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Aviation

Jean-Marc Thévenaz: «Je retiens des moments simples mais magiques»

Le 14 octobre 2022 restera inscrit dans la mémoire de Jean-Marc Thévenaz, directeur d’EasyJet Switzerland. A deux jours de ses 65 ans, il a activé les manettes d’un cockpit pour la dernière fois. L’occasion de dresser le portrait de ce passionné qui ne manque pas d’histoires à raconter.

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Jean-Marc Thévenaz

Le 14 octobre, à l’issue de son dernier vol, un Genève-Bordeaux aller-retour, pour le pilote-directeur passionné: «J’ai eu le temps de voir arriver l’instant fatidique.»

Magali Girardin
Carré blanc
Joëlle Misson-Tille

«C’est une chance de travailler avec Jean-Marc. Il est simple, chaleureux, toujours là pour son équipe. Toutes les compagnies aériennes n’ont pas la chance d’avoir un directeur aussi approchable», apprécie Michael Molina, membre de l’équipage du vol EasyJet 1371 de 10 h 40 de ce vendredi 14 octobre 2022. C’est que cet aller-retour Genève-Bordeaux n’est pas n’importe lequel. Il s’agit du dernier voyage en tant que pilote de Jean-Marc Thévenaz, cofondateur et directeur depuis vingt-trois ans de la filiale suisse de la compagnie au logo orange et blanc.

Fermer définitivement la porte du cockpit va le marquer, assurément. «Il ne faisait que trois à quatre vols par mois, mais c’était son petit bonheur, comme sa journée de repos», raconte sa femme Arianne, présente lors de la réception surprise qui a été organisée ce même jour par l’équipage d’EasyJet, dans ses bureaux de l’aéroport de Genève. Car l’homme qui a atteint 65 ans – âge limite pour un pilote – le 16 octobre est l’un des rares directeurs de compagnie aérienne qui ont continué de voler, tout en occupant la plus haute fonction administrative.

Bien sûr, Jean-Marc Thévenaz s’était préparé à raccrocher définitivement sa chemise à quatre galons, insigne du commandant de bord. «Cela ne vous tombe pas dessus du jour au lendemain, j’ai eu le temps de voir arriver le moment fatidique.» Et puis, il affirme que rien ne changera fondamentalement — à moins qu’il ne tente de s’en convaincre — puisqu’il reste à la tête d’EasyJet Switzerland. «Je retiens plein de petits moments, simples mais magiques, des vues depuis le cockpit et que vous n’avez depuis nulle part ailleurs, comme l’autre soir quand je me suis posé à Paris et que la tour Eiffel scintillait. Et puis, dans un cockpit, vous voyez toujours le soleil, même s’il fait gris en bas.»

En quarante-deux ans dans l’aviation, ce pilote-directeur ne manque pas d’anecdotes à raconter et il ne s’en prive pas, lui qui pourrait de son propre aveu «parler pendant cinq heures» si on lui en laissait la possibilité. Il raconte avec force détails ce jour de juillet 1987 où il a transporté, entre Genève et Lugano, la célèbre chanteuse Tina Turner, en pleine tournée de l’album «Break Every Rule». «A l’époque, nous avions une grande liberté sur les vols commerciaux et nous pratiquions le vol à vue. Nous avons survolé le Mont-Rose, tourné autour du Cervin et effectué un virage au-dessus de l’Aiguille-du-Midi. Tout le monde applaudissait, mais Tina Turner est sortie blanche de l’avion, parce qu’elle avait le mal de l’air. Ce voyage l’a tellement marquée qu’elle a raconté cette expérience de vol, avec un pilote complètement dingue qui avait frôlé les montagnes, dans le livret de l’album de sa tournée.»

On dit que l’appétit vient en mangeant. Pour Jean-Marc Thévenaz, la passion de l’aviation lui est venue… en volant. Forcé de renoncer à une carrière sportive après une blessure, il part à 23 ans au Québec pour obtenir ses licences de vol, avec pour seul objectif de «réaliser une expérience». Finalement, celle-ci lui aura donné le goût de «s’envoyer en l’air»: il reste cinq ans au Québec, lors desquels il travaille pour la patrouille anti-incendie du gouvernement, ainsi qu’en tant qu’instructeur de vol. Fan du Genève-Servette Hockey Club – «ce qui est terrible lorsque l’on vit dans le canton de Vaud» –, il reste passionné de sport et pratique, par pur plaisir, le badminton ainsi que beaucoup de ski. «J’ai un côté compétitif qui subsiste… Quand je joue un match, je n’aime pas beaucoup perdre», avoue-t-il un sourire en coin.

Et puis il y a eu EasyJet et la rencontre avec Stelios Haji-Ioannou, qui avait fondé la société mère en 1995. A l’époque directeur des opérations de la compagnie TEA Switzerland, Jean-Marc Thévenaz propose à Stelios de reprendre TEA et, ensemble, ils créent la filiale suisse de la compagnie low cost. Le Genevois d’origine, qui réside aujourd’hui à Apples (VD), en prend alors la direction. Son parcours chez EasyJet représente d’ailleurs une part extrêmement importante de sa vie, une histoire de famille et d’amitiés, aussi. Sa nièce, Céline Collé, n’est autre que la cheffe de cabine sur le vol de ce jour. Dominique, sa sœur, l’accompagne également: significatif, puisqu’elle était la première passagère de son frère, juste après l’obtention de sa licence il y a quarante-deux ans. Son fils est également de la partie, lui qui s’imagine volontiers suivre les traces de son père. Et sa femme, qu’il a épousée en 2012 – après un premier mariage duquel sont nés Maéva (25 ans) et Noah (22 ans) –, c’est chez EasyJet, encore, qu’il l’a rencontrée. Ce n’est que plusieurs années plus tard que le couple s’est formé, puis qu’ils ont eu une fille, Eléa, née en 2011.

Aujourd’hui, sa carrière de pilote se termine, mais Jean-Marc Thévenaz est loin d’être en fin de course. Comme il l’a répété plusieurs fois aux passagers en les saluant: non, il n’est pas à la retraite. Les défis ne manquent d’ailleurs pas, qu’il s’agisse de la transition écologique de l’aviation ou simplement d’assurer sa succession, une étape qui interviendra tôt ou tard. Mais c’est ce qui le fait vivre: «J’ai besoin de challenges et l’aviation est toujours pleine de surprises, c’est ce que j’aime. Quand cela deviendra plat et monotone, il sera peut-être le moment pour moi de rendre ma casquette.»

Aux alentours de 13 h 30, une fois l’avion posé à Genève, Jean-Marc Thévenaz coupe le moteur… pour la dernière fois. Le compteur de ses heures de vol se bloque à 13 500: «J’aurais bien voulu remettre les gaz et vous dire au revoir avec les ailes… mais cela n’est plus possible pour des questions de sécurité.» 

Par Joëlle Misson-Tille publié le 2 novembre 2022 - 07:49