La plus ancienne compétition sportive de l’histoire est, dans son évolution récente, un fidèle reflet du siècle en cours. Quand, en 2003, Alinghi relevait son insolent pari, celui d’arracher la Coupe de l’America aux détenteurs du trophée, les très chauvins Néo-Zélandais, sur leur propre plan d’eau d’Auckland, internet était encore un outil marginal, le smartphone n’était même pas inventé et l’intelligence artificielle (IA) avait le QI d’une huître. Et les bateaux d’alors traînaient leur coque dodue moins vite que les poissons et leurs équipages portaient shorts et casquettes comme de braves plaisanciers.
Vingt et un ans plus tard, les voiliers en compétition, truffés de capteurs, ont été dessinés avec l’aide d’une intelligence artificielle surpuissante, ils extirpent leurs 7 tonnes de l’eau pour foncer jusqu’à cinq fois plus vite que le vent et leurs pilotes disposent d’écrans d’ordinateur pour maîtriser les cabrioles de ces grosses bêtes aguillées sur leurs patinettes. Quant à la moitié la plus musclée de l’équipage, elle pédale pour produire l’énergie nécessaire aux manœuvres.
Cette fuite en avant technologique fait écho à celle qui rythme pour le meilleur et pour le pire nos petites vies quotidiennes, nos journées scandées par les stimuli des écrans et par la sempiternelle corvée de leur recharge. Durant cinq mille ans, la navigation à voile n’a pas fondamentalement évolué: une coque, un mât, une voile ou deux, un gouvernail et larguez les amarres. C’est fini, tout ça. L’America est morte, vive l’Amer-IA! Une bagarre à plus de 100 millions de francs pour les équipes les mieux dotées comme celle d’Alinghi Red Bull Racing, une naumachie frénétique menée par des marins-gladiateurs casqués, harnachés et épaulés par des cerveaux de silicium. Ce spectacle postmoderne va nous faire sécréter des litres de dopamine.
Et que les puristes de la voile se consolent: du 28 juillet au 7 août prochain, Maud Jayet, Sébastien Schneiter et Arno de Planta, Yves Mermod et Maja Siegenthaler se battront à Marseille dans le cadre des Jeux olympiques de Paris, sur des dériveurs de série. Au classement des médailles en voile depuis les Jeux de 1900 à Paris, la Suisse, en dépit de ses lacs et de sa longue tradition de régatiers, ne pointe qu’au 25e rang avec quatre médailles dont une seule d’or. Autant dire que ramener la moindre breloque de Marseille aura presque le poids de la mythique aiguière d’argent.
Au menu de «L'illustré-TV8» disponible dès ce mercredi 10 juillet en kiosque:
- Voile: Un champion cycliste pédale pour Alinghi et vise la Coupe de l’America
- Guide: Douze expos à découvrir en pleine nature, à travers la Suisse
- La couverture: Jean-Marc Richard évoque Nemo, sa retraite et son rôle de proche aidant
- Vécu: Un médecin vaudois intronisé par les plus hautes autorités du taoïsme
- Euro 2024: De Yakin à Ndoye, la Nati a fait vibrer tout le pays. Récit de notre envoyé spécial
- Société: Le drame de deux fillettes abusées au sein d’une fanfare en Valais
- Reportage: Une nuit au cœur du nouveau local d’injection de Lausanne