C’est dans son antre parisien que l’on a rencontré Laetitia Dosch. Au bout d’une allée feuillue au cœur de Belleville, dans un atelier d’artiste transformé en mini-duplex. Là, l’actrice et maintenant réalisatrice nous accueille tout sourire. Sa chevelure rousse nouvellement coupée au carré flamboie au-dessus d’une longue robe noire en tricot ajouré et des Doc Martens sombres. Mais ce que l’on capte en premier, au milieu de cette frimousse juvénile, ce sont deux billes bleues qui vous regardent avec une douce intensité. Une intensité qui s’explique par un début septembre chargé. La jeune quadra est à l’affiche du dernier film des frères Larrieu mais aussi du «Procès du chien», qu’elle a réalisé et qui vient de remporter le prix du meilleur scénario au Festival du film francophone à Angoulême. Elle y incarne Avril, une avocate des causes perdues qui doit défendre au tribunal Cosmos, un chien qui ne mord que les femmes. La bête pas si féroce risque l’euthanasie. Cette fable comique aborde entre sourires et larmes le rapport des hommes aux femmes, aux enfants et surtout, bien sûr, aux animaux. Attention, ça tourne!
- Vous avez écrit «Hate», une pièce où vous jouez en duo avec un cheval, et maintenant vous êtes en haut de l’affiche avec un chien! Quel est votre rapport aux animaux?
- Laetitia Dosch: Je suis certes très proche d’eux, mais ce qui m’intéresse surtout, c’est notre rapport à l’espèce animale. Celle qui vit au contact des humains, voire avec eux: bien sûr, le cheval, mais aussi, évidemment, le chien. Comme je le dis dans le film, il vient du loup. Depuis 50'000 ans, les humains ont fait évoluer ce carnivore sauvage, l’ont domestiqué, ont fait s’accoupler les plus mignons, les plus dociles, les plus doux, ont même castré les chiens pour qu’ils restent en enfance et créer ainsi des compagnons parfaits, idéaux, des êtres sublimes d’ailleurs, mais… c’est quand même une nature qu’on a transformée, qu’on a d’une certaine manière exploitée pour qu’elle nous convienne parfaitement. De là, on peut parler du loup qui devient chien, mais on peut aussi parler de ce qu’on fait des forêts. C’est la même dynamique.
- La réalisation d’un film, c’est quelque chose qui vous titillait depuis longtemps?
- Ecrire des histoires qui seront filmées, avec des changements de décors qui, contrairement au théâtre, pourront être différents 20, 30, 40 fois, c’est vertigineux. Le fait qu’il y ait plus de spectateurs au cinéma qu’au théâtre donne aussi une dimension plus démocratique à ce que l’on est en train de créer. De plus, j’avais envie de tourner une comédie car j’aime bien rigoler dans la vie, mais surtout parce que j’ai l’impression que c’est moins élitiste, plus accessible. Je voulais d’abord que les gens passent un bon moment car ils ont des vies dures et qu’en même temps ils se posent plein de questions sur le statut des animaux, la place des femmes, l’écologie, etc.
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- Comment passe-t-on de comédienne à réalisatrice?
- J’ai l’impression qu’on peut tous réaliser un film si on a une histoire qu’on veut défendre coûte que coûte. Finalement, je n’ai jamais vraiment eu un boulot très défini. J’ai fait du théâtre comme actrice mais parfois, quand j’avais la bonne idée, j’écrivais des choses. Sinon, je travaillais pour d’autres qui avaient de bonnes idées. Je ne sais pas si réalisatrice, c’est un métier. Il faut juste changer de casquette. Le plus important, c’est de participer à des récits.
- Ce sujet du procès d’un chien, comment en avez-vous eu l’idée?
- C’est une spectatrice qui est venue voir «Hate», mon spectacle avec le cheval, et m’a parlé d’un procès autour d’un chien. Cette histoire avait soulevé les passions dans une petite ville. Il y avait eu des manifestations, des pétitions, etc., en faveur de ce chien. J’ai ensuite découvert d’autres faits divers en France et en Suisse autour des morsures de canidés, je m’en suis inspirée et je les ai un peu tous mélangés. Dans toutes ces affaires, il y en a tout de même une qui s’est détachée des autres, car elle est carrément allée jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. Il y avait donc clairement un sujet de société autour de ça. Le chien a mordu. Est-ce qu’il doit être tué parce qu’il a mordu? Cette question-là était intéressante. Je me suis dit: «Et si tout d’un coup c’était le chien et non le maître qui était inculpé? Que se passerait-il?» Car actuellement, sur le plan légal, un animal domestique est assimilé à un bien. Le statut n’est pas clair et change selon les pays. Mais comme on est dans le registre de la comédie, de basculer le point de vue et de faire que le chien devienne «quelqu’un» et soit amené à la barre…
- Trouver le bon chien-acteur était un gros enjeu?
- Oui. Il fallait qu’il soit sympathique. Que l’on n’en ait pas peur dans un premier temps, même s’il a mordu. Il fallait un animal de comédie qui soit très, très mignon et en même temps qu’il puisse aller vers des choses violentes. En fait, il fallait quand même un sacré chien. Et qui dit sacré chien dit super coach canin. On a vu en France les problèmes de maltraitance qu’il y a eu avec certains dresseurs d’animaux. Donc, c’était important pour moi de trouver des gens qui travaillent de manière à ce que l’animal ait la vie la plus cool et la plus géniale possible. Pour finir, j’ai fait des castings de chiens et de coachs canins mais sans aucun succès. Un jour, alors que j’étais à la radio pour faire la promo d’un film, j’ai dit, à la fois épuisée et pour faire rire: «J’ai passé ma journée à caster des chiens.» J’ai été entendue par Juliette et Manu de Dog Trainer et ils m’ont envoyé une bande démo dans laquelle on voyait qu’ils s’éclataient comme des malades avec leurs toutous. Et parmi tous ces animaux, je vois Kodi. C’est majoritairement un griffon, même s’il a 12 races en lui – dont du malinois. Je l’ai aimé tout de suite. Il est adorable, tout en restant un chien qui a grandi dans la rue. C’est peut-être pour cela qu’il possède beaucoup d’émotions différentes et peut jouer assez violemment par moments, tout en étant irrésistible à d’autres.
- Une scène assez dure sort du registre de la comédie lorsque, dans la forêt, Avril, l’avocate du chien, essaie de le rééduquer afin qu’il ne morde plus les femmes…
- Je voulais que l’héroïne retrouve sa nature sauvage, que le chien l’aide à retrouver sa force primale, car cette femme doit faire face à beaucoup de violence dans cette histoire, même si on reste dans le registre de la comédie. La violence des réseaux sociaux, des manifs, de ses collègues qui ne la prennent pas au sérieux, et la violence aussi que subit ce petit garçon qui habite à côté de chez elle et contre laquelle elle ne peut rien faire...
- Comment vous est venue l’idée d’un toutou sexiste?
- D’un roman de Romain Gary, «Chien blanc». Un bouquin incroyable qui est tiré d’un épisode de la vie de l’écrivain. Il l’a bien sûr ensuite romancé. Il habitait alors aux USA avec l’actrice Jean Seberg. Un soir, arrive dans sa propriété un chien perdu, qu’il recueille. A ce moment-là, on est à la fin des années 60, l’Amérique blanche raciste est à son apogée. La comédienne américaine soutient à fond les Black Panthers et reçoit souvent dans leur maison ses amis noirs. C’est là que le couple se rend compte que l’animal recueilli est raciste. Il a été dressé pour tuer les personnes de couleur. Gary, qui aime les animaux, l’amène chez un dresseur pour qu’il soit rééduqué. De là naît l’idée d’un livre dans lequel le coach est Noir et veut absolument remettre le chien sur le droit chemin. Il se bat avec lui comme s’il se battait contre le racisme. Et dans la forêt, l’avocate lutte avec Kodi, alias Cosmos, comme si son ennemi était le sexisme. Elle veut à tout prix le guérir.
- Votre film a été projeté à Cannes au mois de mai dernier avant de sortir en salle le 11 septembre. Comment avez-vous vécu ces très bons retours?
- D’abord, j’ai été flattée car je ne pensais pas qu’une comédie puisse être sélectionnée, puis heureuse car, malgré la bataille qu’a été ce film, nous avions enfin de la reconnaissance. Ensuite, j’ai eu peur que cette comédie ne soit pas bien perçue. Ce qui n’a pas été le cas puisqu’on a eu un super accueil, beaucoup de presse et plein de réalisatrices que j’aime beaucoup qui sont venues voir le film. Et, bien sûr, Kodi a reçu la Palme Dog! Cela a donné lieu à 300 articles dans le monde entier.
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- Pourquoi avoir choisi Lausanne pour tourner votre film?
- Je suis très attachée à cette ville. Même si j’ai depuis toujours la double nationalité franco-suisse, je ne suis arrivée là qu’en 2004 pour faire La Manufacture (Haute Ecole des arts de la scène, ndlr) et j’ai halluciné car ce pays était comme la France mais en plus poli, plus aimable, plus jovial. C’est un lieu cosmopolite avec plein d’accents et une diversité sociale que j’aime beaucoup. De plus, la Suisse, c’est un territoire qui n’est pas tellement filmé et n’est pas du tout l’image d’Epinal que l’on imagine. C’est un peu comme ces petites villes américaines que l’on voit dans des longs métrages comme «Fargo». Le lieu ajoute une âme particulière à l’histoire, lui donne un peu plus la tonalité d’un conte contemporain.
- On dit que l’on met beaucoup de soi dans un premier roman. Qu’en est-il d’un premier film?
- Avril me ressemble sur certains points, par exemple au niveau de l’éducation. J’ai été éduquée pour être choisie, pour plaire. On ne m’a pas dit «Un jour un prince viendra, etc.» mais c’était du même registre. D’ailleurs, actrice, c’est un peu le prolongement de cette idée de choix. J’essaie vraiment de m’en libérer mais je n’ai pas les codes d’une fille de 20 ans. Mon film commence par mon personnage qui écoute son patron lui raconter que les Italiennes sont les meilleures au lit parce qu’elles sont à la fois saintes et cochonnes. Avril, évidemment, se compare aux Italiennes en se disant que malheureusement elle n’est pas comme ça. Elle considère l’homme comme un référent alors qu’une jeune lui aurait dit: «Mais tu te rends compte de ce que tu dis, comment tu parles des femmes!» Voilà, ça, c’est proche de moi. Une femme un peu perdue entre deux époques qui a envie de s’épanouir, de s’exprimer. Elle a un problème de voix et de voie. A un moment, elle se dit: «Quand est-ce que j’arriverai à parler comme je suis?» Elle ne se trouve pas mais elle est assez forte pour dire à un homme: «Je ne vais pas me mettre avec toi parce que, sinon, je vais m’effacer.»
- Votre film est un peu une fable. Dans chaque fable, il y a une morale. Quelle est la vôtre?
- Je n’ai pas envie de donner des messages. Disons que je soulève des questions sur la place des femmes, des animaux et des humains par rapport aux autres êtres vivants et à l’environnement. Je fais des films et des pièces de théâtre pour dire mon envie d’arriver le plus vite possible à inventer un autre rapport aux êtres vivants, un rapport dans lequel on les respecte et on comprend leurs besoins afin d’arrêter la destruction de la vie sur Terre. Je suis très inquiète sur le sujet des questions environnementales. Il y a besoin d’un sursaut pour comprendre comment fonctionner autrement. Alors j’essaie d’y participer le plus que je peux.