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Dégustation

La passion du gin

Ce spiritueux a su se moderniser, devenant même tendance, incitant des Romands à imaginer des recettes originales, aux arômes de lavande, de safran, d’ortie, de cacao, d’aiguilles d’épicéa, de rhubarbe, de pétales de rose, de yuzu ou de fruit du dragon. Rencontre avec quatre artisans qui font rimer passion avec distillation.

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Renaud Meichtry, organisateur du Gin Fest

A la carte de la Brasserie de Montbenon, à Lausanne, «fervente apologiste des gins suisses», une petite trentaine d’entre eux sont proposés, dont de nombreux romands, explique Renaud Meichtry, organisateur du Gin Fest et auteur du «Bréviaire du gin suisse» qui vient d’être publié.

François Wavre/lundi13

Du triste Gordon’s Schweppes d’antan, servi dans un verre tube, au Gin Bleu No 2 de Niels Rodin, avec ses touches de yuzu, mélangé avec un tonic helvétique, proposé dans un verre ballon décoré d’une tranche de pamplemousse séchée, d’un brin de romarin et d’une framboise, il y a un gouffre. Que le gin a franchi allègrement il y a une dizaine d’années en devenant furieusement tendance. A tel point qu’on peut désormais en déguster des romands. Après tout, le cahier des charges du gin est assez simple: il doit être produit avec un alcool éthylique d’origine agricole, avoir une teneur en alcool de 37,5% au moins et être aromatisé aux baies de genévrier, dont le goût doit être dominant.

Lors du Gin Fest qui s’est tenu le 18 mai à la Brasserie de Montbenon, à Lausanne, le public a pu goûter aux créations de 27 producteurs suisses dont plus de la moitié de romands. Il y en avait pour tous les goûts. Du genevois Sutton’s Seedless, qui doit son nom à une variété de rhubarbe, au gin lausannois de Mamie Ginna, parfumé à la lavande, en passant par le gin Verbier au thé noir, le Gin d’Ei infusé aux orties, le Sirun de Ginexplorers aux fleurs de lotus bleu et le Canopée délicatement poivré. Pour découvrir comment on conçoit un gin, «L’illustré» est allé rendre visite à quatre distillateurs romands ayant imaginé des spiritueux aussi originaux qu’artisanaux.


«En dégustant Carnets de voyage: Bali, on a l’impression d’être transporté sur cette île»

Sergio Sepulcri, 21 ans, distillerie Larusée, Fenin (NE)
Sergio Sepulcri travaille chez Larusée depuis trois ans

Sergio Sepulcri travaille chez Larusée depuis trois ans; il est responsable de la distillation des quatre gins Carnets de voyage, mais également du pastis et des absinthes.

François Wavre / lundi13

C’est une histoire de famille à tiroirs qui a mené à la création de la distillerie Larusée au Val-de-Ruz. Au siècle dernier, Léon Duvanel, maréchal-ferrant à Concise, aspire à produire de l’absinthe, imagine des recettes, mais son épouse met son veto. Malgré tout, il transmet sa passion pour la fée verte à Jean-Pierre Candaux, le mari de sa petite-fille, et fabrique même les alambics dans lesquels ce dernier produit de l’absinthe clandestinement. Mais ce n’est que lorsque ce sérigraphe révèle la provenance de son absinthe et évoque le rêve de Léon avec son beau-fils Nicolas Nyfeler, après son mariage avec sa fille aînée, que le projet prend forme. Ils s’associent pour fonder Larusée en 2012, avec l’absinthe au cœur de son activité.

Le premier gin, lui, a été conçu en 2021; l’exubérant Gintiane mêle racines de gentiane, symbole des montagnes neuchâteloises, et fèves de cacao, qui rappellent les débuts de l’industrie du chocolat. Suit la collection Carnets de voyage, dont l’objectif est de mettre en bouteille des odeurs, des ambiances, de distiller des émotions. Ce périple en quatre gins commence à Paris, où rose, violette et bergamote rappellent les codes des parfumeurs emblématiques de la capitale, passe par Oslo, avec un alcool fumé et construit comme un gravlax, contenant des algues, de l’eau salée, du citron et de l’aneth, et par la Suisse, notamment évoquée par l’edelweiss et les notes de foin coupé.

Avec Larusée, on s’envole aussi à la découverte de l’exubérance de Bali. Cannelle, pandan, galanga, piment, fruit du dragon donnent son âme à ce spiritueux. «En dégustant Carnets de voyage: Bali, on a l’impression d’être transporté sur cette île», assure Sergio Sepulcri, à qui incombe la tâche de le distiller, comme tous les autres, dans un «pot still», un alambic à l’ancienne, alimenté en électricité verte. «On prépare le mélange de baies de genièvre et de plantes qu’on place dans un panier puis on le plonge dans un mélange d’alcool et d’eau versé dans l’alambic, et on laisse infuser à froid toute la nuit. Tôt le matin, on l’allume, avec tous les ingrédients à l’intérieur, et deux heures après le gin commence à couler. Pour le Bali, on ajoute ensuite une teinture-mère de fleur d’hibiscus qui le colore légèrement.» Et le voyage peut commencer…

>> Pour en savoir plus: www.larusee.com


«Nous produisons des alcools avec une identité très forte, très aromatiques»

Bastien Tararan et Etienne Rat-Patron, Distillerie du Léman, Assens (VD)
Bastien Tararan, Etienne Rat-Patron et leur complice Michael Kuszla

Bastien Tararan, Etienne Rat-Patron et leur complice Michael Kuszla, qui dessine les superbes étiquettes, avec leur alambic de 150 litres qu’ils sortent devant leur local pour distiller en plein air gins, absinthes et autres spiritueux. Ensuite, la mise en bouteilles se fait à la main.

François Wavre/lundi13

Le gin La Pive a été conçu lors d’une randonnée. «Dans la forêt, à 2000m d’altitude, j’ai remarqué qu’avec la chaleur du soleil les aiguilles de mélèze sur le sol et les rhododendrons produisaient une odeur très agréable. Au même moment, j’ai vu un genévrier, dont les baies sont un élément essentiel du gin», raconte Bastien Tararan. Quelque temps auparavant, il était allé au Val-de-Travers découvrir les secrets de fabrication de l’absinthe. Si ses tests pour en distiller dans sa cuisine s’étaient révélés concluants au dire de ses amis, son gin, lui, n’avait pas tenu ses promesses. Mais lorsqu’il imagine un «gin forestier» en s’inspirant de son expérience olfactive, il fait mouche. Avec deux potes ayant travaillé comme lui dans l’univers du café de spécialité, il crée la Distillerie du Léman, désormais installée à Assens, dans le canton de Vaud. Le 27 mars 2021, les premières bouteilles de gin La Pive sont prêtes.

Comme le précise son complice Etienne Rat-Patron, ils cueillent les baies de genévrier sauvage à la main, sont en contact avec des bûcherons pour ramasser les branches d’épicéa dont ils utiliseront les aiguilles et cultivent la majorité des plantes composant leur recette, notamment sarriette, romarin, menthes et sauge sclarée. Tout cela fait partie de l’ADN de la Distillerie du Léman. Après macération des ingrédients, qu’on appelle des «botaniques», dans de l’éthanol suisse (produit à Aarberg à partir de mélasse, un sous-produit de la fabrication du sucre de betterave), la distillation, au bain-marie, se fait au feu de bois dans leur grand alambic monté sur roulettes, surnommé Gibbon. Le petit qui sert aux tests a, lui, été baptisé Ouistiti.

«Nous produisons des alcools avec une identité très forte, très aromatiques», précisent Bastien et Etienne de concert. Leur second gin a aussi de quoi surprendre. «C’était une idée à la con au départ», avoue Bastien. Mais au final, l’alliance de fèves de cacao torréfiées, de gousses de vanille fraîches de Madagascar, de fèves tonka et d’une lichette de lait gruérien avec les baies de genévrier fait du ChocoGin une expérience gustative aussi gourmande qu’intéressante.

>> Pour en savoir plus: distillerieduleman.ch


«Ce qui me passionne vraiment, c’est d’imaginer des recettes, pas de distiller»

Martin Rihs, Distillerie Belmont, Montagny-la-Ville (FR)
Les deux alambics de 150 et 250 litres devant lesquels pose Martin Rihs sont alimentés au gaz

Les deux alambics de 150 et 250 litres devant lesquels pose Martin Rihs sont alimentés au gaz. Une fois le gin distillé, il est placé dans des dames-jeannes avant d’être mis en bouteilles et étiqueté à la main, en famille.

François Wavre/lundi13

Si Martin Rihs était un gin, ses ingrédients seraient l’hyperactivité, la curiosité, la chaleur humaine, la polyvalence et la passion. Lorsque ce touche-à-tout – de l’enseignement à l’élevage de poules pondeuses, en passant par l’arboriculture, le journalisme, l’immobilier et la création de start-up – fait ce que tout le monde pense être un burn-out, sa psy lui conseille de se trouver un hobby. Après avoir acheté un bateau pour la pêche, il décide de se mettre à distiller, au grand dam de sa thérapeute. Au final, les symptômes étaient ceux d’une maladie, l’hémochromatose génétique, mais la passion pour la distillation est restée.

Après s’être fait la main avec des eaux-de-vie, il imagine le Dahlia’s Delight aux pétales de dahlia. Pas tout à fait un gin, mais pas loin. «J’ai découvert un univers sans fin. Ce qui me passionne vraiment, c’est d’imaginer des recettes, pas de distiller, assure Martin. Créer un gin, c’est un peu comme jouer avec des Lego; on peut construire un château, un bateau, une voiture…» Les Lego, ici, sont la soixantaine de «botaniques» dont il dispose et que l’on peut assembler de milliers de façons: fleurs de camomille, de sureau et de lavande, aiguilles de sapin, écorces d’orange amère et de cacao, poivre du Sichuan, feuilles de mélisse, fèves tonka, racines de réglisse et d’angélique, cumin ou encore fenouil. Lors de ses ateliers à Montagny-la-Ville, des groupes d’amateurs peuvent d’ailleurs, avec son aide, composer leur propre recette puis le voir distiller. A la clé, pour chacun, une bouteille de leur gin 100% original.

La collection des Skull Gins de la Distillerie Belmont, aux étiquettes avec des têtes de mort, a de quoi surprendre. Comme l’alcool produit avec les pommes de ses vergers n’était pas assez neutre et donnait trop de goût à son Red Skull, Martin Rihs crée un White Skull plus passe-partout, très agrumé, à base d’éthanol, distillé au bain-marie dans ses alambics. Il imagine aussi le Skull’s Roses, une déclinaison de son White Skull dans lequel, après la distillation, il plonge des pétales de rose séchés et moulus. Pendant quinze secondes, pas plus, sinon, ça vire au savonneux. Sans oublier un Creepy Santa Gin parfumé à la cannelle et aux zestes d’orange, décoré de son Père Noël gore. Mortel, non?

>> Pour en savoir plus: www.skull-gin.ch


«J’avais envie d’un gin plus floral, plus frais, plus fou et ChatGPT m’a proposé une recette intéressante»

Romain Wanner, Distillerie Wanner, Couvet (NE)
Les absinthes, gins et liqueurs de Romain Wanner sont distillés dans un alambic électrique de 150 litres

Les absinthes, gins et liqueurs de Romain Wanner sont distillés dans un alambic électrique de 150 litres. Le safran aromatise et colore une petite quantité du gin durant sept jours avant d’être mélangé au reste de la production pour devenir le 1064.

François Wavre/lundi13

A Couvet, au Val-de-Travers, c’est dans ce qui était autrefois un magasin de fruits et légumes tenu par son arrière-grand-mère, et repris par ses grands-parents, que Romain Wanner distille. Enfant, son père, René, livrait les commissions, notamment à ceux qui produisaient de l’absinthe en toute illégalité et qui lui donnaient 10 centimes pour garder le secret. Il n’a jamais vendu la mèche et, comble de l’ironie, est devenu policier à Genève. A sa retraite, il a monté la distillerie Absintissimo, collectant une trentaine de recettes de fée verte auprès d’anciens distillateurs clandestins du coin, créant une vingtaine de spiritueux et remportant 180 médailles dans divers concours.

Romain a repris le flambeau il y a trois ans, resserrant la gamme, repensant les étiquettes, rebaptisant la petite distillerie. Le Dry Gin 29 imaginé par son père, ainsi nommé en hom-mage aux 29 botaniques qui le composaient, a aussi pris un coup de jeune, avec l’aide de l’intelligence artificielle. «J’avais envie d’un gin plus floral, plus frais, plus fou et, lors d’une conversation avec ChatGPT, il m’a proposé une recette fantasque, mais intéressante; je l’ai retravaillée et j’ai redimensionné les quantités, notamment celle des pétales de rose.» La réglisse et la racine d’iris, ingrédients auxquels il n’aurait pas pensé, apportent un plus. La lavande, l’hibiscus et la camomille complètent le délicat assemblage de 13 botaniques. Le 29 bis est né! Pour ne pas jeter les 1000 étiquettes du 29 qu’il venait de commander, il a simplement indiqué qu’il s’agissait d’une nouvelle recette.

«Avant de faire macérer les plantes séchées dans de l’éthanol suisse, je les goûte pour m’assurer de leur qualité», explique celui qui a suivi une formation de cuisinier, avant de bifurquer vers le journalisme, puis la distillation, et reconnaît être «plus sensible aux saveurs des botaniques» que son papa. Ensuite, l’alambic fait le reste. Pour son gin au safran, nommé 1064 (le code de la couleur safran chez Pantone), l’or rouge est cultivé à Genève. L’épice est plongée dans 2 litres du gin déjà distillé où elle met une semaine à exhaler tous ses arômes, puis le liquide désormais coloré est mélangé au reste du gin. Après un temps de repos, la mise en bouteilles et l’étiquetage se font à la main.

>> Plus d'infos sur: distillerie-wanner.ch

Par Olaya Gonzalez publié le 2 août 2024 - 12:55