Les Breuleux, 7 décembre 2022. Sur la Montagne du Droit, située au sud de ce village franc-montagnard de 1500 âmes perché à 1000 mètres d’altitude, la neige est encore fine, mais les éoliennes tournent, parfaitement alignées, comme les étoiles dans le ciel d’Elisabeth Baume-Schneider.
De l’extérieur, on imagine volontiers Les Breuleux façon paysage de carte postale, entourés l’été de chevaux galopant dans des pâturages verdoyants et l’hiver de pistes de ski de fond serpentant entre les sapins. Un cliché. Le tissu économique est en plein essor. Les usines en témoignent.
Bursins, Belfaux et Les Breuleux
Ce mercredi 7 décembre, nul piéton au village. Ça bosse. Un jour (presque) ordinaire. Au principal rond-point, un slogan improvisé sur un drap domine la route: «Bravo Elisabeth, tu fais rayonner le Jura!» Il s’agit du seul signe apparent relié à l’événement historique du jour et dont l’épouse du maître d’auto-école est l’héroïne.
Romain Gigandet, indépendant actif dans le bâtiment, a signé le calicot. Il nous accueille en sortant de la douche. «J’ai honte, parce que ce matin, je n’y pensais plus du tout, avoue-t-il. C’est une amie aux Grisons qui m’a appelé. La banderole, c’est un cri du cœur. Il fallait marquer le coup.»
Non loin de là se situe la mairie des Breuleux. Bâtiment rose, massif. Renaud Baume, le maire PLR, entrepreneur, arrive le portable collé à l’oreille. Il réagit: «Il y avait Bursins et Belfaux. Il y aura maintenant Les Breuleux.» Malgré leur opposition politique, il tire «une certaine fierté» de l’élection de son administrée la plus célèbre désormais. «Son beau-père et mon père étaient cousins germains. Je vais être honnête: j’étais sûr qu’elle n’y arriverait pas, mais elle a fait une belle campagne et, au final, elle a forcé la porte. Cela démontre son habileté politique.»
Les Jurassiens mieux reconnus
Au supermarché Coop, un peu décentré, c’est le creux de la journée, comme au Troc Bouebe, que Sylvie Boillat, Breulotière, a ouvert en 2016 à domicile. «Je ne suis pas très politique, avoue-t-elle, entourée de ses enfants Tiphaine et Nathan, mais pour une région comme la nôtre, c’est quand même génial.»
La boulangerie Aux Délices, en réalité un dépôt de pain, a fermé. La gérante, Jacqueline Frésard, récure le sol. Raymond Prongué, son ami, retraité, l’aide. «J’habite Les Breuleux depuis onze ans, confie-t-elle. Auparavant, je vivais aux Bois, le village où a grandi Elisabeth.» Avec sa touche de bleu dans les cheveux, elle ajoute: «Moi, je suis contente parce que c’est une femme et que, pour une fois, on a pensé au Jura.»
A deux pas de l’église Saint-Joseph, Dominique Guenat dirige l’entreprise horlogère Guenat SA Montres Valgine. Egalement vice-président de la marque Richard Mille, il a développé deux sites de production dans le village, employant plus de 200 personnes. L’élection d’une Breulotière au Conseil fédéral ne pouvait le laisser indifférent. «Mme Baume-Schneider est une belle personne qui va rajeunir un peu l’esprit du Conseil fédéral. Je l’espère en tout cas.» Un atout de poids pour le Jura? «Oui, clairement. Je pense que le Jura mérite d’être représenté et mieux reconnu sur le plan fédéral, où l’on nous considère encore trop souvent comme des joyeux lurons. On est une région périphérique, c’est vrai, mais quand je vois comment les Franches-Montagnes se développent, je trouve qu’on n’a pas grand-chose à envier au reste de la Suisse.»
Direction l’école secondaire des Breuleux, où Gilles Grandjean, 61 ans, directeur et prof de sport, veille aux destinées de 108 élèves. Breulotier d’adoption, ce natif de Bienne est arrivé au village en 1985. Elisabeth Baume-Schneider? «Une femme compétente et dynamique avec laquelle j’ai échangé quand elle était chargée de l’Education jurassienne. Ses deux enfants ont été scolarisés ici. Lors des séances de parents, c’est souvent elle qui venait. J’ai aussi fait un peu de sport avec son mari, Pierre-André.» Sourire.
Au Charleston Pub, seul bistrot ouvert ce mercredi après-midi, il est 17 h 15. Ceux qui ont fait le déplacement à Berne, des femmes surtout, sont de retour. Applaudissements. Cris de joie. Evelyne Prêtre, élue PS au parlement jurassien, et ses copines Carmen et Jeannine, qui ont emprunté les armoiries des Breuleux pour l’occasion, sont aux anges: «On a fait le voyage à Berne parce qu’on est Breulotières et qu’on soutient Elisabeth, quoi qu’il arrive. C’est une personnalité attachante et fiable. Pas une politique hors sol. Une politique aux racines bien affirmées.»
Crédibilité nouvelle et féminisme
Carmen Aubry avoue avoir été «émue aux larmes». «C’est dans les tripes jurassiennes. Un peu comme lors de la votation de Moutier. Super émouvant.»
Conseiller communal PDC aux Breuleux, chargé des Finances, Thierry Paratte, consultant en horlogerie, a rejoint des amis au bar. «Je croyais davantage en une victoire de la Suisse hier soir qu’en son élection, avoue-t-il, sincère. Partie de rien il y a un mois, elle se retrouve conseillère fédérale! Son élection donne une vraie crédibilité au canton.»
Au fond du pub, une tablée essentiellement féminine, constituée de Breulotières convaincues, la trentaine rayonnante. Pour Sarah, «Elisabeth va faire du bien à Berne». Mao, seul homme présent, approuve. Enfin, Astrid conclut en rappelant que la nouvelle conseillère fédérale a été une pionnière en matière de féminisme: «A ses débuts en politique, elle avait allaité son premier bébé au parlement jurassien. Si l’on progresse, c’est grâce à des gens comme elle!»
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