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«Lara Gut-Behrami réagit comme une artiste»

Au sein d’un ski suisse qui collectionne les médailles à Cortina, Lara Gut-Behrami est enfin devenue championne du monde. Sa réaction, ô combien réservée après son premier titre, a pourtant étonné. Son préparateur physique pendant presque quinze ans, Patrick Flaction, l’explique.

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SPORT Lara Gut Ski Alpin

Lara Gut-Behrami rayonnante, en automne 2018. Peu auparavant, en juillet, elle a épousé le footballeur international Valon Behrami, à Lugano.

Christoph Köstlin

Lara Gut-Behrami au bas d’une piste de ski. Il n’est pas sûr qu’elle soit ravie quand elle gagne, ni dépitée si elle termine dixième. Aux Mondiaux de Cortina, alors qu’elle décrochait à 29 ans un titre, championne du monde, derrière lequel elle courait depuis une décennie, c’est peu dire qu’elle ne rayonnait guère. Rien qu’un timide «Non, ce n’est pas le plus beau jour de ma carrière. J’ai appris dans les dernières années qu’il y a des choses plus importantes que des médailles d’or. A dire vrai, je ne voulais pas une médaille d’or, je tenais juste à skier comme je l’ai fait», a-t-elle ainsi déclaré après son premier titre, en super-G.

Un homme n’a pas été surpris. A l’exemple d’un Pierre Paganini avec Federer et Wawrinka, le Valaisan Patrick Flaction fut son préparateur physique pendant quatorze ans, course après course. Il sait la somme de pudeur et de sensibilité qui se cache derrière ce genre de réaction. «Lara est ainsi. Son moteur, c’est l’excellence de ce qu’elle produit, rien d’autre ne compte pour elle, même pas d’être première. Pour elle, il est insupportable de ne pas donner ce qu’elle sait pouvoir. On pourrait la comparer à une artiste qui oublie son texte face au public, en plein récital. Mais elle est sensible, tout en étant forte et dure, parfois un peu trop. Si elle avait une carapace moins épaisse, les gens la comprendraient mieux. Quand vous travaillez avec, elle n’est pas du tout ainsi. Elle est attentive, respectueuse, c’est un bonheur.»

>> Lire aussi l'éditorial: «Lara et nous»

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Le 11 février, la Tessinoise Lara Gut-Behrami gagne l’or du super-G, à Cortina (Italie).

Alexander Hassenstein/Getty Images

Il n’a rien oublié. Au milieu des années 2000, il n’avait aucune intention d’entraîner une demoiselle de 15 ans. Il avait une entreprise, ne cherchait pas à s’occuper d’athlètes et encore moins d’«une enfant», sourit-il. Sur la demande des parents, il a tout de même accepté de la rencontrer. Il l’a regardée bouger, lui a parlé. «C’était phénoménal. Au-delà des qualités physiques et techniques, elle avait une manière unique d’écouter, de prendre des informations, de les digérer puis de les mettre à sa sauce.» Ils ne se sont plus quittés jusqu’en 2019, où il l’a laissée s’envoler: «Je lui ai toujours dit qu’on stopperait quand on serait au bout de l’exercice, pour que l’histoire puisse continuer. Etre entraîneur ressemble au fait d’être parent. Ce n’est pas parce qu’on a tout donné à ses enfants qu’on peut leur demander de rester à la maison à 22 ans. Quand je la vois skier ainsi, je me dis que nous avons bien fait.»

La première année, ébahi, il l’a vue gagner les Championnats suisses à 15 ans, en mars 2007, devant les skieuses adultes engagées en Coupe du monde. Puis tout s’est enchaîné. Premier podium en Coupe du monde en février 2008 puis première victoire en décembre, à Saint-Moritz, suivie de deux podiums aux Mondiaux de Val-d’Isère, en 2009. «Elle faisait tout plus vite que tout le monde. Elle a par exemple réussi sa maturité en quelques mois.» Elle sort alors souvent de la piste. «Tout le monde lui conseillait de skier moins direct. Elle refusait, affirmait qu’elle devait apprendre à faire juste, sans chercher à arrondir.» Cette philosophie, elle n’y a jamais dérogé.

SKI ALPIN WELTCUP 2013/14 TEAM LARA GUT

En 2013 avec son préparateur physique, Patrick Flaction, qui l’a entraînée de 2005 à 2019. Il s’occupe encore aujourd’hui d’athlètes comme Daniel Yule ou Loïc Meillard.

Sigi Tischler/Keystone

Son caractère, complexe? L’entraîneur ressort un souvenir pour nuancer ce jugement. En septembre 2009, elle se luxe la hanche à l’entraînement, à Saas-Fee; c’est sérieux. Il se trouve à Tokyo, elle l’appelle au milieu de la nuit. Une task force se forme, avec physio, médecins, parents. «Nous lui avons expliqué que, si elle ne voulait pas souffrir dans le futur, il fallait qu’elle fasse une croix sur toute sa saison prochaine et qu’elle sacrifie les Jeux olympiques de Vancouver. Elle nous a regardés dans les yeux, a réfléchi quelques secondes et dit: «OK.»

Vrais fans de Lara Gut-Behrami.

«En course, Lara dégage quelque chose de plus.» Président du seul fan-club de la skieuse, le Fribourgeois Thierry Mauron exulte avec sa fille, qui se prénomme… Lara.

David Marchon

Après avoir gagné le grand globe en 2016, un autre coup dur survient en février 2017. Alors qu’elle est au sommet de son art et que les Mondiaux de Saint-Moritz s’offrent à elle, elle se blesse au genou lors d’un entraînement de slalom, ménisque et ligaments touchés. «Cette déconvenue l’a anéantie», se souvient Patrick Flaction.

La reconstruction, considérable, s’entame en 2018. En 2019, elle s’habitue à un nouveau staff, reprend peu à peu confiance. Cette saison, elle renaît, gagne quatre super-G à la suite. Jusqu’à ce bas de piste au soleil de Cortina, ce titre superbe, cette moue devant les micros tendus. Il en sourit: «Pour moi, travailler avec elle a été extraordinaire. Je lui ai amené des choses mais elle aussi, énormément. Je lui ai souvent avoué que, pour son comportement et sa manière d’appréhender le sport, rien n’existait dans les manuels d’entraîneur… Cela m’a parfois désarçonné, m’a donné des nuits entières à réfléchir.» Lara Gut-Behrami est une aventure à elle seule.

Par Marc David


Corinne Suter, fusée douce

Corinne Suter sacrée à Cortina d’Ampezzo

En séance photo le 14 février, Corinne Suter ne se lasse pas de contempler ses deux médailles, l’or de la descente et l’argent du super-G.

Valeriano Di Domenico

Personne ne va plus vite que la Schwytzoise Corinne Suter, dont on pointa longtemps la timidité. Son ami, Angelo, y est pour quelque chose.

La fusée ultime, la skieuse la plus rapide du monde, c’est elle. Sacrée championne du monde de descente le 13 février, la Schwytzoise de 26 ans ponctue à Cortina une envolée entamée deux ans plus tôt, aux Mondiaux d’Åre, où elle gagna du bronze en super-G et de l’argent en descente après une carrière émaillée de misères, dont une méchante septicémie en été 2018.

ITALY ALPINE SKIING WORLD CHAMPIONSHIPS

Le 13 février, après la cérémonie de remise des médailles, Corinne Suter retrouve Angelo, son compagnon. Ils sont en couple depuis deux ans, juste le moment où la skieuse a commencé à gagner.

Jean-Christophe Bott/Keystone

Héritière de Maria Walliser il y a trente-deux ans, elle dégage une simplicité qui plaît. Le soir de sa victoire, elle a mangé avec son ami, Angelo. Cet assureur à Uri est arrivé la veille, il s’est fait tester plusieurs fois pour être présent à Cortina. «C’est drôle, nous sommes ensemble depuis deux ans, depuis que tout s’est déclenché pour moi. Je lui dois beaucoup. Il aime s’amuser, est toujours positif. Je lui parle au téléphone tous les jours.»

Avec lui, comme avec d’autres, la jeune fille timide qui suivait ses trois frères et aime follement les chevaux s’est mise à parler davantage, à penser à elle. Elle a changé, elle le sait. «Beaucoup de choses se sont passées ces dernières années. Je vois que se battre en vaut la peine. Cela m'aide un peu que le battage ne soit pas si grand ici. Je peux prendre les choses plus facilement.» Inutile de chercher à l’opposer à Lara Gut-Behrami, au caractère fort différent: «Quand les choses n'allaient pas aussi bien pour moi, Lara m'a regardée et m’a offert une bonne discussion. Je ne l’oublierai jamais.» En plein élan, elle rêve encore un peu: «J’ai toujours faim, j’attends les prochaines courses. Mais ce que j’ai déjà accompli, personne ne peut me l’enlever.»

Par Marc David publié le 18 février 2021 - 08:32