Fermez les yeux et pensez à la Suisse. Vous y êtes? Sans doute ses montagnes et ses paysages d’une beauté à couper le souffle vous viennent-ils à l’esprit. Les montres peut-être aussi. Le chocolat évidemment, ses banques naturellement! La neutralité également, sa marque de fabrique. Et puis, son économie solide et la stabilité de son secteur bancaire. Une image d’Epinal, une carte postale idyllique et voilà que le dimanche 19 mars, patatras! Credit Suisse s’effondre et, avec lui, l’image d’une Suisse réputée pour sa fiabilité.
La Suisse sous le feu de la critique internationale
Or les critiques à l’encontre de la Suisse ne datent pas d’hier. Rien que ces dernières semaines, sur fond de guerre en Ukraine, les médias étrangers s’en sont donné à cœur joie sur la politique de neutralité helvétique; le «New York Times», «Le Monde», TF1, France Inter, pour ne citer qu’eux, s’interrogent – au mieux – ou critiquent vertement la posture de cette Suisse «neutre» dont ils peinent à saisir les contours de la politique étrangère. Les Belges du site d’actualité Le Vif, quant à eux, n’hésitent pas à titrer «Comment la débâcle de Credit Suisse écorne l’image de la Suisse». Qu’il paraît loin, le temps où la petite Helvétie suscitait l’admiration du monde!
Du côté des relations internationales, l’image de la Suisse ne brille pas non plus de mille feux. Même dans le milieu feutré de la diplomatie, les commentaires négatifs fusent. Voyez seulement. «Etre neutre, c’est prendre le parti de l’agresseur.» La charge, récente, vient de la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock. Toujours sur la neutralité: «Aucun pays au monde ne peut rester neutre. Cela n’a aucun sens.» Des mots prononcés par l’ex-secrétaire général de l’OTAN Anders Fogh Rasmussen. Un dernier exemple pour la route? Dans une interview donnée à la NZZ, Scott Miller, l’ambassadeur des Etats-Unis en Suisse, avance ni plus ni moins que «la Suisse traverse sa plus grande crise depuis la Seconde Guerre mondiale».
«Notre image s’érode»
«Il est certain qu’avec les derniers événements il n’existe plus une image de la Suisse des certitudes, d’une Suisse «propre en ordre». D’un pays, certes discret, mais qui fait ce qu’il faut pour être apprécié par ses voisins et ses alliés», relève Charles Juillard, conseiller aux Etats (JU) et vice-président du Centre suisse. Même constat de la part du conseiller national vert’libéral (VD) François Pointet: «Notre image s’érode. Comme nos relations avec l’Union européenne, avance-t-il avant de placer les éléments dans leur chronologie. Cela a commencé en 2021 déjà, avec la rupture des négociations avec l’UE sur un accord-cadre institutionnel, avec pour conséquence notre exclusion du programme de recherche Horizon Europe. Puis, avec l’invasion russe en Ukraine, en février 2022, est venue s’ajouter la question de la neutralité helvétique que nos voisins ne comprennent plus et que nous sommes incapables de leur expliquer.»
Selon Irène Herrmann, professeure d’histoire à l’Université de Genève, «on brandit l’argument de la neutralité sans véritablement savoir de quoi on parle. Il est nécessaire de faire une distinction entre un droit à la neutralité très succinct – fixé en 1907 par les Conventions de La Haye – et une politique de neutralité à géométrie variable qui offre une plus grande marge de manœuvre au Conseil fédéral. Si l’exécutif n’explique pas clairement ce qu’il entend par «politique de neutralité» ou s’il se réfugie derrière un droit là où il ne devrait pas le faire, on ne comprend plus rien. En Suisse, déjà. Alors je vous laisse imaginer à l’étranger…»
Un manque de clarté que reproche le parlementaire François Pointet au gouvernement. «Le Conseil fédéral se cache derrière le droit de la neutralité. C’est extrêmement dommageable pour notre image. Il devrait prendre son courage à deux mains et expliquer son optique politique. La neutralité n’est pas une fin en soi, elle est là pour assurer notre sécurité.»
«Une Suisse opportuniste, égoïste et peu solidaire»
Plus que la neutralité helvétique, c’est surtout l’inflexibilité de la Confédération sur la question de la réexportation des armes qui déchaîne les passions dans le monde occidental et suscite l’ire des pays membres de l’UE. A commencer par l’Allemagne, l’Espagne et le Danemark, qui se sont vus empêchés d’acheminer du matériel de guerre suisse vers l’Ukraine. Au sein d’une Europe solidaire soutenant le pays agressé, la position de la Suisse fait tache. «Elle est perçue par les Européens comme étant opportuniste, égoïste et peu solidaire. Avec une attitude qui revient à dire: nous voulons bien profiter du bouclier de défense de l’OTAN mais nous ne sommes pas prêts à coopérer et à apporter des contributions concrètes», souffle un ancien ambassadeur suisse qui tient à nuancer le tableau: «L’image de la Suisse en Asie, en Afrique, en Amérique et en Extrême-Orient reste très bonne, mais il est clair qu’en Europe nous avons un problème de perception.»
«Désastre économique», «honte», «débâcle»
La disparition de Credit Suisse, qui allait fêter ses 170 ans d’existence, porte inévitablement un coup dur à la réputation du pays. «Désastre économique», «honte», «débâcle», les termes peu élogieux dans les médias et sur les réseaux sociaux n’ont pas manqué pour qualifier la chute de la deuxième plus grande banque du pays, rachetée dans l’urgence pour 3 milliards de francs par UBS. De quoi pulvériser en confettis l’image de fiabilité de la Suisse?
Pas forcément, selon Charles Juillard, qui répond en deux temps. «Evidemment que ce fiasco porte préjudice au pays et provoque une grande incompréhension. On n’a pas pour habitude de voir une grande institution bancaire – qui plus est portant le nom de «suisse» – s’écrouler comme un château de cartes. Mais, nuance-t-il, la rapidité de la résolution du problème a certainement rassuré l’opinion publique suisse et étrangère. La Suisse, on la connaissait pragmatique. En quelques jours, elle a trouvé une solution pour empêcher que le système bancaire suisse et international ne change.» Un point de vue partagé par un ancien ambassadeur: «L’affaire de Credit Suisse donne l’impression que la banque suisse n’est plus aussi fiable que par le passé. Avant, s’il y avait un endroit où on pouvait déposer son argent en sécurité, c’était bien dans notre pays, regrette-t-il. Mais je reste convaincu que la place financière helvétique demeure solide. Cela dit, cette affaire n’améliore pas notre image à l’étranger et suscite bien des questions quant à notre avenir.»
Une lueur d’espoir
Et c’est dans ce climat, vous l’aurez compris, plutôt tendu que la ministre de la Défense, Viola Amherd, s’est rendue à Bruxelles le 22 mars pour participer au Conseil de l’Atlantique Nord réunissant les ambassadeurs des 30 pays membres. Elle a également rencontré Jens Stoltenberg, le secrétaire général de l’OTAN. La conseillère fédérale, qui prônait une intensification de la collaboration avec l’alliance, était attendue au tournant et n’a pas esquivé les questions qui fâchent. «Elle a bien fait d’y aller, elle aborde les vrais problèmes alors que les autres membres du gouvernement s’intéressent à des problèmes sans doute importants mais «moins actuels et moins cruciaux» pour notre image à l’étranger», estime Charles Juillard.
Le Vert’libéral François Pointet ajoute: «Viola Amherd est la seule à faire preuve de courage. Elle tente de trouver des solutions pour une meilleure collaboration avec l’OTAN et pour une participation à l’architecture sécuritaire européenne.» La démarche suffira-t-elle à redorer le blason de la petite Helvétie? Il est sans doute trop tôt pour se prononcer. Nous avons contacté Présence Suisse, qui n’a pas souhaité s’exprimer sur les récents événements. Il y a fort à parier que, ces prochains mois, l’organe de promotion du pays à l’étranger aura fort à faire pour redonner du lustre à une image de la Suisse qui a perdu de sa superbe.