Jennifer Lopez a vendu 80 millions d’albums, joué dans une quarantaine de films, et généré 5 milliards de dollars en tant que marque. Récemment, celle dont la fortune est estimée à 400 millions a également lancé Limitless Labs, une fondation destinée à soutenir les entrepreneuses latino-américaines qui a obtenu de la part de grandes banques leur engagement d’injecter 14 milliards de dollars dans leurs projets. A bientôt 53 ans, J. Lo est une femme hors normes, et le documentaire «Halftime» vient adroitement nous le rappeler. La dernière fois que les médias s’étaient intéressés à l’ex-fille du Bronx, Jenny from the Block – comme elle se surnomme dans un tube –, c’était pour s’extasier sur le retour de flamme de l’acteur Ben Affleck, vingt ans après leur première idylle.
«Halftime» rend justice à l’actrice, danseuse, chanteuse, patronne créative et toujours bonne camarade, dotée d’une détermination en titane. «Toute ma vie, je me suis battue pour être entendue, vue, prise au sérieux», confie-t-elle. «Bomba latina». Jennifer la diva. Reine de la «vida loca»… Toute sa vie, J. Lo a essuyé les stéréotypes sexistes, sinon racistes, pour avoir assumé son ambition, son autonomie et sa fortune sans jamais demander pardon. Ni se départir de son sourire, alors que son intelligence aurait pu tailler en pièces beaucoup de ceux qui le méritaient.
«Halftime» suit la star entre la fin de l’année 2019 et les premières semaines de 2020. Une période dense, où elle assure le service après-vente du film «Queens», en plein marathon des prix, et tout en préparant la mi-temps du Super Bowl, regardé par tous les Américains et où les meilleurs artistes se sont produits. L’observer élaborer ce méga-show chorégraphique, entourée de ses fidèles qui la surnomment Mama, est une épiphanie. Pour l’événement, J. Lo a surtout envie de faire passer un message viscéral. Choquée par la politique migratoire du président d’alors, Donald Trump, ainsi que par les images d’enfants immigrés séparés de leurs parents et enfermés dans des cages, elle produira un cri de rage autant que d’amour à sa double culture américano-portoricaine, appelant les filles de la nouvelle génération à «ne plus jamais se taire».
«Halftime» replonge aussi dans la violence que Jennifer Lopez a subie, notamment au début des années 2000, avec des commentaires au cyanure. «Il n’y a pas plus fade et belle, elle pourrait être vendue en tant que vase chez Sotheby’s», imprime un journal, tandis que le présentateur vedette David Letterman s’esclaffe en plateau qu’il a hâte de voir son prochain film «parce que son cul est en 3D», qu’elle est comparée à une «femme de ménage» par un autre, et que sa marionnette dans la série animée «South Park» répète en chantonnant: «Tacos, tacos...»
Forcément, l’envie de tout arrêter l’a aspirée plusieurs fois: «Peu importait ce que j’accomplissais, ils étaient avides de commenter ma vie personnelle. Et ça éclipsait tout ce qui se passait dans ma carrière. J’avais une estime très basse et je croyais tout ce qu’ils disaient. Que je n’avais pas ma place, alors pourquoi je ne disparaissais pas?» Cette attention médiatique qu’elle qualifie pudiquement de «dysfonctionnelle» coûtera d’ailleurs à la star sa fameuse première romance avec Ben Affleck… Mais J. Lo a toujours fait preuve d’une résilience inouïe. Une boxeuse, comme son personnage dans «Plus jamais». Elle ne s’est jamais interdit de porter les tenues les plus flamboyantes, telle sa fameuse robe verte à imprimés sauvages Donatella Versace, arborée aux Grammy Awards en 2000, et si échancrée qu’elle est à l’origine du lancement de Google Images, pour permettre aux fans de retrouver plus vite l’œuvre et se rafraîchir la rétine en surfant.
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Dès le départ, l’endurance était encodée dans les gènes de Jennifer Lopez. Née dans une famille de trois enfants installée dans un 2 pièces étroit du Bronx, J. Lo s’évade en regardant des comédies musicales, fascinée par la star portoricaine de «West Side Story» Rita Moreno: «C’était si rare de voir quelqu’un comme moi, là-haut.» Mais sa mère a la main lourde, et quand l’adolescente annonce qu’elle préfère la danse aux études, elle doit partir, à 18 ans, et s’assumer.
Passionnée par le jeu d’acteur, elle paie ses cours de théâtre grâce à ses jobs de danseuse, démarrant son ascension tout en bas de l’échelle. Elle joue rapidement pour Francis Ford Coppola, Oliver Stone et Steven Soderbergh, tout en reconnaissant que «les bons rôles pour les femmes de couleur étaient rares». En 1999, elle entre en studio pour devenir la méga-star que l’on connaît, alors que son succès musical est immédiat. Ce qui n’empêchera pas la National Football League de l’obliger à partager la mi-temps avec l’artiste colombienne Shakira. «Généralement, lors d’un Super Bowl, vous avez une tête d’affiche qui construit un spectacle. C’était une insulte de dire que vous aviez besoin de deux Latinas pour faire le travail qu’un artiste a fait historiquement», dénonce son manager, Benny Medina, dans «Halftime».
En 2019, pour célébrer ses 50 ans, Jennifer Lopez s’est surtout offert un projet à sa mesure: «Queens», l’histoire vraie de strip-teaseuses qui avaient plumé des tradeurs au moment de la crise des subprimes, afin d’obtenir un bout du rêve américain. «C’est un film sur des femmes qui ont des options limitées et qui ont dû faire des choix difficiles. Elles me rappellent des femmes que j’ai connues dans le Bronx», dira la star lors du tournage. J. Lo s’est vaillamment battue pour en obtenir le financement, entourée de femmes jusque dans la composition de l’équipe technique. Elle s’y offre le rôle du cerveau des braqueuses en talons de 25 centimètres et exécute la session de «pole dance» la plus hypnotique de l’histoire du cinéma. «Je suis une actrice de 50 ans dont le plus grand succès de sa carrière est de jouer une strip-teaseuse. Une femme qui embrasse le pouvoir de sa sexualité et utilise à son avantage l’objectification des femmes», confie-t-elle dans «Halftime».
Pourtant, la patronne avait déjà largement prôné l’autonomie des femmes ou dénoncé le sexisme dans ses chansons. Mais, là encore, sa force féministe a longtemps été négligée. La différence entre elle et une Beyoncé vite érigée en reine? Douze ans d’écart. Née en 1969, J. Lo appartient à une époque où les femmes puissantes et riches se prenaient encore d’énormes retours de manivelle. «Queens» n’a pas été nommé aux Oscars; elle et son équipe y croyaient, pourtant. Nouvel exemple patent de l’injustice qui a rythmé sa carrière. Mais sa résilience a, comme toujours, très vite pris le dessus. «Il y a tellement d’autres projets formidables à venir et je suis prête. Et je m’épanouis d’une façon que je n’aurais jamais imaginée. Je n’ai pas fini. On n’est même pas proche de ça», souffle-t-elle dans «Halftime». En attendant, Jennifer Lopez n’a jamais paru aussi divine et son sourire ressemble de plus en plus à celui d’une lionne en train de se chauffer sereinement au soleil.