Pour les femmes enceintes qui ont peur du vaccin contre le Covid-19, il va falloir faire un choix: oser la vaccination ou prendre le risque de perdre leur bébé si elles sont contaminées par le virus en cours de grossesse. Depuis le 16 décembre dernier, on sait en effet que le Covid-19 peut tuer un fœtus. Ce jour-là, une étude suisse publiée dans la revue «Cell Reports Medicine» révèle en effet l’existence d’un phénomène extrêmement grave appelé covid placentaire foudroyant.
«Des cas ont été enregistrés dans toute la Suisse romande, à Sion, à Neuchâtel et à Morges, notamment», affirme le Dr David Baud, chef du service de gynécologie obstétrique du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et coauteur de cette recherche avec l’Institut de virologie et d’immunologie (IVI), à Berne. Plusieurs bébés sauvés de justesse souffrent de lésions cérébrales importantes, avec de grandes difficultés à prévoir dans le développement de leurs capacités de communication ou de coordination, par exemple.
Le CHUV est le premier hôpital au monde à avoir alerté la communauté scientifique sur le risque d’une infection du placenta par le SARS-CoV-2 chez les femmes enceintes infectées par le virus. C’était en juin 2020. Depuis, les découvertes s’enchaînent à un rythme accéléré. Le 26 novembre 2021, les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), organisme de référence mondiale, confirment que l’arrivée du variant Delta s’accompagne d’un doublement, voire un triplement des cas de décès in utero chez des femmes testées positives, par rapport à la période prépandémique.
«Ce qu’on appelle le covid placentaire foudroyant existe certainement depuis le début de la pandémie, mais il devient de plus en plus visible en raison de l’actuelle flambée de cas, explique David Baud. Nous recevons de plus en plus d’appels de femmes enceintes testées positives qui s’inquiètent pour leur bébé. En l’espace d’une semaine, ils sont passés à une cinquantaine par jour. Cependant, il est difficile d’évaluer le nombre de cas de covid placentaire foudroyant en Suisse, car on ne dispose pas de registre officiel des morts in utero. Sans compter que le virus n’a pas été systématiquement recherché dans le placenta en début de pandémie.» Et le médecin d’ajouter: «Plusieurs mamans concernées m’ont demandé d’en parler, car elles aimeraient éviter que d’autres vivent ce qui leur est arrivé.»
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Comme son nom le suggère, le covid placentaire foudroyant présente la particularité de survenir de manière violente. Environ sept jours après l’apparition des premiers symptômes de la maladie du covid, la femme enceinte contaminée sent que son bébé ne bouge pas autant que d’habitude, signe que le virus est passé dans le placenta, lieu d’échange d’oxygène entre la maman et son fœtus. D’où une inflammation massive qui conduit à l’asphyxie, puis à la mort du bébé. Pour une raison qui n’a pas encore été élucidée, cette complication survient généralement au troisième trimestre de la grossesse.
Une autre énigme est que les femmes concernées présentent pour la plupart une forme mineure de la maladie du covid. «La survenue de cette complication est indépendante de la gravité des symptômes de la future maman. En fait, on ne sait pas lesquelles seront frappées. Certaines ont mis au monde un enfant en bonne santé après avoir dû faire un séjour aux soins intensifs pour un covid sévère, tandis que d’autres, qui étaient peu symptomatiques, ont développé la complication. Peut-être qu’on découvrira un jour certains facteurs prédisposants, mais aujourd’hui, nous sommes dans l’incapacité d’établir un profil de risque.» Il est en revanche certain que la totalité des patientes ayant fait un covid placentaire en Suisse romande n’étaient pas vaccinées, et ce constat a également été fait à l’étranger.
Le covid placentaire foudroyant est heureusement très rare. Sur un total de 200 femmes enceintes testées positives au Covid-19, une récente étude espagnole* a rapporté seulement neuf cas d’infection du placenta, avec une issue fatale pour le fœtus dans cinq d’entre eux. «Chez la femme enceinte contaminée, le risque d’être hospitalisée aux soins intensifs pour un covid grave est de 5%, mais la probabilité que le virus entraîne une inflammation massive dans le corps du bébé est probablement inférieure à 1%», estime David Baud. Cependant, comme il est impossible de savoir à l’avance quelle femme sera touchée et que l’enfant peut mourir ou rester handicapé toute sa vie, la menace est très angoissante pour les futures mamans.
Que faire? «Toutes les femmes enceintes testées positives qui ressentent une diminution des mouvements de leur bébé devraient consulter sans attendre», alerte le médecin. En cas de covid placentaire foudroyant, la seule solution pour sauver l’enfant consiste à effectuer une césarienne en urgence. A titre préventif, le CHUV a mis sur pied un dispositif de suivi renforcé pour les femmes enceintes testées positives au Covid-19, avec des contrôles réguliers à domicile, respectivement au 5e, au 7e et au 10e jour suivant leur infection. Pour cet accompagnement, le CHUV collabore avec les sages-femmes indépendantes du canton. «On arrivera peut-être ainsi à sauver des bébés», espère David Baud.
Par ailleurs, conformément aux recommandations médicales officielles, la vaccination contre la maladie du Covid-19 est conseillée aux femmes enceintes qui n’ont pas encore franchi le pas. «Cela ne les préserve pas d’une infection, mais les protège contre une infection sévère, quel que soit le variant. A ce jour, des dizaines de millions de femmes enceintes ont été vaccinées dans le monde, dont 250 000 en Suisse, sans aucune augmentation des complications, ni pour elles ni pour leur bébé», assure le Dr Alessandro Diana, expert au sein de la plateforme d’information Infovac et chargé d’enseignement à la Faculté de médecine de l’Université de Genève. «Si les composés du vaccin ne franchissent pas la barrière placentaire, c’est en revanche le cas des anticorps développés par la maman, qui protègent ainsi le fœtus», ajoute Didier Baud.
La femme enceinte est de toute manière particulièrement vulnérable face au Covid-19. Par rapport à la population générale, la probabilité de contracter le virus est augmentée de 70% durant la grossesse, souligne Alessandro Diana: «A la lumière des connaissances actuelles, le profil de risque d’une femme enceinte est équivalent à celui d’une femme de 65 ans.» F. S.
* «Diffuse trophoblast damage is the hallmark of SARS-CoV-2 associated fetal demise» dans «Modern Pathology».