Il arrive avec une heure et demie de retard à notre rendez-vous fixé à son chalet familial à l’orée d’un bois, sur les hauts de Moudon (VD). Logique: un chasseur-cueilleur (même sortant, comme lui, d’une voiture avec un téléphone mobile sur l’oreille) a un rapport au temps plus décontracté que le commun des mortels, sédentaires et post-industriels. Et puis il avoue être submergé par les sollicitations liées à la promotion d’«Expérience Yukon», l’émission de téléréalité qu’il a proposée avec succès à la RTS: deux familles romandes ont relevé le défi consistant à survivre un bon mois, avec l’aide de Kim et de sa petite équipe, au milieu de nulle part, plus précisément dans la province canadienne du Yukon, là où le préhistorien expérimental loue une concession, désormais de la taille de la Romandie (8500 km2!), depuis douze ans et où il vit comme trappeur plusieurs mois par année.
Ce convivial sauvage professionnel a donné du sens à sa vie en mettant en pratique un rapport privilégié à la nature, en partageant l’ancestrale complicité paléolithique avec la communauté du vivant, complicité que la révolution agricole (le néolithique), qui débute il y a dix mille ans, a pratiquement annihilée en la remplaçant par l’approche inverse: l’exploitation du vivant, à commencer par l’exploitation de l’homme par l’homme.
Cet apôtre de la «reconnexion à nos racines sauvages» incarne aussi l’intérêt, voire le respect public croissant pour les 250 000 ans d’humanité d’avant le virage agro-pastoral. La mal nommée «préhistoire» (comme si ces 95% de l’histoire humaine n’étaient, faute de sources écrites, qu’un long et rustique prélude à la brève symphonie de la civilisation) est devenue tendance ces vingt dernières années.
Quant au tout aussi mal nommé «homme des cavernes», caricaturé naguère sous la forme d’un être simiesque, traînant d’une main sa compagne par les cheveux et brandissant de l’autre une massue rustique, ce cliché aussi arrogant qu’ingrat a été tué par la science. Aujourd’hui, des foules de visiteurs se pressent dans les formidables reconstitutions des grottes peintes de Lascaux (-18 000 ans) et de Chauvet (-36 000 ans).
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Une expérience dans le Yukon
La génétique, de son côté, fait parler les os fossilisés de nos ancêtres directs et ceux de nos cousins d’espèces humaines disparues comme les Néandertaliens et les Dénisoviens. Il ne se passe plus une année sans que des découvertes archéologiques apportent un éclairage nouveau ou remettent en question les scénarios décrivant cette immense période où les humains, au nombre de quelques centaines de milliers seulement, n’étaient qu’une espèce vivante parmi des millions d’autres en dépit de son cerveau au potentiel bel et bien inédit.
Autre signe de cette réhabilitation du paléolithique, la RTS diffuse «Expérience Yukon», une sorte d’anti-«Koh-Lanta» en sept épisodes, une aventure non scénarisée et donc garantie 100% authentique. Certes, une pointe de piment d’Espelette dans ce ragoût de porc-épic (une des scènes de cuisine de l’émission) n’aurait pas fait de mal. Mais même si Kim Pasche admet que le résultat de cette expérience tribale est inégal, les deux familles romandes (venant des cantons de Vaud et de Neuchâtel) qui ont relevé le défi d’une vie de chasseur-cueilleur dans le Grand Nord canadien n’en demeurent pas moins attachantes.
Notamment grâce à la fraîcheur des enfants, visiblement les plus heureux de la bande à devoir jouer pour de vrai aux Indiens. «Et ce qui me semble réussi avec cette émission, outre le fait qu’elle exprime de manière diplomatique mon dégoût de la civilisation et de la modernité, c’est de tordre le cou à l’idée qu’il faut être un surhomme de type Mike Horn pour se confronter au monde sauvage. Ce sont en fait des gens normaux, des familles lambda qui vivent dans ce genre d’environnement encore préservé, comme le font les populations autochtones du Yukon.»
A la recherche des Indiens
La fascination de Kim Pasche pour le paléolithique démarre d’ailleurs sur une question d’Indiens: «La bibliothèque de mon grand-père était pleine de livres sur les Indiens. Mais quand j’étais gamin, je trouvais bizarre que nous, ici, à Moudon, nous n’ayons pas nos propres Indiens. Quand je demandais où étaient passés les nôtres, on me répondait vaguement que nous n’en avions jamais eu, que nous, nos ascendants, c’étaient les Celtes. Mais cette réponse ne tempérait pas du tout mon impression de vivre dans un monde qui n’est qu’un jeu mal joué, dans lequel on ne tire pas les fils du réel. En m’orientant vers l’archéologie préhistorienne, j’ai réalisé que nos tribus paléolithiques ont été remplacées par des néolithiques qui ont pris leur territoire, et que nos Indiens ont au fond été exterminés par l’emprise
progressive des cultures sédentaires du néolithique.»
Comme pour exorciser ce vieux génocide culturel, ce «paléontonostalgique» s’est donc consacré à la reconquête de savoirs perdus en fréquentant des populations autochtones. A-t-il parfois l’impression d’habiter la terre de ces ancêtres qu’on entrevoit si bien mais qu’on connaît au fond si mal? «J’en attrape des bribes peut-être, des espèces de surgissements. Cela me fait espérer qu’il n’y a qu’à réveiller le chasseur-cueilleur, le sauvage hors contrôle qui dort en nous.»
Retrouver un équilibre
L’impasse écologique de notre civilisation de 8 milliards de consommateurs émettant – entre autres pollutions – 37 milliards de tonnes de gaz à effet de serre par année, cette impasse, plus d’actualité que jamais, Kim Pasche la constate et la considère bien sûr comme un danger majeur. En revanche ne lui parlez pas d’écologie moderne, celle qui décortique, quantifie, subventionne, compense, gère froidement cette possible fin du monde avec ses réponses technocratiques.
«L’écologie telle qu’elle s’est déployée m’ennuie à mourir, affirme-t-il. Moi, je plaide pour une remise en question de notre manière de vivre ensemble. Ce dont nous avons besoin, selon moi, c’est surtout de cultiver les liens, la famille, la communauté. Et aussi bien sûr les liens avec notre environnement immédiat, celui qui commence au seuil de notre porte. Il s’agit de retrouver un équilibre au lieu de courir après le soi-disant progrès, au lieu de perpétuer cette erreur fondamentale qui consiste à voir le monde comme quelque chose que l’être humain doit constamment améliorer en le domptant.»
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Profitons de cette diversion philosophique pour mieux comprendre la vision du monde et de la vie de ce rebelle en recueillant ses définitions des concepts les plus généraux de la vie. L’époque et le lieu où il aurait aimé vivre? «En Suisse, au mésolithique (c’est-à-dire la fin du paléolithique, ndlr), avant que les agriculteurs arrivent. Cela devait être tellement somptueux cette faune, cette flore juste après la dernière glaciation...» L’expérience la plus marquante? «Celle d’avoir eu des enfants. J’ai été chercher le sauvage très loin. Mais quand ton gamin te hurle dessus, c’est plus fort que tout.»
Le message qu’il aimerait transmettre: «Que le monde n’est pas un problème à résoudre.» Que doit-il approfondir? «Le lâcher-prise.» Le sens de la vie, de l’univers? «Il appartient aux dieux. Aux dieux au pluriel. Car je me considère comme animiste.» Le bonheur? «Pas un objectif mais un thermomètre.» La science? «Elle me passionne. Mais sa prétention à peut-être tout expliquer un jour, à tout savoir, m’ennuie beaucoup. Il faut avoir plus d’égard vis-à-vis
du mystère.»
>> A voir: «Expérience Yukon» tous les vendredis du 26 mai au 7 juillet à 20h10 sur RTS 1.