Sa sortie devait être discrète et rapide, car Patrick Bruel était attendu ailleurs après sa visite le jeudi 1er juin aux 8H de l’école de Saint-Martin, dans le district fribourgeois de la Veveyse. Et l’attachée de presse de veiller au grain, faisant même zapper au chanteur le sacro-saint verre de l’amitié. Jusqu’au jour J, la surprise avait été bien gardée mais, une fois la star dans la place, la nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Tant et si bien que, à l’heure de sa sortie, toute l’école – profs et élèves réunis, les joues rosissant de plaisir – l’attendait à l’extérieur dans une ambiance aussi calme que réjouie.
Malgré l’heure qui tournait, impossible pour lui de résister, touché au cœur par autant de sourires. On lui avait pourtant bien dit qu’il n’avait pas le temps pour une petite chanson, mais il s’est laissé embarquer par ce chœur improvisé au son de l’un de ses plus grands tubes, «Alors regarde». Il les a accompagnés, un peu, mais il a surtout savouré le moment, reconnaissant, avant de dégainer son téléphone pour graver la scène. C’est comme ça que les enfants ont gagné contre le temps.
Deux heures auparavant, la trentaine d’élèves formant les 8H de Saint-Martin étaient encore en train de répéter le titre «Qui a le droit?» appris l’hiver dernier pour la Saint-Nicolas, histoire de bien rafraîchir les mémoires. Puis, place à la rédaction des questions qui seront posées à Patrick Bruel. De son équipe de foot préférée à sa plus belle chanson, elles sont éclectiques et candides. Si ces préados de 11-12 ans sont restés studieux, leur stress de rencontrer une personnalité célèbre est palpable. Mais ce n’est rien à côté de celui de leur instituteur, Pascal Sugnaux. Passionné de musique, grand fan de Johnny Hallyday, de Jean-Jacques Goldman et de Patrick Bruel, il n’en revient toujours pas. C’est un rêve qu’il n’avait jamais osé envisager qui se réalise. Et pour l’occasion, il a même fait sécher l’école à ses deux enfants. «On a droit à quelques demi-journées de congé, j’en ai profité», glisse-t-il, des étoiles dans les yeux.
Un hommage ému
Quelques minutes plus tard, c’est au chanteur d’entrer dans cette classe qui possède une vue magnifique sur le Mont-Pèlerin et le Mont-Blanc. Son arrivée est discrète, presque sur la pointe des pieds, tant il est intimidé. «J’ai plus le trac de venir auprès de vous que de monter sur une scène devant 5000 personnes, a-t-il avoué aux enfants. Mais je suis ravi de vous rencontrer.»
Cette visite, après d’autres ce printemps à Bordeaux, à Lille, à Marseille et à Paris, c’est un hommage au métier de sa maman, une ancienne institutrice. «Maîtres et maîtresses sont des transmetteurs, ils sont les clés de nos vies, a-t-il confié aux élèves. C’est un chemin extraordinaire que l’on parcourt avec eux. Même si, en étant fils de prof comme moi, on ne fait pas toujours partie des mieux lotis, car, après l’école, il y a encore pour eux toutes les copies à corriger. Il n’empêche, ma mère m’a amené à la lecture.» Et un livre, «ça peut sauver une vie», comme il le chante dans «L’instit», l’un de ses derniers titres, coécrit avec – ça ne s’invente pas – Paul Ecole. Pour le chanteur, des ouvrages comme ça, il n’y en a pas un, mais plusieurs, comme il l’a expliqué à l’une des élèves. «Il y a d’abord «L’idiot» de Dostoïevski, que j’ai lu par hasard à 6 ans, mais aussi «La guerre des boutons» et les pièces de Molière, que nous jouions en fin d’année. Plus tard, le cinéma m’a amené à Shakespeare et j’ai la biographie du réalisateur Frank Capra sur ma table de chevet. Un livre, c’est un ami qui vous accompagne.»
Un piano dessiné sur la table
Côté musique, les enfants ont voulu savoir comment tout a commencé. «A 10 ans, ma prof a trouvé que j’avais une bonne oreille, alors ma mère m’a inscrit au Conservatoire. Et comme nous n’avions pas de piano à la maison, j’en avais dessiné un sur la toile cirée de la cuisine. La guitare, c’est venu plus tard, vers 14-15 ans. C’est l’instrument qui m’a donné confiance en moi, car on me demandait souvent d’en jouer.» Reste que son rêve, à l’époque, était de devenir footballeur, un espoir qui s’est vu opposer un refus catégorique de sa mère: «Tu seras au chômage à 30 ans, crétin!» De leur côté, les enfants ont été prompts à répondre à l’artiste, ne lui infligeant qu’un vent, à l’évocation de ses chanteurs préférés. «Bruce Springsteen? Muse? Vous ne connaissez pas?» «Non, nous, on préfère AC/DC et Metallica.» Ça, c’est dit!