«C’est pas Angèle?» nous demande-t-on discrètement dans un café du Bourg-de-Four, à Genève, où celle que Le Parisien présente comme la nouvelle chérie de la pop, sans oublier de préciser qu’elle est Suissesse, boit un café en terrasse. Méprise révélatrice. Vêtue d’une combinaison noire unique en son genre, personnalisée, Dr. Martens aux pieds et ongles bleus, Stéphane capte les regards avec ses cheveux peroxydés et, peut-être en effet, sa vague ressemblance avec la Belge Angèle. Sur les radios françaises, «Ma chérie» a été la deuxième chanson la plus diffusée cette année, derrière «Recommence-moi» de Santa. Stéphane est partout. Son deuxième album, «La prison des amoureuses malheureuses», vient de sortir. Il confirme tout le bien qu’on pensait d’elle.
Stéphane figurait parmi les artistes appelés à célébrer les 40 ans de Bercy dans le «Taratata» spécial du 25 octobre, où elle a chanté en duo avec Jenifer. Julien Clerc, que la maman de Stéphane adore, lui avait précédemment confié sa première partie de concert lors de ses dates à l’Olympia. Et le grand Julien n’est pas le seul à aimer la voix grave et légèrement éraillée de la Genevoise qu’elle emmène aussi dans les aigus avec maestria pour chanter l’amour. Pas facile pourtant de se singulariser dans l’univers actuel de la chanson française, encombré d’étoiles filantes.
Dans le ciel de celle que son entourage surnomme simplement Sté (et pas Steph), les planètes sont alignées. L’artiste a fait de sa nationalité suisse un atout en France. «Mon producteur, Jan Frogg, m’a incitée à insister sur cette spécificité et c’est vrai que j’ai été bien accueillie en France. Pourquoi n’y aurait-il pas une vague suisse en parallèle à la déferlante belge? On a toutes et tous ce rêve de laisser une trace, non? Moi, je ne me fixe aucune limite dans ma carrière.» Elle a bien raison. La fortune sourit aux audacieuses.
Adoubée par le milieu
Stéphane fait-elle maintenant partie du «club»? Se sent-elle reconnue par le gratin de la chanson française? «A Bercy, lors du «Taratata» spécial, j’ai eu pour la première fois cette impression en voyant les artistes venir me saluer en coulisses.» Adoubée, en somme.
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Née dans une famille de cinq enfants, Stéphane (son vrai prénom) van Loon, 28 ans, a grandi à Genève, entre Troinex et Carouge, où nous la retrouvons sur la place du Marché. Des parents avocats – sa mère s’est ensuite reconvertie dans la restauration – et mélomanes, qui ont encouragé et soutenu sa carrière artistique. «J’ai la chance d’être très bien entourée, sur le plan privé et professionnel. J’ai beau passer beaucoup de temps à Paris, le repas familial du dimanche à Genève, c’est sacré. Quand je reviens en Suisse, je m’efforce de me ressourcer, de me reposer, mais le week-end dernier, par exemple, pour les besoins d’un tournage pour M6, j’ai dû apprendre la chanson «Ça balance pas mal à Paris» de France Gall et Michel Berger, que je ne connaissais pas. La honte! J’ai direct appelé ma mère pour qu’elle me fasse un topo!» Elle en rigole.
De la place du Marché, direction le Chat Noir, célèbre cabaret carougeois qui, confie Stéphane, accueillait un soir par mois des élèves de l’Ecole des musiques actuelles (EMA), dont elle est sortie diplômée. «J’ai donné au Chat Noir mon premier concert avec mes musiciens», se souvient-elle. La scène est son jardin. «Quand le stress que tu ressens se transforme en adrénaline, c’est vraiment très addictif. Je suis accro aux concerts.» En version live, Stéphane est une diffuseuse d’émotions à l’énergie communicative. Elle est à sa place.
Un (pré)nom singulier
La chanteuse genevoise intrigue avec sa voix aux tonalités graves, proche de celle de l’Américaine Miley Cyrus qu’elle aime écouter. Elle confie que, préadolescente, elle avait un poster d’Avril Lavigne dans sa chambre et écoutait en boucle des groupes comme The Killers, Radiohead, Nada Surf, Foo Fighters, etc., tout en écoutant de la chanson française. «Miley Cyrus est mon artiste préférée, parce que sa musique évolue en même temps que son look. Elle me donne l’impression de ne cesser de grandir. C’est très inspirant. Le look demeure une vraie bataille pour moi. On a mis des années avant de trouver ma coupe de cheveux actuelle, que j’adore. L’identité, c’est essentiel. Sur mes premières photos en tant qu’artiste, j’avais l’air d’une sage petite fille, ce que je ne suis pas du tout! Je me sens bien mieux aujourd’hui, mais mon look va continuer d’évoluer, c’est certain.»
Impossible de faire l’impasse sur son nom d’artiste: ce prénom si singulier que ses parents ont emprunté à l’actrice Stéphane Audran, muse de Claude Chabrol. «Aujourd’hui, je kiffe mon prénom, mais ça n’a pas toujours été le cas, avoue la chanteuse, à cause des remarques répétées des adultes autour du genre. C’était parfois pénible.» Son producteur verra dans ce prénom androgyne un atout précieux, surtout pour chanter l’amour qui prend tant de formes différentes aujourd’hui. Elle a eu la sagesse de l’écouter.
«Dans «Vice Versa», je dis qu’on peut aimer deux personnes différentes dans deux villes, dans «Ma chérie», je parle d’un triangle amoureux où rien ne concorde, où l’on aime quelqu’un qui ne vous aime pas, avec une troisième personne amoureuse de vous alors que vous ne ressentez rien pour elle ou lui. En réalité, je ne chante que l’amour, thématique universelle et si personnelle à la fois. Je me sens bien quand j’écris sur l’amour. Quand il s’agit d’explorer les sentiments, la langue française est plus riche et aussi plus frontale que l’anglais, je trouve. Je me sens légitime d’en parler, pourtant je dois bien l’avouer, j’ignore encore ce qu’est le grand amour.» Stéphane ajoute qu’à l’origine elle écrivait et chantait dans la langue de Shakespeare, avant de bifurquer vers sa langue maternelle, encore sur le conseil de son producteur, décidément un homme avisé. Dans de petits carnets qu’elle emmène un peu partout, elle griffonne et prend des notes. «C’est une discipline d’écrire des chansons», souligne-t-elle.
Une androgynie assumée
Mais revenons à ce prénom qu’elle revendique maintenant haut et fort: l’aide-t-il à affirmer sa propre part de masculinité? «C’est une vraie question pour moi, répond-elle. Je suis convaincue que notre prénom fait notre personnalité. Du coup, mon prénom étant épicène, ma personnalité l’est aussi. J’assume pleinement mon côté masculin.»
Sa personnalité rayonnante et son plaisir à partager, à rencontrer d’autres gens font de Stéphane une figure rare. D’une sincérité rare en entretien, la chanteuse genevoise n’esquive aucune question et répond sans calcul. Spontanée. Rayonnante. Elle vit un moment magnifique en termes de reconnaissance et s’efforce d’en profiter. Seule? Elle qui parle tant d’amour, est-elle amoureuse? «Il y a une petite année, je suis enfin sortie des histoires bancales et chaotiques qui m’ont inspiré cet album, «La prison des amoureuses malheureuses», et oui, j’ai rencontré quelqu’un.»
En marchant dans Carouge, on disserte avec elle sur la difficulté des jeunes à faire de vraies rencontres aujourd’hui, à l’heure du tout numérique et des applis spécialisées. Une rencontre, c’est précisément l’inverse du truc arrangé par une appli, qui revient métaphoriquement à «spoiler» le contenu du film ou de la série qu’on va voir. Stéphane en convient.
Cette voix si particulière qui la caractérise, elle raconte l’avoir découverte à l’âge de 8 ans. «On m’a offert une machine à karaoké, où je pouvais m’enregistrer, et je l’avoue, au risque de paraître prétentieuse, je suis tombée amoureuse de ma voix. Il s’est passé un truc.» Un premier déclic, suivi d’un deuxième en écoutant deux ans plus tard la version mythique du «Hallelujah» de Leonard Coen par Jeff Buckley, «avec cette fantastique intro à la guitare». Stéphane convainc ses parents de lui offrir des cours.
La voici maintenant de retour à l’Ecole des musiques actuelles (ancienne ETM), installée à l’ombre de la tour de la RTS, où Stéphane a appris le métier d’artiste, tout en étudiant le chant, la guitare et le solfège. On s’étonne qu’elle n’y ait lié aucune amitié durable avec des camarades de volée. Elle se justifie: «Je n’étais pas venue dans cette école pour rigoler ou me faire des ami(e)s, même si certains profs le sont devenus. J’étais dans mon truc. La première à avoir décelé quelque chose chez moi, c’est Ingrid Wildemann, ma prof de chant. Mon prof de guitare aussi a cru en moi. Je leur serai à jamais reconnaissante.»
Elle exprime aussi sa gratitude aux artistes confirmés, Florent Pagny en tête, Vianney ou encore le groupe Kyo, pour lui avoir permis d’acquérir de l’expérience en lui offrant leur première partie. «C’est un gros défi de convaincre des gens qui ne sont pas venus pour toi», relève-t-elle. Pas simple en effet.
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Bosseuse et ponctuelle
Dans les couloirs de l’EMA, Stéphane croise le directeur, Stefano Saccon. «Ça va la star?» lui lance-t-il tout sourire. Ce saxophoniste émérite n’est pas tellement surpris par la réussite de son ancienne élève. «Elle a du talent, une personnalité forte et le sens du travail», observe-t-il. «Je suis très sérieuse dans le travail, c’est mon côté suisse, avec la ponctualité», confirme-t-elle en riant. «Des musiciens talentueux, j’en ai connu de nombreux, reprend le directeur de l’EMA, mais souvent, ils ont un baobab dans la main. C’est le problème.»
Stéphane est une bosseuse, on l’aura compris, même si elle répète n’avoir «jamais l’impression de travailler». «J’avais des armes en arrivant à l’EMA, mais c’est ici que j’ai appris à chanter, à respirer, à appréhender la scène. C’est aussi ici qu’est née ma première chanson, intitulée «Nouveau départ.» La chanteuse se rappelle aussi ce fameux soir où l’EMA accueillait sur scène le guitariste légendaire Paul Gilbert. «Je travaillais au bar, où je faisais mal des hot-dogs, quand mon producteur, Jan Frogg, est venu m’annoncer que j’allais signer mon premier contrat. J’étais aux anges.»
Dans le contexte hyper-anxiogène de cette fin 2024, où la peur du lendemain fragilise beaucoup de gens, les chansons de Stéphane résonnent en nous et font du bien. En a-t-elle conscience? «Franchement, si je parviens à générer du positif avec mes textes et ma voix en touchant les gens au ventre, qui pour moi est le siège des émotions les plus fortes, ce serait la consécration.»
Bien entourée, la Genevoise Stéphane construit sa carrière patiemment, comme une maison, brique après brique. Depuis la sortie en 2021 de «Douleur je fuis», son premier single, les choses ont progressé de façon linéaire. «Ma carrière est très saine. Je monte une marche après l’autre. J’apprends tous les jours, en m’efforçant de préserver ce que j’ai en moi. Julien Doré, avec lequel je me suis retrouvée à papoter lors d’une pause clope sur mon tout premier plateau radio, m’avait soufflé trois conseils précieux: «Reste toi-même le plus longtemps possible, ne t’empêche jamais de faire ce dont tu as envie et garde auprès de toi les gens en qui tu as entièrement confiance.» Elle s’y tient mordicus. Avec bonheur.