- Comment définiriez-vous la mission de Terre des hommes Valais?
- Philippe Gex: Nous œuvrons dans les aspects les plus fondamentaux de la vie en société. Soigner les enfants, c'est un droit humain évident, dans toutes les religions du monde, et bien sûr dans la charte d'Edmond Kaiser, notre fondateur, écrite bien avant la Convention des droits de l'enfant. Nous ne sommes pas du «charity business» ou une organisation caritative.
- La Maison de Terre des hommes Valais a été ébranlée en début d'année par la fin du partenariat avec une autre entité basée dans le canton de Vaud. Où en est-on aujourd’hui?
- La fondation Terre des hommes à Lausanne – qui travaille dans plus de 30 pays – a décidé de mettre un terme à son programme de soins spécialisés et de transferts d'enfants malades. Ils finançaient des programmes permettant à des enfants de venir chez nous en Valais avant leur opération et/ou pour leur convalescence. Nous avons été mis devant le fait accompli d'une résiliation du partenariat.
- Est-ce qu'il y avait des échanges financiers entre vous et Tdh Lausanne?
- Non, notre ancien partenaire était chargé, à travers des délégations dans les pays, d'identifier des situations d'enfants en attente de soins. Nous prenons en charge les enfants depuis leur arrivée en Suisse jusqu’à leur retour dans leur famille. Les hôpitaux universitaires romands prennent en charge les opérations.
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- La rupture avec Lausanne vous a-t-elle fait perdre de l'argent, comme certains donateurs l'ont craint?
- Non, pas du tout. Nous avons un budget de 4 millions de francs, en croissance car nous avons dû reprendre des activités auparavant gérées par Tdh Lausanne. Nous avons ainsi engagé quatre personnes, notamment pour l'accueil des enfants à l'aéroport. Les hôpitaux nous ont mis à disposition des bureaux à Lausanne et à Genève pour être proches des endroits où sont soignés les enfants. Nous comptons en tout une cinquantaine de collaborateurs, essentiellement basés à Massongex.
- Terre des hommes est une marque qui recoupe différentes entités, quels sont les liens entre elles?
- Terre des hommes est un mouvement lancé par Edmond Kaiser dans les années 60. Il a permis la création de différentes structures. Elles portent un nom commun, mais leur gestion est indépendante. Rien qu'en Suisse, il y a quatre institutions qui portent le nom de Terre des hommes: Tdh Schweiz à Bâle, Tdh Suisse à Genève, la Fondation Tdh à Lausanne et la Fondation Tdh Valais à Massongex. Il existe aussi des structures avec le même nom en France, en Espagne, aux Pays-Bas, par exemple. En tout, de telles entités existent dans une dizaine de pays.
- Comment fonctionnent-elles entre elles?
- Chacune de ces entités, associations ou fondations, est indépendante. Les gouvernances ne s’entrecroisent pas, mais il existe de possibles actions complémentaires.
- Depuis, avez-vous trouvé un nouveau partenaire qui effectue ce travail de détection sur place?
- Oui, Tdh Lausanne nous a présenté la fondation Mécénat Chirurgie Cardiaque (Mécénat), basée à Paris. Avec ce nouveau partenaire ainsi que les HUG et le CHUV, nos partenaires de longue date, nous avons signé de nouvelles conventions. Les premiers enfants transférés par Mécénat sont arrivés le 6 décembre. Mécénat est une association française axée uniquement sur la chirurgie cardiaque. Elle existe depuis vingt-cinq ans et s'occupe d'enfants qui viennent de 70 pays. Les enfants qu’elle transfère sont opérés dans neuf hôpitaux français, et, depuis ce mois de décembre, dans deux hôpitaux suisses qui vont permettre de faire encore mieux face à la très forte demande. Cette association a été fondée par la première femme chirurgienne du cœur de France, la professeure Francine Leca, âgée aujourd'hui de 84 ans. Une personne incroyable qui s'illustre par son engagement dans la cause des enfants.
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- Est-ce qu'il existe des différences d'approche?
- En France, Mécénat place les enfants en famille d'accueil. La Maison les a fortement intéressés, car notre prise en charge est professionnelle et nous disposons d’une grande expérience. Nous leur permettons d’intensifier leur activité, de sauver plus d’enfants, sans devoir démarcher des centaines de nouvelles familles d’accueil.
- Combien d'enfants seront envoyés à Massongex?
- Nous recevrons plus de 150 enfants par an via Mécénat. Cela correspond au nombre d’enfants que nous accueillions via Terre des hommes Lausanne. Nous finançons l’accueil de ces enfants grâce à des dons, des soutiens de particuliers, de fondations, de la Loterie Romande. Nous ne recevons pas de soutien étatique.
- Le problème à plus long terme pour votre secteur n'est-il pas l'approche même de faire soigner des enfants en Europe plutôt que sur place, au risque d'installer les pays aidés dans une dépendance sans fin?
- Ce n'est pas un risque pour nous, mais pour les populations qui ont besoin de nous. Il faut bien sûr développer les compétences sur place. Nous espérons qu'un jour les enfants n'aient plus besoin de nous. Mais tant que la santé des enfants nécessitera des opérations du cœur impossibles à réaliser sur place, nous soutenons que la meilleure solution est le transfert en Suisse. Mais cela n'exclut pas bien sûr le fait qu'il faut soutenir le développement de solutions sur place. Le CHUV et les HUG s’investissent dans le domaine de la formation dans les pays, tout comme notre partenaire Mécénat ou encore la fondation Sentinelles, qui nous confie également des enfants. Il ne s’agit pas de former ou de transférer et soigner ici. Il s’agit de faire les deux simultanément tant que ce sera nécessaire.
- C'est notamment la position de Tdh Lausanne?
- Ils vont privilégier l’action et le développement de solutions sur place, mais elles ne concernent pas les soins spécialisés. Mais il n'y a pas de solution unique à ces problèmes, qui sont très complexes. Il n'y a pas une seule façon de concevoir l'humanitaire. En attendant, si on ne fait rien pour les enfants que nous accueillons à Massongex, ils décèdent. Nous sommes une solution d’urgence. Les efforts de chacun sont complémentaires. Il faut agir à tous les niveaux.
- Avez-vous constaté un changement chez les donateurs suite à ces débats?
- Non, car ils s'identifient à notre mission. Chacun bien sûr nourrit l'espoir que les pays puissent soigner leurs enfants malades sur place. Mais dans les pays où nous intervenons, les soins de pointe sont réservés à une élite, quand ils existent. Pour opérer un enfant du cœur, il faut des infrastructures, beaucoup de personnel spécialisé, des équipements de pointe, un système d'assurance maladie, ou disposer des fonds nécessaires, ce qui est rarissime. Les donateurs qui nous suivent, pour la plupart sur la durée, savent que nous ne sommes pas des idéalistes mais des professionnels de la santé et du social. Notre mission, c'est de sauver les enfants.