Depuis vingt ans, Catherine Vasey analyse et soigne les burn-out. En Suisse, la psychologue est devenue la référence d’une pathologie qui, depuis deux ans, possède une définition plus concrète: le syndrome d’un stress professionnel chronique non pris en charge. De manière plus imagée, les experts décrivent cette souffrance comme un incendie intérieur. Une flambée physique et psychique souvent invisible mais dont les chiffres inquiètent: selon le Job Stress Index, en 2022, sur le territoire, plus de 30% des personnes actives se sentaient émotionnellement épuisées. Un stress professionnel qui coûterait près de 6,5 milliards de francs à l’économie du pays. Quant au sondage de la SSR paru en octobre 2023, il est tout aussi alarmant: 17% de la population helvétique a déjà vécu un burn-out, alors qu’une personne sur quatre serait à deux doigts de se «consumer». L’experte décrypte ce mal aigu de notre société.
- Quels sont les risques majeurs de sombrer dans un burn-out?
- Catherine Vasey: Il y a plusieurs facteurs. D’abord, l’aspect personnel. L’épuisement professionnel touche souvent des personnes qui ont un profil de perfectionnistes ou qui s’identifient fortement à leur travail. Ensuite, il y a la culture de l’entreprise dans laquelle on évolue tous les jours. Est-elle saine? Notre mode de vie trop sédentaire est aggravant, car l’activité physique permet de lâcher l’accumulation de stress emmagasiné au quotidien. Cette réaction de survie de l’organisme date de l’époque des cavernes avec le fameux «fuir ou combattre» généré par notre cerveau archaïque. Mais les gens sont anesthésiés devant leur écran et n’ont plus de soupape. Quand je parle d’activité physique, je ne dis pas forcément faire du sport, mais s’essouffler en montant les escaliers ou danser quelques minutes sur le quai de la gare. D’autres petites mesures sont bienvenues, comme bâiller pour soulager les tensions dans la mâchoire.
- Notre dépendance aux nouvelles technologies est donc aggravante?
- Avec les smartphones, nos bureaux sont aujourd’hui dans nos poches. Partout avec nous. Si tout va bien, cela reste gérable, mais si la situation professionnelle est lourde et conflictuelle, à chaque fois que vous tombez sur un e-mail alors que vous êtes censé être en récupération, vous retournez dans le même état de stress. C’est un cercle vicieux.
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- Quels sont les signaux d’alerte?
- Les émotions sont très codifiées dans le milieu professionnel et les Suisses sont discrets dans leur souffrance. On ne remarque pas forcément les premiers symptômes, d’autant que les employés sont souvent dans le déni. Mais une fatigue spécifique, de tension mentale, s’installe. Le moral baisse. Des troubles du sommeil apparaissent. L’entourage constate que la personne est de plus en plus irritable et que le travail occupe la majorité de son espace mental. Les personnes qui souffrent d’un burn-out tirent sur la corde pendant plusieurs mois avant de «craquer». Elles perdent de vue leurs réalisations et n’ont plus la même estime d’elles-mêmes. Le système nerveux autonome s’épuise. C’est comme si votre pédale de frein et votre accélérateur étaient en panne. Mentionnons aussi les symptômes cognitifs, comme la perte de mémoire et de concentration. Le sentiment d’impuissance peut aller très loin et pousser au désespoir.
- Quelle prise en charge est recommandée?
- C’est toujours bien de consulter et d’être accompagné. On recommande pour commencer une phase dite de récupération active en changeant de registre. Si vous travaillez à l’intérieur, allez dehors! Si vous êtes toujours très entouré dans votre milieu, isolez-vous en silence pour faire une activité de votre choix. Il faut faire des choses qui rendent heureux et génèrent du plaisir. Ensuite, place à la phase dynamique: on réalise un plan d’action avec des changements concrets de comportements. C’est important aussi d’entraîner à nouveau le système cognitif, qui était épuisé, pour retrouver toutes ses facultés et réduire le stress chronique. Et, enfin, troisième phase: le retour au job après deux à trois mois d’absence minimum, sinon il y a risque de stagnation. Et ce, avec la collaboration essentielle de sa hiérarchie.
- Cette maladie est-elle prise en charge correctement par le milieu professionnel?
- C’est un diagnostic secondaire encore aujourd’hui, donc les médecins doivent poser un autre diagnostic pour justifier un arrêt maladie: trouble anxieux ou dépression. Si le burn-out était considéré officiellement comme une maladie professionnelle, il pourrait alors être pris en charge par l’assurance accidents. Et il y aurait un signalement et un suivi. Cela pousserait les sociétés à intervenir pour éviter que d’autres cas similaires n’aient lieu dans la même entreprise.
- Pourquoi les employés ont autant de peine à assumer qu’ils sont en burn-out?
- Les gens ont souvent honte et se disent: «Pourquoi je fais un burn-out et pas mes collègues?» C’est souvent très peu compris, car l’épuisement professionnel arrive à des personnes efficaces, solidaires et qui n’ont pas l’habitude de demander de l’aide.
- N’est-on pas en train de traiter les symptômes, le burn-out, mais pas la maladie, un écosystème de plus en plus exigeant?
- En tant que thérapeute, je ne peux pas agir sur l’environnement ou l’entreprise, donc je mets l’accent sur l’individu, c’est la meilleure manœuvre pour un changement rapide.
- Quels sont les pronostics des cas de burn-out pour 2024?
- Si on regarde le Job Stress Index, qui est mesuré depuis 2016, on voit très bien l’augmentation. Après, la population est beaucoup mieux informée et sensibilisée que par le passé. Certains employeurs organisent aussi des ateliers de prévention. Ils ont vu «sombrer» d’excellents éléments de leur boîte. Ils veulent éviter leur absence. Rappelons que la loi du travail statue sur le fait qu’ils ont l’obligation de prendre soin de la santé de leurs collaboratrices et collaborateurs.
- Est-ce que le burn-out est un traumatisme inscrit à jamais?
- Le burn-out n’est pas un traumatisme mais une forme d’usure. Par contre, celles et ceux qui l’ont traversé savent qu’ils sont guéris quand ils agissent différemment dans leur métier. Pour moi, ce sont des collaboratrices et collaborateurs plus fiables dans la durée, car ils connaissent cette souffrance. Ils en ont tiré les enseignements pour ne pas rechuter. Ils sont les plus vigilants et peuvent évoluer correctement dans leur environnement professionnel!