Marianne Ayer et sa fille Marion n’ont pas donné rendez-vous n’importe où dans la bonne cité de Fribourg. Elles ont choisi le café du Tunnel, dans la vieille ville, où le décor rappelle encore l’époque de la tenancière, surnommée «Mama Leone», qui cuisina longtemps ici gratuitement pour les oubliés de la société. Chaque Noël, celle-ci préparait un repas pour les solitaires, son fameux «Noël des Cloches». «Dans ce café, j’ai le souvenir qu’on y entrait par une autre porte et il y avait de grandes tablées. Même si le mobilier a un peu changé, l’esprit reste le même avec les Suspendus: on peut acheter un menu à 10 francs mis à disposition des personnes à faible revenu», dit Marianne Ayer en désignant un fil où chaque pincette indique que quelqu’un a fait un don.
Nul lieu n’est plus propice pour évoquer le beau mot de bénévolat, qu’elles pratiquent toutes deux quelques fois par an, notamment à l’approche de Noël. Pour elles, rien de plus normal: «Dans un village ou une société, rien ne fonctionnerait sans cela. Quand on a un travail et qu’on est privilégié, cela devrait se faire tout naturellement», lâchent-elles en chœur. En décembre, elles consacrent ainsi une ou plusieurs soirées à l’association La Tuile, qui organise un Festival de soupes pendant les deux semaines précédant Noël. Tout Fribourg, de l’humble au nanti, se retrouve à la place Georges-Python autour d’un gros chaudron fumant. Il faut imaginer de la lumière, de la musique au milieu de la nuit, et une population bigarrée qui se coudoie sous un kiosque chauffé, décoré et transformé en manège enchanté. «Toutes les classes sociales s’y mélangent vraiment», précise Marianne Ayer. Sa fille Marion, qui travaille dans le marketing, s’avoue «toujours un peu chamboulée à la fin de la soirée, car on s’y confronte en direct à une réalité pas toujours drôle. Mais les gens aiment venir discuter et de belles rencontres se passent. On côtoie des personnes différentes et ces échanges font un bien fou à tous, surtout à Noël. Bénévole? Si tout le monde donnait un peu de son temps par-ci par-là, tout se passerait mieux.» Les deux femmes se rappellent qu’au tout début, en 2005, la vaisselle se passait même chez les religieuses à côté, qui leur permettaient de pénétrer de nuit dans leur cuisine, sans faire trop de bruit.
Marianne Ayer a été décoratrice, elle a travaillé dans des centres de loisirs ou des foyers pour apprentis. Elle a tenu pendant dix ans un atelier qui confectionnait des meubles en carton, avant d’œuvrer depuis treize ans au sein de la Fondation Emploi Solidarité. Etre bénévole, pour elle, correspond à une forme de liberté. «Je ne signe pas de contrat, j’y vais quand j’ai envie et je donne le temps que je veux. Quand on va aider, personne ne nous connaît. On arrive et on repart, sans être responsable d’une structure, juste pour être là. Oui, ces dimensions de l’anonymat et de la liberté me plaisent.» Le sourire est capital. «Il change tout. On va là-bas pour se faire plaisir et en laissant ses soucis à la maison, si on en a. De toute manière, nous appartenons tous à cette société. Il faut que nous nous regardions plus, que nous acceptions de revenir parfois en arrière et de quitter ces écrans qui nous isolent.»
Du Festival des soupes, où elle s’apprête à servir de nouveau, il lui reste une scène forte, qui date d’une des premières éditions. «Je revois le directeur, Eric Mullener, accueillir un monsieur qui n’allait pas trop bien. Il ne l’a pas touché mais l’a accompagné en l’entourant de ses bras pour lui éviter de tomber. J’ai trouvé cet instant magnifique.»
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