La reine est morte, vive le roi! Au terme d’un règne de plus de 70 ans, le plus long de l’histoire britannique, la reine Elisabeth II est morte «paisiblement» le jeudi 8 septembre, à l'âge de 96 ans, dans son château écossais de Balmoral où elle se reposait, en vacances. Le matin de son décès, elle avait annulé une réunion en visioconférence, sur les conseils de ses médecins qui se disaient «préoccupés» par son état de santé, qui s’est brusquement dégradé jusqu’à l’issue fatale.
Les funérailles officielles auront lieu le lundi 19 septembre à Londres à midi, a annoncé samedi le palais de Buckingham. Pas moins de 2000 dignitaires et chefs d’Etat sont attendus. Le jour des obsèques a été déclaré férié par le nouveau roi Charles III.
Charles et sa sœur Anne, qui séjournaient en Ecosse la semaine dernière, ont été les seuls membres de la famille royale à pouvoir saluer leur mère avant son trépas. La mort d’Elisabeth II, véritable ciment du Royaume-Uni, marque la fin d’une ère. Les hommages ont été unanimes, y compris en provenance de Moscou, même si Vladimir Poutine ne fera pas le voyage de Londres le 19 septembre.
Le cercueil de la reine reposait dimanche matin encore dans la salle de bal de Balmoral, recouvert d’une couronne et de la bannière royale écossaise. Selon le protocole minuté de l’«opération Licorne», un titre digne d’un «James Bond» – on se souvient de la séquence hilarante tournée par Elisabeth II avec Daniel Craig et diffusée lors de l’ouverture des Jeux olympiques de Londres en 2012 –, la dépouille royale a entamé dimanche son dernier voyage par la route.
Sur la BBC, certains témoins privilégiés ont tenu à rappeler, depuis jeudi, combien la reine Elisabeth II était une figure attachante et pleine d’humour. Lors de ses séjours à Balmoral, elle se plaisait à s’aventurer parfois hors les murs, accompagnée du seul officier Richard Griffin, ancien membre des services de protection de la famille royale, qu’elle surnommait Dickie.
Un jour qu’ils étaient en promenade, deux randonneurs américains, en vacances, les abordent et entament une brève conversation, sans avoir reconnu la reine. Ils lui demandent où elle vit. Elle répond avec malice: «A Londres, mais j’ai une maison de vacances dans ces collines...» Les touristes insistent, intrigués: «Vous est-il arrivé d’apercevoir la reine?» Sans se démonter, Elisabeth II répond: «Pas particulièrement, mais Dickie, lui, la rencontre régulièrement.» Là-dessus, les touristes tendent à la souveraine, qu’ils n’auront jamais identifiée, un appareil photo, demandant qu’elle les immortalise avec… le garde du corps. Ce dernier raconte: «Nous avons ensuite échangé nos places, ils ont pris une photo avec la reine et nous nous sommes quittés, sans leur en dire plus...» Mythique.
Dans un silence impressionnant, signe d’un recueillement profond, le corbillard royal a quitté Balmoral ce dimanche à 11 heures (10 heures heure locale) pour traverser en premier lieu le village de Ballater – où la reine aimait se rendre –, la ville côtière d’Aberdeen précédée de Banchory et de Dundee enfin, avant de rejoindre la capitale, Edimbourg, et sa destination: le palais de Holyroodhouse, qu’il a atteint en empruntant le Royal Mile, l'artère principale de la capitale écossaise.
Le palais de Holyroodhouse constituait la résidence officielle de la reine en Ecosse, même si elle lui préférait Balmoral. Ce lundi 12 septembre, le roi Charles III et la reine consort Camilla participeront à une procession de Holyroodhouse à la cathédrale Saint-Gilles, où le cercueil sera transporté.
La foule, vêtue de couleurs sombres, est restée silencieuse au passage du corbillard royal en Ecosse. Pas ou très peu d’applaudissements, très peu de fleurs (pour respecter le vœu des Windsor), mais des têtes inclinées, des larmes, des mots murmurés, des smartphones tendus pour filmer le moment. Un silence poignant. Une émotion tangible. «Le passage du corbillard rend les choses réelles», confiait sur BFMTV une femme présente à Aberdeen.
Aux abords du palais de Holyroodhouse, à Edimbourg, Gary Millar, un technicien âgé de 45 ans, résumait bien le sentiment des Ecossais ce dimanche. «Elle nous a honorés pendant tout son règne en accomplissant son devoir. C'est le moment de lui marquer notre respect.» De nombreux témoins ont loué la stabilité qu’elle personnifiait. Elle incarnait l’histoire, elle qui était la dernière dirigeante de la planète à avoir vécu la Deuxième Guerre mondiale. Elle avait 13 ans en 1939.
La discrétion des applaudissements en Ecosse contrastait avec les scènes plus joyeuses vues à Londres la veille, en marge de la proclamation du roi Charles III, et hier encore à l’arrivée de ce dernier à Buckingham. Sur le plan politique, le nouveau souverain aura fort à faire, en particulier pour sauver l’intégrité du Royaume-Uni, que l’Ecosse a répété vouloir quitter depuis le Brexit. Au-delà, l’existence même du Commonwealth est menacée. Certains pays, comme la Barbade, ont déjà quitté l’alliance. L’Australie parle d’en faire autant, même si le roi Charles III y a été proclamé, comme en Nouvelle-Zélande.
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Samedi, à Londres, au terme d’un cérémonial centenaire, télévisé pour la première fois, le Conseil d'accession, assemblée protocolaire réunie au palais Saint-James, a fait cette annonce historique: «Le prince Charles Philip Arthur George est maintenant, par la mort de notre dame souveraine d'heureuse mémoire, devenu notre Charles III... Que Dieu garde le roi.» La première ministre, Liz Truss, ses six de ses prédécesseurs, de John Major, 79 ans, à Boris Johnson, étaient présents. Pour la première fois, les Britanniques ont entonné un «God Save the King» pour marquer la succession.
Le nouveau roi, Charles III, a promis de marcher sur les traces de sa mère. Le choix de garder son prénom a un peu décontenancé les spécialistes de la monarchie britannique, qui n’ont pas manqué de rappeler que les deux premiers Charles avaient connu un destin tragique.
Charles Ier s’est distingué en déclenchant une guerre civile en 1642, qu’il a perdue six ans plus tard. Jugé pour haute trahison, il finira décapité le 30 janvier 1649. Quand Charles II est couronné une décennie plus tard, le royaume est en souffrance. Une épidémie de peste frappe Londres, ensuite ravagée en 1666 par un immense incendie. Charles II ne laisse aucun héritier direct, mais une ribambelle d’enfants illégitimes. Il finira par abandonner le trône à son frère Jacques II. Sans gloire.
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On devine que le nouveau souverain britannique Charles III, proclamé roi ce dimanche par le parlement du Pays de Galles, ceux d’Irlande du Nord et d’Ecosse, a joué un rôle prépondérant dans l’apparition, simultanée, du nouveau prince de Galles, William, héritier de la Couronne, et du prince Harry, accompagnés de leurs épouses Kate et Meghan, samedi dans la cour du château de Windsor. Un moment de réconciliation symbolique. Une parenthèse. Les deux frères n’étaient plus apparus ensemble en public depuis mars 2020.
La chaîne de télévision Sky News a diffusé une vidéo partagée sur le réseau social TikTok, dans laquelle Kate, princesse de Galles, révèle que Louis, le cadet de ses trois enfants, lui a confié que la reine Elisabeth II se trouvait «maintenant avec [son] arrière-grand-papa» le prince Philip, disparu en avril 2021 à l'âge de 99 ans. Touchant.
Le Royaume-Uni se recueille. Le mardi 13 septembre, la dépouille d’Elisabeth II sera transportée à l'aéroport d'Edimbourg pour être emmenée à Londres, puis au palais de Buckingham. Le roi Charles III voyagera à ses côtés. Le lendemain, le mercredi 14 septembre, à 15 h 22 précises, la procession transportera la reine défunte en calèche de Buckingham à Westminster, suivie du roi Charles III, des membres de la famille et du personnel de la maison royale. On attend 1 million de personnes.
L'archevêque de Canterbury, Justin Welby, prononcera un sermon à 16 heures, en ce lieu où Elisabeth s’est mariée en 1947 avant d’y être couronnée le 2 juin 1953. Aucun service funèbre de monarque n'a eu lieu dans l'abbaye de Westminster depuis le XVIIIe siècle, mais les funérailles de la mère de la reine s'y sont déroulées en 2002. La reine sera ensuite exposée durant quatre jours à Westminster Hall 23 heures sur 24, afin que chacun puisse l’honorer.
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