On la surnomme King K et la voila, à 21 ans, bombardée plus jeune milliardaire de la planète. Kylie Jenner, tout le monde connaît son nom et son visage. On sait aussi que son compte en banque bien garni est crédité d’une somme estimée à 900 millions de dollars grâce à ses produits cosmétiques. Elle a fait la une du magazine économique Forbes sous le titre rutilant de «Billion dollar baby». Kylie est l’étoile montante du clan Kardashian-Jenner. Au centre de la toile familiale, il y a Kris, née Houghton, 62 ans, la maman manager – les Américains disent momager – une femme d’affaires avisée, un dragon protecteur de ses cinq filles en or.
Il y a trois ans, la figure de proue du clan était Kim Kardashian, 37 ans, épouse du rappeur Kanye West. Désormais, Kylie pèse, en millions de dollars, trois fois plus lourd que son aînée et toutes les autres. Kourtney, 39 ans, et Kloe, 34 ans, deux Kardashian, comme Rob, le frère de 31 ans. Kendall, 22 ans, une Jenner elle aussi, est mannequin. Bruce Jenner, le père de la cadette, est le second mari de Kris. Cet ancien recordman du monde du décathlon, médaillé d’or aux Jeux olympiques de 1976, est devenu Caitlyn en 2015. Désormais animatrice de télé, il a fait sa mue devenant femme jusqu’au bout des ongles. Dans cette galaxie, à la croisée du show et du business, personne ne s’en est étonné.
Complexée par ses lèvres…
L’étrange famille a le goût du bistouri, un génie de la communication et le sens aigu des affaires. Kylie s’est lancée en 2015. Elle était brune, bouclée, le visage un peu rond, elle est désormais blonde et beaucoup plus fine. Elle vend des rouges à lèvres et des produits destinés à les faire gonfler, des fards à paupières et du fond de teint.
Son logo est une bouche rouge dégoulinante, à mi-chemin entre une BD coquine des seventies et l’affiche du Rocky Horror Picture Show. Avant qu’elle ne lance son propre baume, la firme MAC, chez qui elle se fournissait, a connu une rupture de stock mondiale. «J’étais complexée par mes lèvres, dit-elle. Je voulais vraiment donner l’illusion qu’elles étaient plus grosses, alors je les ai soulignées exagérément et les gens ont commencé à être obsédés…»Le sujet étant devenu viral, il fallait créer et lancer sa gamme. La palette des coloris et des textures – liquide brillant à paillettes ou mat dans les tons prune, violette ou bordeaux – a des appellations gourmandes: Poison Berry, Strawberry Cream ou Grape Soda. Les blushs ressemblent à des carrés de chocolat. On y lit en lettres d’or «Take me on Vacation» ou «Send me more Nudes». Sur Instagram, Kylie y ajoute un petit commentaire en utilisant l’adverbe «sooo» pour «tellement». Sa marque de fabrique.
18 millions pour un bébé
Comment expliquer un tel succès? Kylie Jenner est l’une des dix personnalités mondiales les plus suivies sur les réseaux sociaux: elle totalise 114 millions de suiveurs sur Instagram. A ce jour, elle est la plus regardée sur Snapchat et il a suffi qu’elle écrive «Est-ce qu’il y en a d’autres qui n’utilisent plus Snapchat ou il n’y a que moi?» pour que le titre perde 1,3 milliard de dollars en bourse. Devant l’ampleur des dégâts, elle a balancé: «Mais je t’aime toujours Snap, mon premier amour.» Ce qui n’a, loin de là, pas eu l’effet escompté.
A l’heure des courbes rebondies, fesses et hanches volumineuses, des sourcils épais comme des limaces, autant de canons imposés par les Kardashian-Jenner, la petite héroïne de toute une génération vend ses produits, son image et sa vie à des filles dans sa tranche d’âge. Elles ont, statistique à l’appui, entre 18 et 24 ans.
Dans ce vertigineux carrousel, les millions de followers attirent sponsors, marques et contrats publicitaires. Ils génèrent, par leur seule propension à suivre les faits et gestes de leur coqueluche, une somme estimée à 1 million de dollars.
Sur Instagram, les têtes d’affiche du top 10 que sont Selena Gomez (142 millions de suiveurs), Cristiano Ronaldo (141 millions), Beyoncé (117 millions) ou Justin Bieber (102 millions) ne bénéficient pas comme elle d’un programme de télé. Keeping up with the Kardashians, L’incroyable famille Kardashian, a été lancé il y a onze ans. Il fait office de porte-avion familial et a connu pas moins de sept séries dérivées. En dehors, chacune vole de ses propres ailes, construit sa carrière et sa vie. Kylie a démarré sous les projecteurs à 10 ans.
Elle est devenue maman le 1er février 2018 d’une petite Stormi Webster née de ses amours avec le rappeur Travis Scott, 26 ans. La photo du bébé, la plus aimée de l’histoire, a généré plus de 18 millions de likes. Après quelques mois d’abstinence médiatique, une vidéo de 11 minutes postée par la jeune mère sur YouTube a été vue 11 millions de fois en douze heures. Un tsunami 2.0.
Les jeunes filles qui suivent les faits et gestes de Kylie sont elles-mêmes la cible des marques qui tournent autour de l’idole prescriptrice. Il y a Puma, Pepsi ou Adidas, marque pour laquelle Kanye West signe ses modèles. Il a même juré que sa «belle-sœur est 1000% Adidas» et qu’il n’y aurait «pas de Kylie Puma». La jeune égérie l’a fait mentir. Cette brouille familiale – énième buzz – a dopé les ventes des deux marques.
Depuis la parution de Forbes, Kylie suscite le débat. Est-elle une self-made-woman ou seulement une extension de l’empire familial? Les Kardashian-Jenner sont bien nées, certes. Le succès des unes rejaillit sur la carrière des autres avec effet multiplicateur. Les cinq sœurs totalisent 430 millions d’abonnés sur Instagram. Mais Kylie et ses sept employés font la course en tête.
L’autre force tient à la façon dont la matriarche mène son monde et met en scène ses deux plus jeunes filles, pourvoyeuses de dollars. Cela donne de petites vidéos complices à propos de sa coupe de cheveux, par exemple. La scène où Kylie et Kendall décoiffent Mommy a été visionnée 9 813 732 fois.
Pour de nombreux experts en marketing, les Kardashian-Jenner ont créé leur propre modèle publicitaire, dont la singularité est difficilement reproductible. «It’s sooo unique», dirait la baby-milliardaire.