A peine sorti d’une opération visant à corriger une hypertrophie bénigne de la prostate et après dix-sept mois de règne, Charles III, 75 ans, fait face à un cancer. «Une sorte de cancer», précise le communiqué émanant de Buckingham Palace. Le mal détecté au cours des récentes analyses est sans lien direct avec la récente intervention. La nouvelle, tombée lundi 5 février à 19 h, a créé un choc et une immense émotion bien au-delà des frontières du Royaume-Uni. Véritable numéro d’équilibriste, supposée jouer la transparence, l’annonce précise que «tout au long de cette période, Sa Majesté continuera à s’occuper des affaires d’Etat et des formalités administratives comme d’habitude», mais elle a des conséquences pratiques sur le fonctionnement de la monarchie et ses relais.
La veille de la déclaration, Charles III est apparu au bras de la reine Camilla, après le culte en l’église Sainte-Marie-Madeleine, à Sandringham, non loin de sa résidence de campagne où il s’est mis au vert et, entre des séances de traitement, à la marche et à l’aquarelle. Le couple, moins enjoué qu’à l’ordinaire, connaissait déjà l’existence de la maladie. Pour la monarchie, système séculaire, rodé, préparé au pire, l’alerte est sérieuse. En choisissant de rompre avec l’opacité entretenue par Elisabeth II à propos de la santé du souverain, son fils incite ses sujets au dépistage, s’attire la sympathie de l’opinion en sous-entendant «je suis comme vous», rapprochant ainsi la monarchie du peuple britannique. N’ayant guère le choix, il a fait d’une infortune un triple avantage. En rompant le silence, il a présenté ses sincères remerciements à la nation.
Si le monarque est le vivant symbole d’une institution qui se perpétue sans discontinuer, ses acteurs n’en sont pas moins mortels. Il faut une bonne santé pour assurer ce rôle, deux jambes solides pour assumer ses devoirs, de l’entregent, de l’empathie et de l’appétit. L’an dernier, la princesse Anne, championne toutes catégories, a participé à 457 engagements. Véritable pilier de la lignée, elle est à l’œuvre ces derniers jours, mais, à 73 ans, il lui sera difficile d’augmenter la cadence. Reste le discret cadet, Edouard, 59 ans, duc d’Edimbourg, qui, malgré son manque de charisme, met du cœur à l’ouvrage.
Le cercle des membres actifs, les «working royals», payés par le contribuable, a été restreint par la volonté même de Charles III au moment de son accession au trône. Soucieux de réduire le train de vie de la monarchie, il a voulu couper l’herbe sous le pied des républicains. Mais aussi vaillant que soit l’esprit et fort l’attachement, la santé des Windsor n’est pas au beau fixe. Kate, princesse de Galles, 42 ans, atout de la Firme, est convalescente jusqu’à Pâques après une mystérieuse opération de l’abdomen dont Kensington Palace, le 17 janvier dernier, n’a pas révélé la nature exacte. La presse britannique avance l’hypothèse d’une endométriose; la durée de son absence fait penser à une hystérectomie. Sans doute reviendra-t-elle plus populaire que jamais. En attendant, cette situation inédite pèse sur les épaules des «royals» non alités. A commencer par William, 41 ans, premier dans l’ordre de succession au trône et figure la plus populaire d’une famille dysfonctionnelle.
Crainte de l’abdication
Malgré le zèle rassurant de Buckingham, un sentiment d’urgence a prédominé lorsque Harry, cadet rebelle, a fait savoir qu’il quittait précipitamment Los Angeles pour se rendre au chevet de son père. La visite à son royal géniteur a duré moins d’une heure et il est reparti sans croiser son frère aîné auquel il ne parle plus, pas plus que sa belle-sœur souffrante. Le duc de Sussex est hors jeu. On se souvient qu’après avoir claqué la porte du palais, il a accusé les siens de racisme à la télévision américaine, vendu l’intimité de son couple sur la plateforme Netflix et, cerise sur le pudding, publié une autobiographie de 540 pages dans laquelle il dévoile la face cachée, cynique et calculatrice du système monarchique, complice, selon lui, d’une presse tabloïd qu’il abhorre, qu’il combat et qui vient de lui verser un demi-million de dédommagement pour avoir piraté son téléphone. Dans son ouvrage, Harry charge son frère, qu’il décrit jaloux de ses prérogatives. Il ne cache pas l’esprit de compétition qui les anime, né d’un système inique favorisant l’aîné dont il souligne le caractère colérique, parfois violent.
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En cas de malheur, William est-il prêt à régner? Le biographe royal Marc Roche, auteur des «Borgia à Buckingham» (Albin Michel, 2022), en est persuadé. «Il est allé à l’université, il a exercé la fonction de numéro trois, il a eu une formation militaire dans les trois armes. Il s’est marié, a produit un héritier, le prince George, et deux cadets, Charlotte et Louis. Il a été formaté par sa grand-mère, reine conservatrice, et a été influencé par son père, dont il est un intéressant mélange entre modernité et tradition.»
La couronne britannique redoute la maladie mais elle craint plus encore l’abdication. La reine n’a jamais renoncé pendant septante ans, sept mois et deux jours. Il y a deux raisons principales à cela. «C’était une femme très croyante, très pieuse, souligne Marc Roche. Elle a pris très au sérieux son rôle de gouverneur de l’Eglise anglicane et a prêté le serment religieux de servir jusqu’au bout. Elle a été traumatisée par l’abdication de son oncle, Edouard VIII. A ses yeux, cela a fait tomber la monarchie de son piédestal et menacé son existence même. Mais surtout, cela a tué son père adoré, George VI (emporté par un cancer des poumons, ndlr), qui n'était pas prêt à monter sur le trône.»
William à la manœuvre
La reine a traîné derrière elle un successeur mélancolique, héritier vieillissant, qui aurait pu, à 50 ans, faire un monarque plein d’allant, visionnaire, ce qu’il fut en parallèle, à la fois tourné vers l’œcuménisme et l’écologie. Charles ne sera, faute de temps, qu’un roi de transition. Démissionner ne fait, ici, pas partie du vocabulaire, contrairement à la plupart des monarchies européennes. Ainsi, après cinquante-deux ans de règne, Margrethe du Danemark, 84 ans, s’est retirée dignement le 14 janvier dernier. Depuis l’an 2000, partout, du Luxembourg au Cambodge, des Pays-Bas à l’Espagne, de la Belgique au Japon, pas moins de 12 rois, souverains, empereurs, émirs et un pape, Benoît XVI, ont cédé leur place.
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«En théorie, Charles III va vouloir aller au bout de son règne, ajoute Marc Roche. La mort d’Elisabeth II a été, comme celle de Jean-Paul II, douloureuse et il ne faudra pas en arriver là. Et donc, s'il est affaibli mentalement ou physiquement, il est possible qu’il rende la couronne.» Sur la fin, la reine a délégué à ses deux successeurs la totalité de ses prérogatives. Son fils n’en est pas là. Faute de pouvoir recevoir, en audience privée, le premier ministre Rishi Sunak à Buckingham, il s’entretiendra avec lui par téléphone. Cela ne devrait pas durer plus de deux semaines, assure la presse britannique.
Pour exister, le souverain doit être vu. Et, en ces temps de difficultés économiques et de guerre en Europe, il est, plus que jamais, soucieux d’exemplarité. C’est pourquoi il a écarté Andrew, impliqué dans l’affaire Epstein pour avoir eu des relations sexuelles avec Virginia Giuffre, une mineure de 17 ans. Sa désastreuse interview accordée à la BBC en 2019 a scellé sa disgrâce. Cet épisode fait l’objet d’un film attendu sur Netflix au printemps. «Scoop» met en scène Gillian Anderson dans le rôle de la journaliste et Rufus Sewell dans celui du prince pestiféré. Une autre fiction, inspirée par les mêmes faits, sera diffusée, en trois volets, sur Amazon Prime Video.
Selon le «Telegraph», le roi a laissé à William, préoccupé par les soucis de santé de sa femme et de son père, la liberté de «faire passer sa famille avant son devoir». Mercredi 7 février, après vingt jours d’absence, l’aîné a repris du service, le visage cerné et en uniforme, à Windsor, où il a remis des médailles. Le soir même, plus détendu, il était en smoking au gala de la London Air Ambulance, déclarant avec humour: «Il est juste de dire que les dernières semaines ont été plutôt «médicales». Alors j’ai pensé venir à une réception d’ambulance aérienne pour m’évader!» On l’a vu plaisanter aux côtés de Tom Cruise, honorant ceux qui exercent un métier qui fut le sien au sein de la RAF. Will a été pilote de recherche et de sauvetage de 2015 à 2017.
Un dauphin peu mûr, diplomatiquement
Mais quelle est la stature politique de ce fringant quadra au crâne dégarni? Le souverain, malgré ses pouvoirs limités, reste un chef d’Etat informé des affaires du pays. L’expérience du duc de Cambridge n’est pas comparable à celle de son père, encore moins à celle de sa grand-mère qui bénéficia des conseils de Winston Churchill. «William est un peu jeune et peu mûr diplomatiquement, concède Marc Roche. La question est d’autant plus valable que le souverain, aujourd’hui, est entouré, à la cour, d’anciens diplomates, alors que son fils se méfie des experts. Il aime plutôt des gens jeunes, venant d’horizons différents. Il est moins bien entouré que le roi pour mener cette action diplomatique.»
Et William n’a pas encore posé la pierre angulaire de son action, comme le fit à 28 ans le prince Charles avec le Prince’s Trust ou son père, le prince Philip, en 1961, avec ce qui allait devenir le WWF. «William n’a pas vraiment eu le temps ou la volonté de se forger un profil caritatif. Il est en bonne voie. Il a toutefois lancé en 2020 The Earthshot Prize», précise Marc Roche. La cérémonie annuelle désigne cinq entreprises qui luttent contre la crise climatique, chacune empochant la somme de 1 million. «Il est également impliqué dans l’aide au développement en Afrique, actif dans les problèmes liés à la santé mentale et à la diversité.»
Quoi qu’il en soit, Charles III, que l’on dit sentimental, ne tirera pas sa révérence sans avoir réconcilié ses fils. «S’il vous plaît, les garçons, ne faites pas des dernières années de ma vie un enfer», a-t-il exhorté Harry et William en 2019. Entre raison et sentiments, ce sera la tâche la plus difficile de cet homme devenu roi, fidèle à la couronne et «oint du Seigneur», doublé d’un père dont l’attitude vis-à-vis de ses rejetons et de leur mère, la défunte Diana, n’est pas tout à fait étrangère à cette situation délétère. Comme l’écrivait le philosophe et humaniste Montaigne: «Au plus élevé trône du monde, nous ne sommes assis que sur notre cul.»
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