«Je suis un homme», chantait Michel Polnareff en 1970. Mettant au défi les femmes qui en auraient douté, il ajoutait qu’elles «n’ont qu’à m’essayer». Avec humour, Denis Martin, ami de longue date du chanteur, en a tiré sa version à lui: «Je fais de la cuisine. Ceux qui ne le croient pas n’ont qu’à l’essayer.» Malheureusement, depuis dimanche, il est trop tard pour tenter l’aventure: le restaurant Denis Martin est fermé. Définitivement.
Le 24 mars, le célèbre cuisinier installé depuis vingt-sept ans dans l’emblématique propriété de la Confrérie des Vignerons, à Vevey, a en effet tiré sa révérence. Il a mis un terme à une carrière d’exploration gastronomique et scientifique qui a fait scintiller la Suisse romande sur la carte de la gastronomie moléculaire. Et il a aussi plongé dans l’effroi tous ceux qui n’ont pas compris ce qu’était cette «cuisine moléculaire».
Aujourd’hui, cela fait sourire. Mais il n’y a pas si longtemps – je l’ai vécu – il était de bon ton de s’exclamer: «Moléculaire? Quelle horreur!» Et de fantasmer un chef portant blouse blanche et lunettes noires, agitant des pipettes dans un laboratoire. Une sorte de Dr Frankenstein des fourneaux. Et de conclure par: «Où donc sont passés les bons petits plats d’antan?»
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Pour avoir suivi un semestre dédié à la gastronomie moléculaire à l’Université de Neuchâtel, je peux vous l’assurer: toutes les craintes des détracteurs du moléculaire (qui a connu ses errances, c’est vrai) étaient totalement infondées. D’ailleurs, une multitude de tours de main «moléculaires» sont devenus usuels dans les cuisines de ses plus véhéments contempteurs. Parce que, en osant poser les bonnes questions, on peut trouver des réponses pertinentes. Parfois, elles le sont même plus que celles apportées par nos sacro-saintes «grands-mères », qui, soit dit en passant, n’ont pas toutes été des cordons-bleus.
Denis Martin, lui, nous a appris à cuire des pâtes sans ajouter d’eau. Il a réinventé la papillote de volaille: son fameux «pigeon voyageur» qui a fait le tour du monde. Il a établi des ponts entre bolet séché et homard, créé des trompe-l’oeil gustatifs. Et, heureusement, il a aussi transmis son art à une nouvelle génération de jeunes chefs.
Dans ce numéro qui nous fait aussi découvrir les merveilleuses créations d’une multitude d’audacieux artisans chocolatiers romands, rendons à César ce qui lui revient: merci Denis, Martin, de nous avoir fait découvrir la gastronomie autrement. Parce que la nouveauté n’évince pas la tradition. Les deux peuvent cohabiter et même se sublimer.
Au menu de «L'illustré-TV8» disponible dès ce mercredi 27 mars en kiosque:
- Xtreme de Verbier: Dans le sillage de la freerideuse Sybille Blanjean
- Guide: Les adresses des 30 chocolatiers qui font les délices de la Suisse romande
- Portrait: Dans le Jura, chez le dessinateur Pitch Comment
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