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Reportage

La magie du recyclage

Le 4 juillet 2023, la société HVO, basée à Bure (JU), présentait en première mondiale une machine capable de transformer, chaque heure, jusqu’à 600 kg de déchets plastiques non recyclables en carburants propres et immédiatement utilisables! Le tout avec un rendement exceptionnel et sans émissions de CO₂. Où en est-on un an plus tard?

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Claude Etique, producteur de biogaz à Bure (JU)

Producteur de biogaz à Bure (JU), Claude Etique, agriculteur, est obnubilé par le problème des déchets plastiques. Il pose devant le modèle de démonstration de la machine conçue chez HVO SA: une vraie solution à l’échelle d’une entreprise, d’une ville, d’une île. Entre ses mains, la matière première à traiter.

Rolf Neeser

Dans le reconditionnement des matières plastiques, la pyrolyse (voir la définition) est un procédé éprouvé depuis septante ans. La société jurassienne HVO SA, installée à la sortie du village de Bure (JU), pile en face des casernes de l’armée et des blindés, a optimisé cette technologie pour traiter les déchets plastiques non recyclables. «On n’est pas là pour révolutionner le monde», explique d’emblée le duo à la tête de l’entreprise. Modeste. N’empêche…

Leur machine, produite dans le Jura de A à Z, existe en deux modèles permettant de traiter 600 ou 125 kg de plastiques à l’heure. A partir de 1 kg de déchets, elle tire 1 litre de carburant (44% de diesel, 38% de kérosène et 18% d’essence) aussitôt utilisable. «On exploite 85% des déchets plastiques, mais pas le PVC ni le PET. Le premier contient du chlore; quant au second, il est déjà bien recyclé», souligne-t-on chez HVO.

Claude Etique et Samuel Moussa, producteur de biogaz à Bure (JU)

«Tout ce qui compose la machine a été produit dans le Jura, jusqu’aux cartes électroniques», insistent Claude Etique et Samuel Moussa, portant des sacs de copeaux de plastique. Pilotée à distance et avec l’aide de l’IA, la machine HVO est autonome.

Rolf Neeser

En novembre dernier, ses deux codirecteurs, Claude Etique et Samuel Moussa, ont obtenu le Prix de l’innovation 2023 du canton du Jura. Encourageant.

La machine tient dans un seul conteneur. Essentiel pour l’exportation. Une unité s’apprête à partir pour Bora-Bora, à Tahiti. Les Polynésiens figurent parmi les premiers à avoir fait le voyage de Bure. Transformer une pollution envahissante en carburant propre capable de faire tourner une génératrice est un enjeu majeur sur les îles, comme ailleurs.

Le monde croule sous les déchets plastiques. Si la Suisse recycle efficacement le PET, la majeure partie des déchets plastiques finit à l’incinérateur. Absurde. En Chine et en Inde, on remplit d’énormes cuves de déchets, transformés par pyrolyse en une huile noire épaisse exigeant d’être raffinée pour être exploitée. Avec 50% de rendement seulement.

machine HVO

Les tubes en verre du modèle de démonstration où aboutissent en fin de cycle les carburants obtenus après pyrolyse des déchets.

Rolf Neeser

Une ambition jurassienne


Dans le vaste hangar de la société HVO SA, deux machines voisinent avec un automate à boissons des années 1960 relié à une application maison. HVO cherche et innove constamment. Avec bonheur. «Des gens ont déjà essayé de nous attirer à Zoug et à Fribourg, mais cette aventure doit rester jurassienne», confie Claude Etique, 57 ans.

Ce fils d’agriculteur est né à Bure, village frontalier. Il a repris et développé la ferme familiale. «Plus jeune, j’étais plutôt turbulent, avoue-t-il. Je fais du bio depuis douze ans, à grande échelle, et aussi de la méthanisation pour du biogaz, en Suisse et en France. Ce qui m’intéresse, c’est de valoriser durablement les matières organiques produites ici. Les politiques en causent. Moi, je concrétise.»

Son franc-parler ne lui a pas valu que des amis. Tant pis. «Il y a près de cinq ans, je songeais à pyrolyser du bois quand j’ai rencontré Sam (Samuel Moussa, ndlr), chercheur en thermodynamique qui m’en a dissuadé. Il m’a parlé d’une machine de sa conception capable de fabriquer du plastique vertueux. J’ai accroché.»

Samuel Moussa, c’est l’ingénieur. Né en 1968, ce solide Toulousain d’origine passé par Lyon a débarqué en Ajoie grâce à des copains. Il a derrière lui trente ans de recherche et développement en thermodynamique. «Le principe de notre machine est le même que celui d’une raffinerie, version mobile. La différence, c’est qu’on part de plastiques, pas de brut. Avec ma formule, la machine va séparer les molécules de carbone et d’hydrogène constituant la chaîne d’éléments propre à chaque type de plastique. Une fois le cracking effectué, on recombine. Ici, on ne fait pas de chimie. On broie, on chauffe, on malaxe, on fractionne, sans émissions de CO2, sans odeurs et sans résidus inutilisables.»

A partir de ballots de déchets plastiques de tous genres, dans un ronronnement tranquille, la machine HVO produit des carburants. «La recherche part de postulats, en l’occurrence recycler des déchets plastiques qui ne l’étaient pas ou alors à un tarif prohibitif, explique Samuel Moussa. Le fil rouge, c’est le déchet. On n’a pas fait une machine à produire des carburants: cet aspect-là, c’est uniquement la résultante.»

En l’écoutant, on songe au sixième continent, cet amas flottant de plastiques qui souille l’Atlantique. La technologie HVO pourrait-elle contribuer à le faire disparaître? «Non, malheureusement, à cause du sel qu’ils contiennent.» Ce ne sont toutefois pas les déchets qui manquent sur la terre ferme. «Il faut avoir voyagé en Afrique pour réaliser l’impact des déchets plastiques sur l’environnement. Au Sénégal, les plages en regorgent. Faute de filière de valorisation, personne ne les collecte», relève Claude Etique, qui sillonne le continent noir depuis vingt ans. Avec son épouse, qui a créé l’association solidaire Espoir pour Eux, ils y ont même adopté leurs enfants. «Pour résoudre le problème des déchets, il faut leur donner une valeur. Si un déchet vaut 1 centime, les gens vont se mettre à le ramasser. Ils ne vont plus le jeter. Le déchet devient un produit. C’est fondamental.»

Comment se fait-il que HVO SA soit à ce point en avance dans le recyclage des plastiques? Samuel Moussa sourit: «Notre machine est truffée de technologies que les autres n’ont pas. Le procédé est continu et il offre des fractions – une spécificité unique. J’insiste sur un point: on ne produit pas 1 kg de carburant, mais bien 1 litre à partir de 1 kg de déchets. Une machine au rendement de 100%, ça n’existe pas.»

Récupérés par ballots, les déchets de plastiques non recyclables sont d’abord broyés – première étape du procédé. Pas besoin de tri. «S’il y a un peu de PVC ou de PET dedans, ce n’est pas grave», insiste Claude Etique. La machine tolère les intrus que le broyeur lamine. «Ces plastiques entrent ensuite dans une vis de préchauffage qui les fait fondre par induction. Une pâte ressemblant à du chewing-gum arrive ensuite dans le réacteur. Autour de 400°C, la vapeur qui s’en dégage est distillée, comme la damassine! En refroidissant, les différents carburants obtenus s’écoulent sans se mélanger.» Epatant.

Des émissaires de Paris


Pour quelle consommation électrique? «Pour produire 1 litre de carburant, il faut 700 à 800 W d’énergie, explique Claude Etique. Sept pour cent du carburant généré par notre machine suffit à la faire tourner.» 

Samuel Moussa reprend la main: «La demande en carburants de synthèse ne va pas faiblir. La pétrochimie allemande nous observe. On a reçu une délégation du gouvernement français. Cela avance bien en France. Les Suisses ne sont pas encore venus, mais ça viendra. Notre essence intéresse même le WRC, autrement dit le monde des rallyes automobiles. Quand on parle biocarburants, le fait de pouvoir indiquer «produit sans émission de CO2» n’est pas anodin.» L’argument est vendeur.

HVO SA a breveté technique et machines. Il faut maintenant que le monde politique légifère et valide les carburants obtenus par ce procédé. La PME reste optimiste, même si l’on n’empiète pas facilement sur le marché des carburants, domaine réservé des Etats. Il s’agit d’être patient. «A terme, on vise la fabrication de quelque 50 machines par an dans le Jura, confie Claude Etique, avec l’idée de nous concentrer, dans nos locaux de Bure, sur l’assemblage. Le marché va décoller, c’est sûr.» D’ici là, il faudra idéalement attirer de nouveaux investisseurs.

«Mon rêve serait que le Jura, canton rural, se libère de son statut de sous-traitant du secteur horloger pour s’affirmer comme un pôle de technologie», conclut Samuel Moussa.

Pyrolyse

La pyrolyse, ou thermolyse, consiste en un traitement thermique reposant sur l’action de la chaleur en atmosphère inerte (sans oxygène). Le procédé permet de décomposer les plastiques pour obtenir de nouveaux produits (solide carboné, huile et gaz) valorisables.

Par Blaise Calame publié le 11 septembre 2024 - 11:17