La chartreuse d’Ittingen est un lieu charmant, à l’importance historique. Château fort au VIIIe siècle, elle est transformée en monastère quatre cents ans plus tard. Puis, en 1461, l’Ordre des chartreux rachète aux augustins un chapitre de chanoines appauvri, avant de lui apporter de très belles modifications. Aujourd’hui, la chartreuse séduit le plus grand nombre par son vignoble, son atelier, son hôtel et son auberge.
Ses vénérables murs sont le cadre idéal d’une rencontre organisée par la «Schweizer Illustrierte» et «L’illustré». Autour de la table: Werner De Schepper, théologien de formation et animateur de l’événement, Anita Buri (43 ans), présentatrice, entrepreneuse et Miss Suisse 1999, Hausi Leutenegger (82 ans), éternel champion olympique et millionnaire autodidacte, Armin Landerer (60 ans), CEO de DEAR Foundation-Solidarité Suisse, et Johanna Soliva (73 ans), représentante des lecteurs installée à Sedrun (GR) mais restée Thurgovienne dans l’âme.
Werner De Schepper accueille l’assemblée à l’extérieur du restaurant Mühle et s’enquiert tout d’abord de l’image du canton.
- Hausi, qu’est-ce que la Thurgovie a de si spécial pour que vous en parliez tout le temps?
- Hausi Leutenegger: La Thurgovie produit les plus grosses pommes et le meilleur moût. Ce n’est pas un canton comme les autres. Celles et ceux qui l’habitent brillent par leur discrétion: ils ne sont pas du genre à tout étaler sur la place publique. S’y faire accepter n’est pas chose aisée. Je travaille dans les médias depuis plus de cinquante ans et, d’une certaine manière, les Thurgoviennes et Thurgoviens ont toujours glosé sur mon déclin, attendant ma chute. Jusqu’à ce qu’ils acceptent que je reste au sommet. Nous étions huit enfants, cinq garçons et trois filles. Notre père travaillait à l’usine. C’est ce qui m’a décidé: je n’allais pas faire comme lui. J’ai appris le métier de serrurier en bâtiment, mais j’ai vite eu l’idée de me spécialiser dans la location des services d’artisans. Pour fêter mon succès, je devais toutefois quitter la Thurgovie.
- Johanna Soliva: Je ne voulais pas non plus reprendre l’exploitation agricole de mes parents. J’ai quitté la Thurgovie par amour. Mais je reviens encore une fois par mois, à Romanshorn ou à Amriswil, pour jouer aux cartes et jurer. Il n’y a pas meilleur endroit pour le faire.
- Anita Buri: J’ai passé la première moitié de ma vie en Thurgovie, à Berg. Ici, on sait ce que fait le voisin et on s’intéresse aux autres. Aujourd’hui, je vis à Baden de manière plus anonyme. Mais je porte toujours la Thurgovie dans mon cœur, c’est ma patrie – nous avons un merveilleux dialecte, très compréhensible. Je considère cela comme une force. Si quelqu’un me regarde de travers, je lui réponds toujours: «Chez nous, tout le monde parle comme ça. «So isch es», c’est comme ça.»
- La vie à Baden est-elle plus facile pour vous?
- Anita Buri: La vie à proximité de la ville est clairement différente de la vie à la campagne – comme je l’ai dit, plus anonyme. Cela revêt bien sûr aussi des avantages: Baden est une belle ville. Et je m’y plais beaucoup. Mais mes racines restent en Thurgovie. Enfant, j’allais tout le temps à l’Untersee ou au lac de Constance. Aujourd’hui encore, je passe une grande partie de mon temps libre en Thurgovie, au bord du lac.
- Hausi Leutenegger: En Thurgovie, j’étais perçu comme un gitan. En tant que fils d’ouvrier issu d’un milieu modeste, je ne recevais pas d’argent des banques. Mais j’ai eu l’opportunité d’aborder les choses que je maîtrisais, professionnellement, sportivement, artistiquement. J’ai eu la grande
chance de faire carrière dans le cinéma et de pouvoir ainsi découvrir le monde entier. J’ai même eu une offre de Hollywood.
- Pardon? Une offre de Hollywood?
- Deux agents, les frères Korner, voulaient me faire signer un contrat. Mais j’ai dû refuser, car je possédais déjà une entreprise en Suisse employant plus de 1000 personnes. C’était en 1986. Quand on grandit comme je l’ai fait, on n’oublie pas ses racines. J’ai eu la chance d’être un bon gymnaste et bobeur. Et quand j’ai créé une entreprise, ça a fait boum! J’ai toujours eu les meilleures personnes autour de moi – et je sais ce que les gens pensent de moi, surtout les femmes (rires).
- Armin Landerer: Je suis d’accord avec toi pour dire que le métier de banquier demande aussi beaucoup de tact, de connaissance des gens et d’empathie. Lorsque j’ai choisi de travailler dans le secteur bancaire, ce n’était pas tant l’argent qui m’intéressait que le contact avec les clients. Je voulais apprendre à diriger des personnes et à créer de nouvelles unités commerciales.
- Johanna Soliva: Pour moi, la vie a en quelque sorte recommencé avec mon déménagement à Sedrun. J’ai notamment dû apprendre le français, ce qui a été difficile. Mais je continue à préférer le dialecte thurgovien. Nous avons construit notre auberge à Sedrun. Puis la décision sur le tunnel de base est tombée. Lors de la construction, il y avait au départ 13 travailleurs extérieurs, et 800 à la fin. Ils m’ont tout raconté. Sedrun éclate de toutes parts, mais tout s’est bien passé.
- Parlons maintenant de l’actualité. Le monde entier regarde avec inquiétude vers l’Ukraine. Dans quelle mesure cela vous concerne-t-il?
- Anita Buri: Dans mon entourage, il y a beaucoup de femmes et d’enfants originaires de la zone de guerre. Certains de ces enfants et adolescents parlent bien anglais et traduisent pour leurs parents. Mais tous disent qu’ils veulent rentrer chez eux le plus vite possible. Une jeune fille m’a offert un dessin – cela m’a presque émue aux larmes.
- Armin Landerer: Ce sont de merveilleux signes d’humanité – dans une époque dictée par la peur, l’horreur et les gros titres négatifs. Dans ce cas aussi, la solidarité doit toujours passer avant tout. Notre fondation n’est toutefois pas autant touchée par la thématique de l’Ukraine. Ce sont plutôt les thèmes nationaux qui nous préoccupent au premier plan – par exemple la distribution de repas aux personnes dans le besoin en Suisse romande. C’est une organisation qui compte 2500 bénévoles. Ou le projet de reconversion de l’Astag, qui permet à des demandeurs d’emploi d’entamer une deuxième carrière et de conduire des camions.
- Hausi Leutenegger: Cette guerre est un véritable fléau. Et ce sont les plus pauvres qui en souffrent le plus. Ceux qui ont de l’argent sont déjà tirés d’affaire. Qu’une telle chose se produise à notre époque est terrible. Les Russes peuvent bien faire ce qu’ils veulent. Cela me donne la nausée. Quand on a vu Poutine se tenir au bord de la piste avec Russi aux Jeux olympiques d’hiver de Sotchi, on n’a jamais pensé que cet homme deviendrait un tueur de masse. Il y a encore un an, personne n’y aurait cru.
- Armin Landerer: Ce qui se passe est effectivement bouleversant, et la fin n’est pas en vue. Avec notre fondation, nous gérons des foyers pour enfants en Russie. Heureusement, ils fonctionnent encore, notamment parce que nous avons pu transférer de l’argent au dernier moment. Mais plus le temps passe, plus nous manquons de médecins. Ils sont rappelés à l’armée et contraints au service militaire. Personne ne pense aux institutions humanitaires. C’est une grave erreur.
- Une question tout à fait différente. Anita Buri, comment voyez-vous Hausi Leutenegger? Plutôt comme un sportif, un entrepreneur ou un acteur?
- Anita Buri (rires): Hausi a été mon premier chauffeur personnel! Lorsque j’ai fait mes premiers pas de Miss Suisse en 1999, j’ai été invitée avec Hausi à un Championnat du monde de barbecue. Nous faisions partie du jury de dégustation. Hausi est venu me chercher. Depuis lors, nous nous entendons à merveille. C’est toujours amusant avec Hausi.
- Hausi Leutenegger: Je lui ai dit: «Je viens te chercher. Tu n’as pas à avoir peur.»
- Armin Landerer: C’est au sport que j’associe le plus Hausi Leutenegger. Sa victoire olympique est légendaire, et ses apparitions en tant qu’animateur le sont également. Hausi est une légende vivante et un élément du patrimoine culturel thurgovien – pardon – suisse.
- Johanna Soliva: Je le rencontre aujourd’hui pour la première fois. C’est un modèle pour moi. En plus, il parle un magnifique dialecte (rires). Quand j’ai su que je venais ici, la fille d’un de mes serveurs m’a envoyé un selfie de Hausi et elle. Alors, je me suis demandé: «Pourquoi le connaît-elle et pas moi?»
- Hausi Leutenegger: Heureusement, nous y remédions en faisant enfin connaissance à présent.
- Johanna Soliva: Je suis une de tes fans.
- Hausi Leutenegger: Je tiens à te remercier chaleureusement de m’avoir permis de participer à cet entretien. Et je suis très fier d’avoir pu découvrir ce bel endroit. Jusqu’à présent, je n’ai fait que passer. Grâce à vous, je découvre enfin la chartreuse d’Ittingen. Mais je l’avoue honnêtement: une secrétaire a dû prendre les devants et m’indiquer le chemin.
Homogène et pourtant unique
L’agriculture et l’industrie sont les deux secteurs dominants en Thurgovie. Grâce à des impôts peu élevés et à un faible niveau de salaire, la Thurgovie attire les entreprises.
Dans le canton de Thurgovie, les deux secteurs de l’agriculture et de l’industrie occupent une place plus importante en comparaison nationale. Des secteurs à forte croissance, comme certaines prestations de services, jouent un rôle globalement plus faible dans cette patrie du cidre («Mostindien»), ce qui relègue la compétitivité cantonale dans la moyenne suisse.
Avec des impôts relativement faibles pour les entreprises et un niveau de salaire assez bas, le canton situé sur les rives du lac de Constance offre un environnement de coûts attractif pour les entreprises. En outre, des finances publiques saines et un appareil administratif svelte laissent à la Thurgovie une certaine marge de manœuvre en matière de politique financière. En comparaison régionale, les différentes parties de la Thurgovie apparaissent plutôt homogènes, avec toutefois des particularités spécifiques. En raison de sa proximité avec le canton voisin de Zurich, la vallée de la Thur profite d’un accès rapide à l’infrastructure urbaine.
De leur côté, la région de l’Untersee offre la plus faible charge fiscale du canton et la région de l’Oberthurgau, le plus grand nombre d’emplois dans des entreprises innovantes. Toutefois, le domaine de l’innovation est, de manière générale et en comparaison intercantonale, encore négligé en Thurgovie; c’est pourquoi il a le potentiel de devenir le fer de lance de la croissance économique future.
Le Café du Coin est une initiative promotionnelle de L’Illustré et de la Schweizer Illustrierte, en collaboration avec DEAR Foundation-Solidarité Suisse et UBS Suisse.