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Santé

Art-thérapie: l'art peut-il soigner et guérir les malades?

Longtemps proposée aux patients souffrant de troubles psychiques, l’art-thérapie se glisse désormais dans tous les services des hôpitaux, ou presque. Comment cette thérapie fonctionne-t-elle? Que sait-on de ses bienfaits et à quelles conditions en tirer profit?

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Art-thérapie

Longtemps proposée aux patients souffrant de troubles psychiques, l’art-thérapie se glisse désormais dans tous les services des hôpitaux, ou presque.

Getty Images
Laetitia Grimaldi

Peindre, dessiner, sculpter, danser, écrire, se rendre au musée… et se sentir mieux. C’est aussi simplement que l’on pourrait résumer l’essence de ce que vise l’art-thérapie. Car il ne s’agit là ni de performance, ni d’exceller dans un art ou un autre, mais d’utiliser un support et de se laisser aller à exprimer ou ressentir ce qui vient, même si la maladie est là, et tend parfois à prendre toute la place. Pour mener à bien ce délicat challenge, l’art-thérapeute joue un rôle essentiel. Mais comment l’art-thérapie agit-elle vraiment? Tandis que de plus en plus de services hospitaliers l’intègrent à leur prise en charge, les études se multiplient pour mieux la comprendre, apporter les preuves des bienfaits observés par tant de patients et de soignants et proposer des stratégies adaptées selon les pathologies. En 2019, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a ainsi publié une synthèse regroupant les résultats de plus de 3000 études. Elle a mis en lumière un «rôle majeur pour les arts dans la prévention de la mauvaise santé, la promotion de la santé et la gestion et le traitement de la maladie tout au long de la vie». Malgré cela, il reste beaucoup à explorer pour cerner tous les mécanismes en jeu dans l’art-thérapie.

1. De quoi parle-t-on?

Tout commence avec le peintre britannique Adrian Hill. Atteint de tuberculose, l’artiste est alité des semaines durant dans un sanatorium, tout en exerçant son art sans relâche. «Il finit par élaborer un véritable dispositif de soutien psychique à la guérison utilisant l’art», relate le Dr Frédéric Sittarame, médecin associé au service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et coauteur d’un article paru dans la «Revue médicale suisse» sur le projet HeART museum. C’est ainsi que naît l’art-thérapie, nous sommes alors en 1945. «La présence de l’art dans les soins en tant que tel a une valeur de développement de l’être humain dans toutes ses compétences et favorise sa capacité de résilience, poursuit le médecin. Mais l’art-thérapie va plus loin encore, puisqu’elle offre la possibilité de travailler sur un sujet particulier, par l’observation d’une œuvre ou en s’investissant dans sa création.» Surtout réservée, dans un premier temps, aux personnes souffrant de troubles psychiques, la pratique s’est progressivement répandue et est aujourd’hui intégrée à la prise en charge de nombreuses pathologies somatiques, via des cabinets en ville ou au sein de services hospitaliers. Si les formes que peut prendre l’art-thérapie sont multiples et ses définitions nombreuses, il y a certains prérequis clés: «Elle doit être pratiquée par des professionnels formés, s’organiser avec une régularité suffisante et être pensée spécifiquement pour chaque situation», résume la Pre Chantal Berna Renella, responsable du Centre de médecine intégrative et complémentaire (CEMIC) du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV).

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2. A quoi ressemble une séance d’art-thérapie?

Pratiquée au sein d’un cabinet en ville, à l’hôpital, seul ou en groupe, l’art-thérapie nécessite un cadre, posé par l’art-thérapeute (confidentialité, durée de la séance, etc.), mais se vit sans mode d’emploi préconçu, et surtout sans exigences de résultats techniques ou esthétiques. «Cette absence d’injonction est essentielle, souligne Montserrat Ramos Chapuis, art-thérapeute au CEMIC. Le cœur de la démarche est de pouvoir se connecter à soi, et d’exprimer ce qui est là. Pour cela, l’art-thérapie fait appel à ce qui perdure, même lorsque les mots manquent et que la maladie nous malmène: la créativité et l’intuition.» Ce sont elles qui donnent le souffle aux séances. C’est ainsi, le plus souvent après un temps d’ancrage, par le biais de quelques respirations par exemple, que la séance commence. «Mon rôle est d’accompagner la personne dans son cheminement quand elle n’ose pas se lancer, se bloque, etc. Cela peut se faire par le biais de questions toutes simples, en lui demandant par exemple quelle est sa météo intérieure à ce moment-là, quelle forme ou quelle couleur pourraient le mieux l’incarner. Puis en la laissant exprimer ce qui vient… Le résultat peut être bouleversant tant il reflète l’état intérieur de la personne.»

3. A qui s’adresse l’art-thérapie?

«Beaucoup de personnes atteintes dans leur santé mentale ou physique peuvent tirer profit de l’art-thérapie, poursuit la Pre Chantal Berna Renella. Certaines situations sont bien sûr plus complexes que d’autres – lorsqu’il s’agit par exemple de personnes immobilisées ou immunosupprimées, et donc en isolement strict. C’est là que la créativité de l’art-thérapeute joue un rôle majeur.» Les possibilités apparaissent ainsi infinies: «Il peut s’agir d’aquarelle pour un patient alité, d’un atelier de mise en mouvement corporel proposé à des patientes ayant subi un cancer du sein, en passant par des grains de sable colorés glissant entre les doigts d’une personne sortant d’un coma pour stimuler ses sens, illustre Montserrat Ramos Chapuis. Tout l’enjeu est d’adapter au mieux le support à la personne, à ses symptômes, à ses envies et à l’énergie du moment.»

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4. Quelles sont les vertus de l’art-thérapie?

Même si les études se sont multipliées ces dernières années, beaucoup reste à faire pour comprendre les subtilités de l’art-thérapie. Et pour cause, les recherches menées n’ont pas toujours utilisé des critères clairs en termes de cadre, de pratique ou de définition de la discipline. «C’est un domaine encore peu étudié avec précision, confirme la Pre Chantal Berna Renella. Mais certaines données confirment ce que nombre de patients rapportent: des effets bénéfiques notamment sur la douleur, le stress, l’anxiété et, plus globalement, sur la qualité de vie. Des recherches sont en cours pour comprendre les mécanismes physiologiques en jeu. Mais un fait apparaît évident: l’art-thérapie est une formidable occasion de se connecter à soi-même et à ses ressources intérieures. Les patients peuvent vivre une forme de transcendance lorsqu’ils sont absorbés dans leur expérience artistique.» Une expérience particulièrement précieuse dans un contexte de soins aigus: «Quand la maladie tend à enfermer une personne dans un statut de «malade», que les traitements dictent le quotidien, une pratique comme l’art-thérapie peut constituer une parenthèse apaisante, une respiration, une occasion de se retrouver soi, en tant que personne pleine et entière au-delà de la maladie», poursuit Montserrat Ramos Chapuis.

5. Vers quels praticiens se tourner?

Librement et sans ordonnance, toute personne peut consulter un art-thérapeute. Précaution importante: s’orienter vers un professionnel formé. Cette vigilance est précieuse pour la qualité de la pratique, mais également pour bénéficier d’un éventuel remboursement par les assurances complémentaires. En effet, certaines d’entre elles peuvent prendre en charge ces soins, sous réserve que les professionnels soient reconnus par un des organismes privés qu’elles considèrent, le Registre de médecine empirique par exemple. 


Aider les jeunes à se réapproprier l’image de leur corps

Deux silhouettes qui se font face, l’une bien définie, l’autre dissimulée sous un entremêlement de lignes d’encre noire, voici le tableau de Zoé*, 17 ans, réalisé lors d’une séance d’art-thérapie dans le cadre d’un suivi pour des troubles du comportement alimentaire. Car cette approche n’est pas réservée aux adultes et présente des effets positifs chez les jeunes touchés notamment par l’hyperphagie boulimique, l’anorexie ou encore l’obésité. «Passer par la création artistique leur permet de remettre du mouvement dans leur corps, de gérer les émotions autrement, de devenir acteur d’une transformation, explique Cristina Anzules, artiste plasticienne et art-thérapeute. Ce langage métaphorique opère comme une stratégie de détour qui aide à travailler sur leur souffrance de façon indirecte. Cela est parfois moins confrontant que la parole.»

Argile, peinture, pastels… chaque matière est utilisée pour ses particularités et son maniement. «Face à quelqu’un d’agité, je proposerai la terre qui invite à l’ancrage, confie la thérapeute. S’il est renfermé, je lui proposerai la peinture qui va solliciter plus d’ouverture et de fluidité pour qu’il puisse ouvrir un peu plus son espace. Les pastels gras, par leur densité, peuvent aider à affirmer quelque chose, à laisser une trace.»

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Et de cet espace d’expression s’ouvre parfois un dialogue avec les parents. «Je leur laisse le choix de montrer ou non leurs œuvres aux personnes qui les accompagnent dans leur prise en charge (psychologues, psychiatres, éducateurs, etc.). Ceci nécessite une préparation pour éviter toute interprétation. Cela peut être une manière de se raconter autrement, de parler de ce qui est difficile à dire, mais tous n’y sont pas prêts», constate Cristina Anzules, qui travaille, avec les HUG, à l’élaboration d’un programme d’art-thérapie destiné aux jeunes adultes (18-25 ans) souffrant de troubles des conduites alimentaires et/ou d’obésité. 

* Prénom d’emprunt.


«Un jaillissement de vie d’une intensité nouvelle»


Opérée d’un cancer du sein durant l’été 2020, Gaëlle, musicienne de 47 ans, a découvert l’art-thérapie au CHUV quelques mois plus tard.

«Je me souviens avoir un jour entamé une séance d’art-thérapie fatiguée, un peu déprimée. Alors forcément, au moment de me lancer sur cette grande feuille blanche qui me faisait face, je n’étais pas d’un grand enthousiasme en tendant la main vers les pastels… Et pourtant, au bout de quelques minutes, je me suis arrêtée net, subjuguée par la puissance des couleurs que j’avais utilisées sans même m’en rendre compte. C’était un jaillissement de vie d’une intensité nouvelle. Je me suis sentie tellement vivante… J’ai aussi vécu la situation inverse. Ce jour-là, il s’agissait de manipuler de la terre glaise. Alors que j’étais d’humeur plutôt légère, ce qui s’est exprimé sous mes doigts était une grande souffrance. J’ai réalisé que c’était celle que j’avais enfouie en moi au fil du temps et des épreuves. J’ai vécu les séances d’art-thérapie – individuelles et en groupe – comme un moyen extraordinaire d’accéder à mon inconscient, de laisser éclore ce qui était en moi, sans jugement, et dans un climat d’une grande douceur. C’était une façon à la fois de mieux me comprendre et de prendre soin de moi. Comme si l’art devenait médecine. Après une intervention chirurgicale lourde et douloureuse, l’art-thérapie est venue comme un baume apaisant et créateur. Je garde aussi un souvenir très fort des séances de groupe, des moments de partage autour d’une expérience artistique commune.»


A chaque art ses vertus


Les différentes approches d’art-thérapie peuvent répondre aux besoins et aux envies de chacun, en fonction des objectifs thérapeutiques définis, mais aussi des sens et du mode d’expression que l’on souhaite solliciter.

- L’écriture: permet un travail introspectif, peut favoriser l’imaginaire en jouant avec les mots et ainsi instaurer un nouveau dialogue. Peut aussi servir de support à la discussion.
- La danse: mobilise le corps, peut aider à réapprivoiser son image, permet de s’exprimer autrement, accompagné par le mouvement, le rythme et l’espace. 
La musique: peut ouvrir un espace d’expression des émotions par l’intermédiaire du monde sonore. 
La peinture, le dessin: au-delà de la mobilisation des gestes, la création artistique permet, par le support et la matière, de donner forme à un objet ou une image et peut aider à retrouver une certaine autonomie. 
La sculpture: favorise le développement de stimulations sensorielles nouvelles et une appréhension différente du rapport au corps et au toucher.

Par Laetitia Grimaldi et Clémentine Fitaire publié le 27 septembre 2022 - 16:41