Avoir recours à des injections avant ses 30 ans sera-t-il un jour la norme? Selon une étude réalisée par la société française OpinionWay pour Allergan, 26% des femmes de 18 à 24 ans envisagent une intervention sur leur visage. En Suisse, on constate également un intérêt croissant des plus jeunes pour ce type de traitement, notamment avec l’ouverture de centres de médecine esthétique dans des arcades en centre-ville, à la manière des très populaires «botox bars» états-uniens. Cyrille Polla est la porte-parole de Forever Boutique, l’un de ces centres d’un nouveau genre. Fondée en 2017, cette extension de l’institut Forever s’est inspirée de cet esprit «pignon sur rue» et ouvert qui séduit la jeune génération: «Depuis son ouverture en 1997, l’institut a conservé une clientèle âgée en moyenne de 40 à 55 ans. Mais les jeunes femmes sont toujours plus nombreuses à fréquenter nos boutiques de Nyon et de Lausanne.»
L’observateur lambda pourra peut-être remarquer une multiplication de visages standardisés «à la Kardashian», mais qu’en est-il des professionnels? Certaines tendances se dégagent-elles? Cyrille Polla retient deux zones qui préoccupent particulièrement les jeunes clientes. En première place, on trouve les lèvres et la mode dite des «Russian lips», où on injecte de l’acide hyaluronique pour un volume XXL: «On a beaucoup de femmes qui souhaitent un résultat naturel, mais on a également depuis un an et demi une vraie demande pour ces «Russian lips». La deuxième tendance phare, plus insolite, se trouve au niveau de la démarcation de l’angle mandibulaire, très saillante chez des mannequins comme Bella Hadid (49,8 millions d’abonnés sur Instagram). Selon les médecins de Forever Boutique, cette pratique parfois nommée «Jawline contouring» ou «Texas face» (en référence à la forme très angulaire de la partie nord de l’Etat américain du même nom) résulte de la mode des selfies de profil ou de trois quarts: «Ces jeunes femmes aiment se mettre en scène de cette manière et souhaitent donc que le bas de leur visage soit plus esthétique», indique Cyrille Polla.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces clientes ne se rendent pas ou rarement à la consultation avec une photo de leur influenceuse favorite. En revanche, il semble évident qu’elles ont intégré à la perfection les codes et standards de beauté de ces célébrités d’Instagram ou de TikTok qu’elles suivent. Et il n’y a pas à dire, cette génération Z dont on parle tant sait exactement ce qu’elle veut: «Leurs demandes sont précises quant aux parties de leur visage qu’elles estiment devoir corriger. Elles arrivent aussi très informées sur ce qu’elles peuvent obtenir en termes de résultat.»
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Ces jeunes clientes sont-elles également bien informées sur les risques inhérents à chaque intervention médicale, même lorsqu’il ne s’agit «que» d’une toute petite piqûre? C’est là que le bât blesse: «On constate effectivement un fossé entre la précision de leurs demandes et leur connaissance à la fois des produits utilisés et des risques. C’est là que l’on a un rôle important à jouer pour prévenir les éventuels abus et ne pas banaliser la pratique», note Cyrille Polla. Et pour cause, le recours à ce type d’interventions peut représenter un vrai risque (nécrose, cécité, voire décès) lorsqu’elles sont effectuées par des personnes inuffisamment qualifiées ou faisant usage de produits non conformes. C’est ce qu’a rappelé l’Etat de Vaud dans un communiqué le 28 février dernier, après l’annonce par la police cantonale de la fermeture d’un centre esthétique de la région lausannoise pour «des pratiques ne respectant pas les dispositions en vigueur».
Que penser du rôle des réseaux sociaux? Selon Claire Balleys, sociologue de la jeunesse et des pratiques numériques et professeure associée au sein du Medi@lab (Université de Genève), «les réseaux constituent de nouveaux outils qui participent à la fabrication de l’image de soi et des autres. Il y a un aspect identitaire très fort.» La sociologue insiste cependant sur le fait que les standards de beauté véhiculés par ces plateformes n’ont rien de nouveau: «Les médias sociaux n’ont rien inventé. Ces normes de beauté sont présentes dans toutes les sphères sociales. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la possibilité pour les jeunes de travailler leur image de manière continue et médiatisée.» Au point d’avoir recours à la médecine esthétique? «Il est important que ces jeunes femmes puissent faire un choix éclairé. Si l’une d’elles veut subir une telle procédure, tout en étant consciente de répondre à un modèle normatif de beauté, elle est libre de disposer de son corps. Par ailleurs, les réseaux sociaux sont aussi le berceau de mouvements alternatifs montrant des corps et des visages auparavant invisibilisés. Le but n’est pas d’étiqueter tel ou tel contenu comme étant bien ou mal, mais d’éduquer à la diversité des représentations féminines.»