Des journaux s’empilent sur la table familiale à Oberägeri (ZG). Au sommet du tas, un article du «Tages-Anzeiger» daté du samedi de Pâques. Valérie Dittli, 29 ans, survole une page et lit à haute voix: «Les sœurs les plus captivantes de la politique suisse.» Elle marque un temps d’arrêt: «Un peu excessif, non?» Laura, 31 ans, rigole. «Je trouve ça cool. C’est un signe pour les jeunes.»
Depuis que Valérie Dittli a été élue le 10 avril dernier au Conseil d’Etat vaudois sous l’étiquette du Centre, tous les médias du pays ne parlent que d’elle. Une Zougoise de 29 ans sans expérience politique qui intègre un gouvernement romand, c’est une sensation! En plus, Valérie a une sœur aînée qui vise elle aussi le Conseil d’Etat, mais à Zoug, à l’automne, également sous les couleurs du Centre. Double sensation!
Cela dit, pendant le long week-end pascal, les deux sœurs souhaitent avant tout se reposer chez leurs parents, dans la ferme bio d’Oberägeri, entourée de cerisiers en fleurs et d’opulentes prairies constellées de pissenlits. Laura habite non loin de là, dans l’appartement de leur défunte grand-mère. Le dimanche soir, elle partage régulièrement le repas familial. Valérie, elle, est partie il y a huit ans à Lausanne pour y achever ses études. Elle n’a plus vu ses parents depuis Noël, trop occupée à préparer la campagne électorale.
Sur les photos récemment publiées dans la presse, Laura et Valérie se ressemblent à s’y méprendre: longue chevelure châtain clair, large sourire, blazer élégant. Mais lorsqu’on les rencontre en vrai, on remarque vite qu’une distance de 160 kilomètres à vol d’oiseau n’est pas la seule chose qui différencie les deux sœurs.
Laura joue de la clarinette à l’Harmonie d’Oberägeri, s’exprime posément, adore les chaussures, vit seule et a fait 21 journées de ski la saison dernière. Valérie aime la lecture, est douée pour les langues, a un ami, s’énerve parfois pour des détails et dit avoir mangé 21 fondues la saison dernière.
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Ces temps-ci, elles ont en commun une fatigue certaine. La veille, la soirée s’est terminée tard. La famille Dittli a trinqué à la victoire de Valérie et même le frère, Dario, 25 ans, est venu exprès de Zurich pour la fêter. Dans la discussion, on a tenté d’élucider pourquoi et comment deux jeunes femmes de la même famille se destinaient à la politique. Or la réponse était à portée de main: ici, entre poêle de faïence, repros du peintre Anker et eau-de-vie de cerise. A cette même table familiale, le papa, agriculteur bio, la maman, travailleuse sociale, et les enfants ont souvent débattu de sujets politiques ou sociaux, par exemple du prix insuffisant du lait. «Nous avons vécu dans notre chair les effets que les fluctuations du prix du lait pouvaient avoir sur des paysans comme notre père, signale Valérie. En faisant de la politique, on peut agir.» «Et nous sommes prêtes toutes les deux à attaquer le problème», ajoute Laura.
Les Dittli ont tôt appris à attaquer les problèmes. Une ferme, c’est beaucoup de travail: faire les foins, récolter les cerises, sortir les vaches au champ. «Cela n’a jamais été une obligation, assure Valérie. Mais quand tu vois à quel point tes parents s’échinent, tu ne te contentes pas de regarder.» Elle a toujours aimé travailler et déplorait de ne pas pouvoir assez aider son père, comme l’été dernier quand elle était en stage d’avocate.
Les deux sœurs Dittli ont étudié le droit. Laura est avocate à Zoug depuis quatre ans. Après son doctorat à l’Université de Lausanne, Valérie est elle aussi à la veille de son examen d’admission au barreau. Ni l’une ni l’autre n’imaginait consacrer sa vie à l’agriculture. «Mais il n’est pas exclu que notre frère reprenne la ferme.» Dario étudie les sciences de l’alimentation à l’EPFZ. Il se réjouit de pouvoir dire un jour, quand on lui demandera ce que font ses sœurs: «Elles sont toutes les deux conseillères d’Etat.»
Si Valérie a été élue au gouvernement cantonal vaudois, c’est Laura qui est entrée la première en politique. A 22 ans, elle a accédé au Grand Conseil zougois. Depuis quatre ans, elle préside le parti du Centre, ex-PDC, premier parti de son canton. Elle vise désormais l’exécutif.
Les choses se présentent tout différemment pour Valérie. Elle est depuis 2020 la présidente cantonale du Centre, un tout petit parti dans le canton de Vaud. Le fait que ce soit elle, une Zougoise qui n’a pas été élevée dans le bilinguisme, qui vise un fauteuil au gouvernement a beaucoup surpris. «Je me sens chez moi à Lausanne, c’est pourquoi je souhaite m’engager ici», dit Valérie qui, à l’image de sa sœur Laura, se mobilise avant tout pour des sujets liés à la formation. On a bien sûr entendu des critiques: trop jeune, trop inexpérimentée. «Mais cela m’a justement motivée.»
Trois mois durant, Valérie Dittli a battu le pavé sur les marchés, dans les gares, dans la rue, armée de croissants et de flyers. «Le soir, je me couchais raide morte, mais c’était une bonne fatigue.» En devisant en allemand, il lui arrive souvent de chercher le mot adéquat parce que, désormais, c’est le français qui lui vient d’abord à l’esprit. Elle se fiche que certains évoquent son «français fédéral». «En revanche, je connais certaines tournures vaudoises que pas mal de Romands ne comprennent pas.» En tout cas, ça n’a pas nui à sa marche triomphale.
Le dimanche du deuxième tour de l’élection, Laura a inopinément fait le voyage de Lausanne. «Je voulais soutenir Valérie, peu importe qu’elle l’emporte ou non.» A 14 h 30, sa sœur lui envoie un SMS: «Laura, je crois que je suis élue.» Et quelques secondes plus tard, Laura débarque. Toutes deux ont les larmes qui leur montent aux yeux. «Il faudra enfin que tu t’offres des chaussures élégantes», conseille Laura à cette frangine qui ne possède que des baskets.
Pour les fêtes pascales à Oberägeri, les baskets suffiront. Mais Valérie n’avait pas compté avec la bise. «Je sais pourtant qu’à Oberägeri il fait nettement plus frais qu’en plaine», dit Valérie, tout en faisant avec Laura le tour de la ferme. Depuis la colline, la vue embrasse à peu près tout le canton. Bientôt ce sera le tour de Laura de transhumer de commune en commune avec des croissants et des flyers sous le bras. Se sent-elle mise sous pression par la victoire de sa sœur? «Pas du tout, au contraire, dit-elle. L’élection de Valérie montre que même des jeunes ont accès à un gouvernement.» «D’ailleurs, toi, tu as déjà des chaussures élégantes», ajoute Valérie en riant.