«Je me trouvais à mon travail lorsque mon fils m’a appelée, complètement paniqué. Il m’a dit qu’un homme avait déjà fait deux allées et venues avec sa voiture dans sa direction, qu’il roulait au pas à sa hauteur et lui demandait d’entrer dans son véhicule. Bien que bouleversée, je l’ai guidé par téléphone jusqu’à une station-service toute proche où il s’est réfugié et où la police, que j’avais prévenue, est venue le chercher.» Un mois et demi après les faits, Silvia* peine encore à gérer son émotion. «On a eu la peur de notre vie. Nous ne sommes pas encore remis. Croiser une voiture grise est toujours traumatisant pour lui», confie la maman de Gabriel, visiblement angoissée. «Au début de l’année, j’ai pris une semaine de congé pour l’accompagner à l’école. Mais je ne veux pas l’étouffer non plus. Hier (ndlr: lundi 17 janvier), il a refait le chemin seul. C’est un garçon timide, introverti, qui ne fait pas son âge.»
Même si les dernières affaires de disparition d’enfant (Sarah Oberson, en 1985) et de meurtres d’adolescents (deux en Valais par le sadique de Romont) remontent à plus de trente-cinq ans, le souvenir de ces terribles drames plane toujours sur le Vieux-Pays. C’est peut-être l’une des raisons qui expliquent le nombre élevé de «comportements suspects envers des enfants», comme les qualifie la police, signalés chaque année dans le canton. Dix-sept en 2021, dont trois entre le 27 octobre et le 9 décembre, dans la région de Saxon et de Martigny. C’est moins qu’en 2019 (24) et surtout qu’en 2020, année où la police en a recensé 30. Des dénonciations qui ont débouché sur deux interpellations en 2021, quatre en 2020 et cinq en 2019. «Parfois, les personnes nient les faits, mais, le plus souvent, elles affirment que leur démarche n’avait rien de malveillant. Sans autres éléments à charge contre elles, l’affaire s’arrête là», détaille Cynthia Zermatten, sergente à l’unité communication et prévention de la police cantonale, en assurant que ces alertes sont toutes traitées avec le plus grand sérieux.
«A chaque fois, une patrouille est dépêchée sur les lieux. Puis la police judiciaire questionne l’enfant, hors de son cercle familial afin qu’il puisse s’exprimer sans être influencé. Lorsque c’est possible, ce sont des personnes de la brigade des mœurs et des mineurs qui s’en chargent», explique la communicante tout en reconnaissant rencontrer pas mal de difficultés à remonter jusqu’aux auteurs. «Malheureusement, les signalements communiqués par les enfants sont souvent lacunaires. Ils se limitent par exemple à «le monsieur avait l’âge de mon papa, des cheveux noirs et une voiture blanche». Sans pouvoir fournir ses données d’immatriculation. De plus, comme il n’y a jamais de contact physique, nous sommes limités par le Code de procédure pénale. Celui-ci n’interdit pas à un adulte de parler à un enfant dans la rue ou de lui proposer des bonbons», rappelle Cynthia Zermatten.
«Nous avons demandé à la banque établie sur le parcours où les faits se sont déroulés de visionner les images de ses caméras de surveillance. Malheureusement, ces dernières ne sont pas dirigées du côté de la route», regrette Silvia, surprise par le peu d’empathie de la police. «Les agents m’ont demandé de sortir de l’appartement pendant qu’ils interrogeaient mon fils. Je leur ai dit que j’étais à disposition s’ils souhaitaient également m’entendre, mais ils n’ont pas donné suite. Depuis ce jour-là, nous n’avons plus reçu la moindre nouvelle», s’étonne-t-elle, précisant qu’elle et Gabriel ont été invités à ne pas trop ébruiter l’affaire pour ne pas créer de psychose. «Une phrase des policiers m’a particulièrement marquée: «On ne sait pas quelle intention réelle avait ce monsieur.» Mais bon sang, qu’est-ce qu’on attend? Qu’il y ait un vrai kidnapping?»
«Je comprends tout à fait ce genre de réaction. Je suis maman moi-même et, comme cette dame, j’aimerais qu’on remue ciel et terre pour retrouver la personne si cela m’arrivait. Pour autant, compte tenu de l’impact des réseaux sociaux et de l’emballement qu’ils génèrent parfois, il n’est pas souhaitable de diffuser des alertes publiques à ce stade. Elles ne feraient qu’alimenter une psychose et susciter une réaction de panique qui n’a pas lieu d’être», estime Cynthia Zermatten, qui se veut rassurante. «Nous sommes tout à fait conscients des traumatismes que ces situations provoquent et les traitons, je le réaffirme, avec toute l’attention et les moyens qu’elles exigent. Mais par souci de ne pas susciter de réactions nuisibles, nous agissons discrètement. Des agents en civil ou embarqués dans des voitures banalisées patrouillent régulièrement aux heures de pointe dans le périmètre des écoles. D’autres opérations de surveillance ont cours, pas forcément visibles par la population. Bien que les dénonciations ne débouchent pas sur des inculpations, elles ne sont pas pour autant rangées aux affaires classées», assure la fonctionnaire, qui a travaillé six ans à la brigade des mineurs.
Interrogée, la police vaudoise indique ne pas vivre une situation aussi préoccupante sur son territoire. «Dans notre canton, à ce jour, fort heureusement, nous ne constatons pas de phénomène similaire à celui dont vous faites référence en Valais», précise Florence Frei, sa porte-parole. Ce qui n’est pas le cas à Genève, où six dénonciations de ce type ont été traitées courant 2021. «Provoquées le plus souvent par des malentendus», selon Silvain Guillaume-Gentil, le chargé de communication de l’institution du bout du lac, exemple à l’appui. «Nous avons interpellé un homme d’une septantaine d’années qui aurait importuné une jeune fille cheminant vers son école. Il s’est avéré que cette dernière rejoignait son établissement sous une pluie battante, sans parapluie, ni vêtements appropriés, et que le monsieur lui proposait gentiment de l’amener avec sa voiture. Au final, l’homme en question était plus choqué que sa présumée victime», rapporte le fonctionnaire, en assurant que ce genre d’épisode n’induit en rien un relâchement de la vigilance des services de police de la République.
* Prénoms d’emprunt, identités connues de la rédaction.