Danitsa, ce n’est pas qu’un nom d’artiste, c’est aussi le deuxième prénom de Shanna, Genevoise d’adoption née à Paris en 1994, issue d’un métissage de multiples origines entre le Congo, la Serbie, le Tchad ou encore l’Espagne. Une diversité qui se retrouve dans sa musique: ce n’est pas du rap, comme la chanteuse aime à le préciser, mais un melting-pot de soul, de hip-hop, de jazz ou encore de reggae. Révélée par son premier album, «Ego», récompensé par un Swiss Music Award en 2017, Danitsa a passé un nouveau cap cette année 2021 en signant sur le prestigieux label Island Records, filiale d’Universal Music. La jeune artiste se lance désormais le défi de la confirmation avec un nouvel album de 13 titres qu’elle a enregistré aux quatre coins du monde. Rencontre avec une jeune femme pétillante, humble et pourtant pleine d’assurance, toujours entourée de son équipe artistique où l’excentricité et le goût du style brillent.
- Dans la vie de tous les jours, qui est Danitsa?
- Danitsa: Micheline (rires)! C’est comme ça qu’on m’appelle. En fait, mes parents s’appelaient entre eux et pour rire Michel et Micheline et, du coup, quand j’étais petite, j’ai grandi avec ces surnoms. Et ils m’appelaient comme ça aussi. Ensuite, j’ai commencé à utiliser ce surnom dans mon entourage, toutes les personnes que j’aime, ce sont un peu des Michel et des Micheline! Micheline, c’est aussi un personnage, c’est la déconnade, des blagues parfois pas drôles. C’est mon caractère, je suis quelqu’un qui rigole beaucoup et tout le temps. Je me considère comme un cycle, à travers la journée, je passe par diverses émotions, beaucoup de joie, de déception, de stress et de peur, qui sont générés aussi avec cet album. Mais j’essaie toujours d’être positive.
- Votre premier album, «Ego», est sorti en 2017. Pour vous, il s’agissait d’un test musical réussi. Quatre ans après, vous sortez «Sycle». Vous êtes-vous enfin trouvée en tant qu’artiste?
- Toujours pas. Certains artistes trouvent leur style au bout du premier son. Moi, ça fait seize ans que je fais de la musique et ça fait seize ans que je n’arrive toujours pas à trouver un nom à ce que je fais. En fait, il y a quelques mois, j’ai commencé à appeler cela «couteau suisse». J’ai plusieurs couteaux, qui sont plusieurs identités. Je peux porter chaque peau ou chaque cape comme je le souhaite. A travers ce nouvel album, j’ai essayé d’être libre sans rentrer dans des genres particuliers, mais plutôt de les fusionner.
- Vous entourer de vos proches, c’est votre marque de fabrique?
- Complètement. Ce sont comme des soldats en qui j’ai confiance. Danitsa, c’est toute une équipe qui contribue à créer l’image et la musique de Danitsa. Je ne suis pas toute seule. Il y a des producteurs, des créatifs, du management, sans oublier le styling avec la coiffure et le maquillage. Toutes ces personnes créent qui je suis. Ma manageuse, Qendi, est une très bonne amie de mon frère, et c’est lui qui m’a recommandé de travailler avec elle. Depuis un peu plus d’une année, je me suis aussi entourée de Brutus la biche, ma directrice artistique, qui m’avait aussi été conseillée par une amie. Nous formons à trois le noyau solide du projet Danitsa.
- Et quel est le rôle de votre famille?
- C’est une famille de musiciens. Mon grand-père était chanteur et mon père a pris le relais en devenant musicien, producteur et ingénieur du son à la télé. C’est un puriste du reggae, il adore aussi le dub, le ska… On est aussi allé une vingtaine de fois en Jamaïque, donc j’ai grandi dans les studios d’enregistrement et sur les scènes avec mon père. Ma mère n’est pas musicienne, mais elle m’a toujours encouragée. Lorsqu’elle a vu que je m’intéressais à la musique étant enfant, elle a décidé de m’inscrire au conservatoire Georges Bizet, à Paris. J’ai alors fait partie d’une chorale, j’ai joué du piano pendant dix ans et j’ai appris le solfège. J’ai aussi participé à des comédies musicales. Et c’est d’ailleurs ma mère qui a insisté auprès de mon père pour qu’il m’enregistre. J’avais 10 ans, et nous avons coécrit mon premier morceau, «C’est le soleil», qui est disponible sur les plateformes d’écoute. Dernièrement, j’ai reçu mon premier disque d’or. Mes parents se baladent limite avec ce disque à la main tellement ils sont fiers! J’ai aussi un frère et une sœur qui me soutiennent et m’aident. C’est un plaisir d’être entourée des siens en toutes circonstances.
Danitsa a écrit son premier titre en français
- A quel moment avez-vous décidé de vous lancer dans la musique?
- Je ne me suis pas posé la question avant la sortie de mon premier album. J’avais déjà réalisé des EP et des «mixtapes», mais je ne me considérais pas encore comme une professionnelle. Par contre, quand «Ego» est sorti, le 24 novembre 2017, j’ai dû faire un choix. Je travaillais dans un café en tant que barista et je ne pouvais pas me scinder en deux entre les plannings horaires et les concerts qui commençaient à se multiplier. J’ai donc pris la décision de démissionner, mais ça a été très difficile. Pendant un mois, j’ai fait une sorte de burn-out. Je ne savais pas si j’allais pouvoir vivre et avoir assez de revenus avec ma musique. J’avais préparé cet album pendant deux ans, et toute la pression est redescendue à ce moment-là. Cela a été beaucoup de remises en question et de craintes pour le futur. Mais ce qui m’a aidée à m’en sortir, c’est que j’ai décidé de me mettre au sport et de boire beaucoup d’eau (rires). Plus sérieusement, j’ai aussi gagné un Swiss Music Award et enchaîné sur une tournée de 100 dates, donc je me suis laissé emporter.
- Après quatre ans de carrière professionnelle, vivez-vous de votre métier d’artiste?
- J’ai gagné des revenus grâce à ma tournée, mais je ne peux pas en vivre pleinement actuellement. C’est beaucoup de sacrifices. De nombreuses personnes pensent que j’ai réussi, il existe ce mythe de la star qui a la belle vie, alors qu’il s’agit de beaucoup d’investissement en temps comme en argent. Nous voyageons tout le temps, mais ma manageuse et ma directrice artistique doivent payer leur voyage, tout comme moi. C’est parce que l’on croit énormément au projet et que l’on a envie que ça fonctionne qu’on fait des sacrifices, comme vivre encore chez nos parents.
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- «Sycle», c’est l’album sur lequel vous avez tout misé. C’est l’album de la confirmation?
- J’ai arrêté d’avoir des attentes, car, quand on en a, on est très facilement déçu. J’ai eu hâte de partager ce projet, j’ai beaucoup d’auditeurs qui se réjouissaient de l’écouter après quatre ans d’attente. J’espère que je vais pouvoir faire une belle tournée, pas seulement en Suisse, mais aussi en France, aux Etats-Unis, en Afrique. Je suis prête à attendre encore dix, quinze, vingt ans, car j’adore ce que je fais.
- Vous gardez un ancrage très fort dans votre ville, qu’est-ce qui vous unit à Genève?
- Oui, j’ai écrit un son sur Genève. Un jour j’étais à L.A. et je me suis réveillée à 4 heures du matin en sursaut, j’avais l’impression que c’était la ville qui m’appelait d’un coup, me réveillant dans mon sommeil. Je me dois de remercier cette ville, car Danitsa, l’artiste, est née ici. Je suis arrivée ici à l’âge de 14 ans de Paris, c’est là où j’ai rencontré mes meilleurs amis, là où j’ai enregistré les premiers morceaux qui m’ont fait connaître, sans oublier mes premiers concerts. Genève, c’est une ville qui m’a forgée. C’est une ville que j’aime. Après, il y a des hauts et des bas, bien sûr, mais je suis très reconnaissante envers cette ville.
- Vous avez mis quatre ans pour réaliser votre nouvel album, qu’avez-vous fait pendant ce temps?
- J’avais passé beaucoup de temps en Suisse et c’était le moment pour moi de rencontrer d’autres producteurs, d’autres émotions, d’autres cultures. J’aime le voyage, c’est d’ailleurs quelque chose que j’ai hérité de ma mère. J’ai commencé à enregistrer en 2019 quand je suis partie six mois à Los Angeles avec mon frère. Il m’avait accompagnée sur la tournée grâce à une bourse pour les musiques actuelles octroyée par la ville de Genève et grâce à l’argent gagné lors de la tournée. J’ai enregistré au Red Bull Studio environ 30% de l’album. Après Los Angeles, j’ai continué à enregistrer en Suisse, à Accra au Ghana, à Berlin, à Londres… Chacune de ces périodes correspondait à de nouveaux cycles. Tout cela est une évolution à travers mes voyages et mes découvertes. J’ai décidé de me faire confiance, de ne plus avoir peur, de faire respecter ma vision. Au début, j’avais peur de dire ce que je n’aimais pas, mais maintenant je suis devenue exigeante et je sais ce que je veux. C’est moi la vitrine, au final. Je dois défendre et aimer ma musique jusqu’au bout et c’est pareil pour mon image.
- Cet album, c’était aussi l’album des rencontres?
- Oui, j’ai rencontré énormément d’artistes, de producteurs, de créatifs… C’est forcément inspirant. Le mouvement a créé tout ça. Par exemple, j’ai toujours été impressionnée par la manière de travailler des Américains, ils sont tellement ambitieux. Ils ne lâchent rien et prennent des risques.
- Ces rencontres, vous les avez provoquées ou vous avez attendu qu’elles vous tombent dessus?
- C’est vrai que je suis en général plutôt proactive. J’ai une technique qui consiste à contacter plein d’artistes que j’adore sur Instagram. C’est ce qui s’est passé avec Maverick Sabre, un artiste londonien. Il m’a invitée à faire un duo et, deux ans après, on s’est rencontré à Los Angeles, menant à une première partie de son concert là-bas. Deux titres que l’on a enregistrés ensemble se trouvent sur l’album. La morale de l’histoire, c’est qu’il faut toujours oser, car on ne sait jamais les opportunités que cela peut créer. Je fonce! Quand j’étais à L.A., j’ai envoyé plus de mille messages sur Instagram, à des producteurs, à des artistes pour leur proposer des collaborations.
- Vous avez également signé sur Island Records en 2021, une filiale du prestigieux label Universal Music. Pourtant, vous avez décidé de garder le label de vos débuts à Genève, Evidence Music, en coproduction. C’était une manière de garder les pieds sur terre ou de «rester en famille»?
- On a commencé il y a dix ans ensemble, j’ai réussi à me faire un nom grâce à eux. J’avais 16 ans à l’époque. C’est une relation de confiance et, pour moi, c’était… une évidence (rires) de travailler avec eux. On a commencé ensemble et je pense qu’on finira ensemble. C’est important de les garder dans mon entourage musical. Dans toute carrière, on se pose beaucoup de questions. J’ai mis quatre ans à faire cet album, il y a forcément cette question de changement de label qui a surgi à un moment. Mais le changement me faisait peur, malgré mes recherches, notamment à Londres, je me suis rendu compte que j’étais bien à la maison et, pour moi, cette maison, c’est Evidence.
- Comment avez-vous construit votre personnage de Danitsa?
- Je deviens de plus en plus Danitsa. C’est-à-dire que j’ai Shanna, mon premier prénom, et Danitsa, mon second. Avant, il existait une scission entre qui je suis et mon personnage d’artiste. Désormais, je fusionne. Avec «Ego», j’étais dans l’attaque, alors que, avec «Sycle», je suis davantage dans la douceur. On m’a souvent étiquetée comme une rappeuse, alors que je ne m’identifie pas du tout comme telle. Et avec cet album, on a l’occasion de découvrir un peu plus ma voix. Je suis davantage dans l’authenticité... Je n’ai plus peur de me montrer sans artifices.