Les enfants et les écrans. Voilà une association désagréable pour bien des parents. Les consoles de jeux et les smartphones exercent une attraction magique sur les utilisateurs du plus jeune âge, ce qui inquiète les experts. Il en va de même pour les écrans tactiles, que les petits utilisent plus naturellement que les livres d’images. Mais la roue tourne. Il est impossible d’inverser le progrès technologique. Dans les écoles, on travaille avec des ordinateurs et des tablettes dès le primaire. La question n’est plus de savoir si un enfant va entrer en contact avec le numérique, mais comment et quand.
C’est précisément là qu’intervient Digikult. Le projet vise à encourager la pensée numérique chez les enfants sans utiliser (trop tôt) d’appareils électroniques. Le cofondateur Mario Kaiser appelle cette démarche «l’alphabétisation numérique». «Grâce à Digikult, les enfants apprennent à percevoir leur quotidien de manière numérique. On leur enseigne à décomposer les activités quotidiennes telles que la cuisine, la peinture ou la musique comme s’il s’agissait de jeux informatiques.»
Les enfants s’adaptent presque inconsciemment à cet univers. Par exemple, la structure d’un langage de programmation peut être simulée avec quelques blocs de Lego. Mario Kaiser explique: «Avec deux blocs à huit boutons, il y a 24 possibilités d’agencement. Avec trois blocs, il y a déjà 1060 variantes.» Ce n’est donc guère un hasard si, selon lui, les têtes pensantes de la Silicon Valley indiquent toutes sans exception qu’elles jouaient avec des Lego dans leur jeune âge.
Briser les règles et les conventions
Dans le canton de Bâle-Campagne, la commune de Laufon a à peu près autant de points communs avec la Silicon Valley qu’un vieux tricycle avec un vélo de course en carbone. Les élèves de l’école enfantine de Hinterfeld se réjouissent surtout de la première neige qui tombe du ciel, ce midi-là. Les enfants viennent de Chine, d’Albanie, d’Italie, de Mongolie et de Turquie. Et aussi de Suisse. Ils écoutent, captivés, l’enseignante de classe enfantine Lena Henz leur expliquer qu’ils vont «démonter» un jeu de société. Cet exercice consiste à briser délibérément les règles et les conventions, à s’écarter des schémas de pensée préétablis et à créer quelque chose de nouveau. Cofondatrice de Digikult, Corinna Virchow détaille: «Les enfants apprennent ainsi de manière ludique comment fonctionnent un ordinateur ou un smartphone. En plus d’utiliser l’interface, ils voient pour ainsi dire à l’intérieur de l’appareil.»
Selon Corinna Virchow, il n’est pas nécessaire d’avoir des films Disney, des ordinateurs ou des jeux de tir immersifs pour créer une réalité virtuelle. «Dès que les gens se tournent vers les échecs ou le «Monopoly», ils signent un contrat avec une réalité artificielle. Pendant un certain laps de temps, aucune autre règle que celle du jeu ne s’applique.» Pour les adhérents à cette autre réalité, il s’agirait alors de remporter la partie en se conformant au fonctionnement de cet univers parallèle.
C’est en grande partie le hasard qui a fait que ces procédés d’un nouveau genre creusent leur sillon du côté de Laufon. Enseignante de 25 ans, Lena Henz a découvert le projet Digikult à la Haute Ecole spécialisée de la Suisse du Nord-Ouest, à Bâle. La jeune femme a alors proposé d’introduire ce système à l’école enfantine de Hinterfeld. Elle a trouvé une oreille attentive du côté de la direction. Cet endroit discret de la campagne bâloise s’est ainsi retrouvé à la pointe des méthodes d’enseignement.
L’apprentissage inconscient est plus efficace
Sans que les enfants s’en rendent compte, ils sont désormais en contact avec des unités d’enseignement modulaires. «Chaque leçon transmet une compétence de la culture numérique, comme la créativité ou l’esprit d’équipe, et aussi un concept de base de l’informatique comme l’algorithme ou la structure des données», indique Mario Kaiser. Le philosophe de formation fait l’analogie avec une recette de cuisine. «Une recette peut être comparée à un algorithme. Elle se compose d’un nombre fini d’étapes individuelles et résout un problème. Dès que nous sommes confrontés à d’autres recettes, nous retrouvons les mêmes repères. En cela, nous ressemblons beaucoup à un ordinateur.»
>> Lire aussi: Nous cherchons la vallée digitale de la Suisse
Selon Mario Kaiser, ce n’est qu’en suivant méticuleusement les instructions que l’on obtient finalement le plat souhaité. Il en va de même dans le monde numérique. Si tous les chemins mènent à Rome, ce n’est qu’en étant bien préparé que l’on arrive à bon port. Le projet Digikult se conçoit justement comme une boussole qui va renforcer le sens de l’orientation des enfants.
>> Votez dès maintenant sur digi-val-suisse.ch et gagnez un nouvel Iphone 14!
«Des procédés simples pour un fort impact»
CEO et directrice de la Gebert Rüf Stiftung, Pascale Vonmont est impliquée dans le soutien de l’innovation et des start-up suisses.
- Pascale Vonmont, qu’est-ce qui vous intéresse dans le projet Digikult?
- Pascale Vonmont: Digikult m’a convaincue par sa simplicité et son grand impact. Le projet apprend aux enfants à penser numériquement, sans électronique et sans barrières. Il rassure les parents et transmet aux élèves le lien entre la numérisation et la créativité.
- Quel est l’objectif principal du projet?
- Il vise à enseigner aux enfants la pensée numérique de manière ludique. Ils doivent par exemple faire de la pâtisserie avec différents ingrédients, en suivant différentes étapes de production. C’est en quelque sorte du codage «unplugged». L’important est que les méthodes soient applicables partout. Les enfants apprennent les fondements du langage informatique sans s’en rendre compte. Digikult construit des ponts entre le numérique et l’analogique.
- Y a-t-il déjà des signes de réussite?
- La meilleure preuve que Digikult fonctionne est sans doute le fait qu’il soit utilisé pour la formation de base des enseignants et aussi pour la formation continue. L’objectif suivant est d’élaborer davantage les outils et les applications pour optimiser la méthode.
- Est-il vraiment judicieux de commencer la numérisation dès l’école enfantine?
- Sans aucun doute. Comme Digikult fonctionne sans appareils électroniques, il n’y a pas d’âge minimum. Il est important de préparer les enfants aux applications numériques alors qu’ils vivent encore dans le monde analogique. Mettre simplement une tablette ou un ordinateur dans la salle de classe ne sert à rien. Les enfants doivent comprendre avec quoi ils travaillent et pas seulement jouer sur les appareils. L’acquisition d’une compréhension de base de la numérisation fonctionne de la même manière que l’apprentissage d’une nouvelle langue.
>> Lire aussi: Pascale Vonmont, la digitalisation jusqu'au bout du doigt