Mi-mars, alors qu’en panique on faisait des réserves de papier-toilette et qu’à voir les rayons pâtes des supermarchés, notre régime alimentaire s’apprêtait à passer de «sans gluten» à «que du gluten», L’illustré m’a proposé de partager hebdomadairement mon avis sur ce qui nous arrivait. Mon agenda étant en train de se vider à une vitesse vertigineuse, et les entrées sur mon compte en banque se faisant aussi rares que les avions dans le ciel, j’ai accepté.
Les premières semaines, cette chronique était quasiment exclusivement focalisée sur nos sept Sages et ce qui sortait de leur bouche. Je suis habituellement pas le dernier pour critiquer les salaires de nos conseillers fédéraux, mais sur ce coup, ils ont mérité leurs pépettes, déjà en bossant dur, et surtout en fournissant de la matière aux artistes totalement désœuvrés. La solidarité à son meilleur.
Que ce soit les annonces de mesures importantes, les bons mots, mais aussi les directives pour les clubs de jass, le déplacement de petits meubles pendant un déménagement ou les 1001 aventures des salons de coiffure, j’étais à l’affût de chaque prise de parole fédérale pour tenter d’en extraire un peu de dérision, de légèreté, de rire dans une période où on n’avait pas tous forcément envie de le faire, moi le premier.
Puis, avec le déconfinement progressif, la majeure partie de la population a pu reprendre son activité professionnelle, pendant qu’un village résistait encore et toujours au retour à la normale: les événements avec présence de public. Dans l’intitulé de cette page, je suis donc passé d’«humoriste confiné» à «humoriste en télétravail», et j’ai continué à déblatérer sur tout et rien, les vacances en Suisse, les clusters dans les boîtes de nuit, les jeunes entrepreneurs en costard sur les routes de Lavaux ou les conseils d’Alain Berset sur comment respecter les gestes barrières dans les maisons closes.
En cette fin d’été, alors que la réouverture des théâtres se dessinait à l’horizon embué, chaque annonce de remontée des cas menaçant de transformer cet horizon en mirage, je me suis amusé des bévues de l’OFSP ou du drame national représenté par un changement de liseur de prompteur au téléjournal, en me demandant si je n’allais pas devenir chroniqueur de magazine jusqu’à la retraite, moi qui ai très judicieusement décidé d’arrêter la TV et la radio pour me consacrer exclusivement à la scène juste avant une pandémie mondiale (dispo pour voyance et prédictions d’avenir en tous genres en appelant le numéro surtaxé).
Mais là, ça y est, ma tournée reprend la semaine prochaine (attendez-moi une seconde que j’aille toucher tous les objets en bois de mon appartement. Voilà, merci.) Je ne serai plus en télétravail, et par conséquent vous ne me lirez plus ici chaque semaine. En acceptant la proposition de L’illustré, je me doutais pas que je serais toujours là 24 semaines plus tard, déjà parce que, comme beaucoup, j’étais loin d’imaginer à quel point la situation bouleversante que nous vivions allait durer, et aussi parce que ce mandat temporaire d’urgence a dépassé la durée de vie de la plupart de mes autres contrats médiatiques, ce qui en dit long sur ma carrière et ma claustrophobie de l’engagement à long terme.
C’est évident, la vie normale n’est pas encore pour demain, mais je me réjouis de retrouver une vie professionnelle qui ressemble un peu plus à celle que j’avais jusqu’en mars. Internet (et cette page) ont permis de maintenir le contact avec le public, mais rien ne remplace la magie du direct, le rire d’une salle qui passe un bon moment, tous réunis au même endroit. Même si une telle réunion implique désormais des masques, du gel hydroalcoolique, et de devoir décliner votre CV au complet ainsi que les huit derniers rêves que vous avez eus qu’on puisse vous contacter au cas où.
Merci à L’illustré d’avoir donné quelques lignes (et quelques francs) à un humoriste qui avait besoin de s’exprimer (et aussi un peu de manger). J’espère avoir l’occasion de divertir de nouveau vos lecteurs avec mes bêtises, dans le meilleur des cas en personne sur les planches, et dans le pire, de nouveau dans ces pages si le truc dont on doit pas dire le nom mais qui commence par deuxième et finit par vague nous tombe dessus.
Prenez soin de vous, merci de m’avoir lu.
>> Lire son avant-dernière chronique:
«Thomas Wiesel: «Ode aux sportifs de canapé»