.» La campagne avait fait du bruit mais pas assez pour faire changer les choses.
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Barbie épouse l’air du temps
Vingt ans plus tard, après avoir travaillé sur un projet secret baptisé Project Dawn, Mattel a revu sa copie. En 2016, le constructeur a proposé sa poupée fétiche en quatre silhouettes: classique, petite, grande et ronde. Pour correspondre à toutes les typologies, elle possède 30 couleurs de cheveux, sept couleurs de peau et arbore 24 visages différents, ce qui a valu à Barbie de faire la une du magazine «Time». En 2022, Mattel a lancé la Barbie transgenre, inspirée de l’actrice Laverne Cox, et, en avril 2023, la Barbie porteuse de trisomie 21 a été créée en partenariat avec la National Down Syndrome Society. Le slogan «You can be anything» (tu peux devenir ce que tu veux) prend tout son sens aujourd’hui.