Catherine est coquette, les ongles vernis de rouge pétant, une alliance en diamant au doigt, un petit cœur autour du cou. «Je l’ai reçu quand Yves m’a demandée en mariage.» Ses yeux bleus s’allument. Son sourire aussi. Il y a encore quelques années, c’est une croix qu’elle portait au même endroit et c’est à Dieu qu’elle était mariée. Sous le nom de Sœur Marie Pia. Il faut qu’elle nous tende une photo d’elle avec voile, sous-voile, regard éteint pour qu’on réalise que c’est bien la même femme qui a passé quarante ans au sein d’un couvent bénédictin. Elle en est sortie le 14 mai 2013, mais va mettre encore huit ans, soutient-elle, pour être véritablement elle-même. C’est ce destin incroyable qu’elle raconte dans «Métamorphose». «Il n’y a pas d’âge pour apprendre à vivre.» Cette phrase de Françoise Sagan a remplacé dans sa vie les «Je vous salue Marie».
Installée sur la terrasse du jardin botanique de Genève, Catherine Draveil revient sur cette incroyable destinée. Naissance en 1952 au sein d’une famille catholique rigoriste. Elle est la quatrième de dix enfants. Sa mère, qui estime qu’on doit donner un enfant sur trois à Dieu (deux de ses frères ont été moines), est horrifiée quand sa fille parle de devenir médecin, craignant qu’elle ne doive pratiquer des avortements lors de ses stages. Dans cette famille aisée, la gauche et ses idées libertaires, c’est Satan. En mai 68, elle ira même se réfugier chez des cousins à Engelberg, dans le canton de Berne, pour fuir ce qu’elle perçoit comme l’Apocalypse.
Pourtant, Catherine s’entête. Elle fera quatre ans de médecine avant d’être rattrapée par son éducation, la culpabilité, cette petite voix intérieure qui lui enjoint de devenir religieuse. Elle entre le 6 janvier 1975 au monastère. Se sacrifier pour sauver des âmes. «Je faisais fausse route en toute bonne foi.» Joli jeu de mots. Comme ces somatisations plus tard qui entraîneront de véritables crises de foie. Après son noviciat, c’est une vie de prières et de travaux manuels qui l’attend. Une cellule avec broc et cuvette. Les lavabos sont réservés aux supérieures. Palissade extérieure pour protéger des regards, ses parents, elle ne les verra qu’à travers une grille de parloir qui a tout d’une prison. Lever aux aurores, prières, travaux des champs, conduite du tracteur, prière de nouveau. «Etre suroccupée empêche de penser. J’étais morte au monde.»
A la tête du monastère règne Mère Edith. Une supérieure qui va faire preuve d’abus dans la conduite de son couvent. Des faits qui seront reconnus des années plus tard par l’Eglise mais de façon confidentielle. Ordres et contrordres, déstabilisation psychique sont le lot quotidien de Sœur Marie Pia. Qui ne sait plus à quel saint se vouer pour plaire à cette supérieure à la froideur pétrifiante. «Elle interdisait toute relation amicale entre nous sous prétexte qu’on ne doit pas faire de différence, toutes les sœurs représentent le Christ. J’étais sous emprise. Il a fallu des événements extérieurs, des rencontres pour le comprendre», confie encore Catherine, la mémoire à fleur de peau. «Ce livre est né pour montrer que la déprise de l’emprise est possible à tout âge. Qu’on soit coincée dans un mariage qui périclite, une relation toxique, c’est toujours possible de s’en sortir!»
Elle n’assiste pas à l’enterrement de ses parents
Sœur Marie Pia survit au long de ces années. Elle fera trois séjours en Afrique, en 2005, bouffée d’oxygène grâce au contact avec la population, mais sera renvoyée trois fois en France. De façon humiliante. Quand elle s’occupait de l’infirmerie, Catherine ne cache pas avoir administré aux sœurs agitées, à leur insu, des neuroleptiques sous le couvert de gouttes homéopathiques, ne faisant qu’obéir aux ordres. Elle découvrira aussi plus tard qu’une sœur a tenté de se suicider. Elle ne pourra pas non plus assister à l’enterrement de ses parents, décédés à quelques heures d’intervalle.
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Sœur Marie Pia était consciente d’avoir étouffé Catherine à l’intérieur d’elle, mais était incapable de remettre en question le processus qui l’a entraînée à prendre le voile. «Il y avait une muraille de béton armé à renverser avant que je puisse envisager d’abandonner le couvent. Pour moi, j’y étais par la volonté de Dieu.» Victime d’un burn-out, elle sera placée dans un autre couvent en stand-by. Puis il y aura ce premier rendez-vous chez un psy. «C’était une première. Une moniale ne le fait jamais, son corps ne lui appartient pas.» Remontent alors en surface ces attouchements sexuels infligés par un ado alors qu’elle n’a que 6 ans durant des vacances familiales. Sa mère, mise au courant, lui avait conseillé de tout oublier. De se méfier des garçons. Catherine s’est tellement méfiée du monde et de ses dangers qu’elle est entrée au couvent!
Déliée de ses vœux en 2016
Et puis, un matin de ses 60 ans, surgit «tel un tsunami» une étincelle au fond d’elle qui a traversé les multiples couches de son inconscient. «J’ai dit oui pendant trente-huit ans, j’ai osé dire non.» Catherine Draveil cite cette colère féconde qui balaie tout évoquée par la théologienne romande Lytta Basset.
En 2013, elle obtient de l’évêque une autorisation d’absence. Reprend son prénom. Obtient d’avoir un e-mail à son nom. Quitte l’habit religieux, travaille comme femme de ménage dans un monastère, puis baby-sitter de son petit- neveu, ce qui lui permet de renouer avec cet enfant intérieur «en hibernation». «J’ai commencé ma vie professionnelle à l’âge de la retraite», sourit-elle.
Elle croit désormais en un Dieu «plus coopératif» qui ne demande que son bonheur. Elle lit Spinoza, Nelson Mandela, Boris Cyrulnik. «J’ai appris à parler en je», affirme-t-elle. Elle ne va plus à la messe. Sourire. «Je suis dispensée pour au moins trois cents ans!»
Le 2 août 2016, la religieuse demande à être déliée de ses vœux. Le pape dit oui et signe un indult de sortie. Catherine renaît officiellement mais l’apprentissage de la liberté n’est pas facile. Elle n’a pas les codes du vivre en société, dit chandail au lieu de pull, ne connaît pas les noms des gens qui font l’actualité. « Un cœur d’enfant avec des cheveux blancs!» Penser par soi-même après toutes ces années d’infantilisation, c’est difficile. Mais revenir à la vraie vie passe aussi par l’éclosion de ces émois sensuels refoulés. «Et surtout perdre ma virginité», lancé comme un véritable cri du corps.
Elle la perdra avec Bruno, connu sur un site de rencontre. «Ça s’est fait naturellement. Je me suis alors rendu compte de tous les tabous que j’avais emmagasinés. Notamment en ce qui concerne la masturbation.» Et puis Yves est arrivé. Le couple vit à Lyon. Insatiable de nouvelles sensations, Catherine a déjà sauté en parachute, fait du parapente, du rafting, du trekking, comme s’il fallait faire vibrer chaque fibre de ce corps trop longtemps engourdi. Lui s’étonne qu’elle n’ait pas de regrets. Même pas celui de la maternité. Sa vie présente est faite d’émerveillement, répond-elle. «Je porte la vie d’une autre façon!»
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