Alors que des étudiants entre 17 et 19 ans sortent d’une salle de classe en riant, plusieurs viennent saluer chaleureusement Elena Lucciarini. «Madame, on vous aime!» disent-ils pour la féliciter de son aventure parisienne. C’est que leur prof de philosophie a une personnalité qui ne passe pas inaperçue. La Valaisanne aux origines italiennes est non seulement vive et astucieuse, mais elle crée aussi un lien solide avec la génération Z. Des qualités qui n’ont pas échappé aux 40 000 élèves qui l’ont écoutée il y a quelques semaines pour méditer avec elle dans une séance inédite à la Maison de la radio à Paris. Une impulsion lancée par l’équipe de l’application zen Petit BamBou, qui a invité la Romande à faire une intervention. «Vous vous rendez compte que j’ai eu droit à un micro Madonna (un micro-casque comme celui qu’utilise la chanteuse pour pouvoir faire ses chorégraphies, ndlr)?» s’amuse l’enseignante lorsqu’elle raconte cette manifestation XXL à ses élèves. «Je vous avoue que j’étais un peu stressée avec les plus grands, ceux de 15 ans, mais j’ai réussi à les gérer», confie celle qui aime néanmoins avoir des pics d’adrénaline même à 42 ans, «l’âge de Beyoncé», ajoute-t-elle avec un clin d’œil.
Parenthèse méditative en classe
Après ce petit prélude narratif, place au cours de philosophie. Depuis 2018, Elena Lucciarini commence ses sessions avec une méditation en groupe. «Ce que je propose ici, ce sont des invitations. Si une personne ne souhaite pas participer à la pratique, c’est OK», rappelle la professeure. Chacun peut choisir la position qui lui convient, tant qu’elle est confortable. Certains étudiants se mettent assis en tailleur sous le tableau noir, d’autres s’allongent sur le sol ou s’appuient sur un camarade. On voit qu’ils sont habitués à l’exercice, à l’aise. La plupart ferment les yeux. «On observe ce qui se passe… les sons... chaque bruit a un début et une fin. Ecoutez votre souffle… On est une boule à neige qui après avoir été secouée laisse les flocons tomber. On n’a rien d’autre à faire…» murmure l’enseignante, experte en recherche sur le bien-être des ados à l’école.
Avant le début du cours, elle nous rappelait la nécessité d’agir dans l’environnement scolaire: «Les jeunes souffrent. Il suffit de regarder les études sur la dégradation de leur santé mentale. Je mets en place plusieurs ateliers: des moments de méditation, mais aussi des exercices sur la gratitude. Tous se basent sur des méta-études scientifiques et agissent sur l’attention, la gestion du stress et l’écoute active», explique celle qui s’est plongée dans le domaine depuis des années. Après ses études à l’Université de Genève en philo, anglais et italien, Elena Lucciarini suit la formation méditative du sociologue Frédéric Lenoir, avant d’aller à Londres finaliser un cursus en Mindfulness-Based Stress Reduction (une méthode de pleine conscience pour réduire le stress). Elle y apprend les bienfaits de ce type de méditation. Insatiable, la Romande décide ensuite de suivre un master en sciences appliquées, en psychologie positive, à l’Université de Cambridge. En d’autres termes, elle décortique le bonheur.
A son retour en Valais, elle informe sa direction de son envie d’appliquer une pratique intentionnelle dans ses cours. «On peut vraiment déplacer l’attention des élèves et les aider à mieux se concentrer. Je propose uniquement des sessions laïques adaptées à l’école. Je ne pars pas du tout dans une approche ésotérique où l’on ouvre nos chakras», explique-t-elle, amusée. Cette ancienne journaliste radio a le sens de la formule et une énergie inépuisable. Cette année, alors qu’elle enseigne également à la HEP Valais pour former les pédagogues de demain, Elena Lucciarini rédige un doctorat pour approfondir ses recherches sur le développement du bien-être en classe. Tout ça en s’occupant également de sa fillette de 11 ans.
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Les clés du bonheur
Mais ramenons notre esprit en salle de classe. La méditation dure depuis plusieurs minutes. On entend le bruit du vent qui souffle contre les fenêtres et quelques cris d’enfants qui jouent dehors. En revanche, la vingtaine d’étudiants à l’intérieur ne font aucun bruit. On dirait que certains dorment. Après plusieurs minutes de silence, la classe un peu groggy se remet doucement en marche. «C’était intense et cool», dit simplement une étudiante. L’exercice pour conclure la pratique? Ils doivent écrire sur des post-it ce qui leur permet de ressentir de la joie. Sur le tableau est affichée la liste de ce qu’ils aiment, des éléments ressourçants. On peut y lire: voir ses amis, lire, manger, faire la sieste, regarder des vidéos sur Twitch, papoter, danser, etc. En fin de compte, leur notion du bonheur est «simple». La preuve, personne n’a griffonné être millionnaire ou célèbre comme Taylor Swift!
La cloche sonne. Entre deux cours, ils sont très peu à pianoter sur leur smartphone. Les ados discutent ensemble. Elena Lucciarini nous précise encore avoir commencé à penser à cette méthode alors qu’elle était perturbée par une classe turbulente qu’elle n’arrivait pas à maîtriser. «Des collègues m’avaient suggéré de montrer qui était la vraie boss, ça ne fonctionnait pas du tout pour moi. Ce ne sont pas mes valeurs. Alors j’ai dû chercher mes propres outils.» Des outils qui ont surpris, au début, à la salle des maîtres, mais qui ont fait leurs preuves. Grâce à cette enseignante hors du commun, une lente transformation s’opère dans les milieux scolaires. Pour réfléchir au mieux-être des nouvelles générations.