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Politique

Kevin Grangier: la foi et la patrie

Le président de l’UDC Vaud est passé maître dans l’art de la petite phrase qui fait mouche. Et ça marche. La preuve? Nous l’avons rencontré chez lui, à Noville. 

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Kevin Grangier à Noville

Au mur du salon, dans son appartement, deux cadres offerts par son grand-père: «A gauche, les armoiries de La Tour-de-Peilz, ma commune d’origine, et, à droite, les armoiries familiales.» Au-dessous, une réplique du château de Poudlard en Lego construite avec ses enfants.

Julie de Tribolet

«Qu’est-ce que tu as encore dit?» Les deux compères aux prénoms de stars de sitcoms américaines pouffent. Sur la terrasse du restaurant L’Etoile à Noville, on rend compte à Dylan Karlen, président de l’UDC Chablais, des dernières frasques de son ami Kevin Grangier, sur le plateau télévisé de Léman Bleu au mois d’avril. Il faut dire que la prestation du président de l’UDC Vaud n’est pas passée inaperçue. En se déclarant favorable à la légalisation de toutes les drogues, le trublion en a – de prime abord – étonné plus d’un. «Sur ce débat, j'ai voulu sortir d'une posture morale et appréhender la consommation de substances à travers le spectre «liberté-responsabilité», explique le politicien en prenant soin de choisir ses mots. Si vous faites le choix de consommer et que votre état de santé se détériore au point de vous rendre inemployable, eh bien, j’estime que ce n’est pas à la collectivité de payer pour vos choix personnels.» Exit donc les locaux à injection et les mesures d’accompagnement. Il hoche la tête: «On dépense des montants pharaoniques dans la répression qui ne mènent à aucun résultat. Et il faudrait en dépenser davantage pour l’accompagnement? Non. Moi, j’essaie d’être le porte-parole des gens qui tirent la société en avant.» En d’autres termes moins policés, Dylan Karlen résume: «Si tu décides de te droguer, tu assumes. Il ne faut pas compter sur nous pour mettre à disposition des locaux d’injection. Il faut aller au bout de la logique.»

Une amitié au long cours


Les presque quadragénaires sont sur la même longueur d’onde. Et ils l’ont toujours été. Une amitié au long cours qui s’enracine sur cette terre vaudoise, à Noville, petite bourgade de 1200 âmes située à l’embouchure du Rhône, au bout du lac Léman. Voisins, les deux adolescents fondent leur propre parti politique en 2000, l’Union démocratique populaire (UDP), et lancent, dans la foulée, l’organe de presse du parti, «Le Réformateur». «Nos premiers méfaits, on voulait refaire le monde avec ce journal», s’amuse Dylan Karlen en nous tendant quelques reliques conservées précieusement dans des pochettes transparentes.

La première gifle médiatique ne s’est pas fait attendre: «Le rédacteur en chef de «Riviera Chablais» nous avait présentés comme deux extrémistes, faisant l’amalgame entre nous et des individus qui avaient bouté le feu à un centre de requérants en Argovie. J’avais 15 ans, ça a été une claque. Pour les proches aussi, mais c’est formateur», admet Kevin Grangier. Mais pas de quoi freiner ses ardeurs d’adolescent séduit par les idées souverainistes d’un certain Christoph Blocher.

Kevin Grangier et Dylan Kar­len, fondateurs du journal «Le Réformateur»

A l’âge de 15 ans, Kevin Grangier et Dylan Karlen lancent leur journal, «Le Réformateur». En tout, 41 éditions seront publiées.

Julie de Tribolet

Action de sabotage à Expo.02


En mars 2002, il cofonde les Jeunes UDC Vaud en compagnie du futur conseiller national Michaël Buffat. Le jeune Kevin en est persuadé: il y a péril en la demeure (suisse) et celle-ci doit être protégée. «A l’époque, il existait un véritable «Suisse-bashing» (dénigrement, ndlr)», se remémore-t-il. Après le refus de l’adhésion à l’EEE en 1992, la Suisse a ensuite traversé l’affaire des fonds juifs en déshérence. Il aurait fallu qu’elle s’aplatisse pour ses choix politiques durant la Seconde Guerre mondiale. Un «bashing» qui atteint, selon le Chablaisien, son apothéose lors d’Expo.02. «Au nom d’un certain universalisme, les organisateurs avaient interdit la présence de drapeaux suisses le 1er août durant la manifestation. Une tentative schizophrène d'annihiler l’existence de la Suisse tout en affirmant sa place dans le monde.» Alors flanqué de son acolyte Michaël Buffat, il se poste à quelques mètres de l'entrée de l’arteplage à Bienne et distribue 2500 drapeaux suisses. «Liquidés en moins de trente minutes! Aux yeux des organisateurs d’Expo.02, c’était une véritable action de sabotage, j’assume le terme», sourit ce père de trois enfants dont il partage la garde avec son ex-épouse, une amie d’enfance.

Kevin Grangier tenant des drapeaux suisses, clin d’œil à l’une de ses premières actions militantes lors d’Expo.02 à Bienne

Précieux drapeaux, clin d’œil à l’une de ses premières actions militantes lors d’Expo.02 à Bienne.

Julie de Tribolet

L’année précédente, à 15 ans, cet aîné d’une fratrie de trois garçons avait quitté le domicile familial pour entamer son apprentissage de médiamaticien à Sainte-Croix (VD). A 18 ans, premier job et première colocation à Genève. Puis il part faire son école de recrues à Thoune en 2005 et enchaîne avec deux ans d’armée. Il deviendra adjudant-major. Il voit dans son engagement «une forme de devoir patriotique et citoyen qui correspond à [ses] valeurs». Ses deux frères en ont d’ailleurs fait leur métier. «Ce sont de très hauts gradés. Forcément, on parle beaucoup de politique de sécurité à table, bien que je sois le seul de la famille à être engagé au sein de l’UDC. Même si j’ai bien compris que mes frères ne votaient pas à gauche», plaisante-t-il. 

De la patrie au parti


A l’engagement sous les drapeaux succède celui pour le parti. Six années au service du secrétariat central de l’UDC à Berne en tant que porte-parole adjoint, une période d’apprentissage durant laquelle l’adjudant Grangier affûtera ses armes. Puis, en 2014, retour en terres vaudoises comme secrétaire général de la section cantonale de l’UDC. Il présente sa démission en 2017 pour «divergences avec la direction», crée sa société de conseil en relations publiques en 2018 avant de revenir à la présidence de l’UDC Vaud l’année suivante.

«Pugnace», «stratège», parfois «provocateur» sont les adjectifs qui reviennent le plus souvent à la bouche de ses partisans et de ses adversaires pour le qualifier. Habile communicant, Kevin Grangier a œuvré dans l’ombre à l’élection de Guy Parmelin au Conseil fédéral en 2015. On le présente aussi comme l’artisan du succès de l’alliance de la droite qui a renversé la majorité de gauche au Conseil d’Etat vaudois en 2022, même si le candidat de l’UDC, Michaël Buffat, est demeuré aux portes du gouvernement. Ce dernier le dit lui-même: «Sans Kevin, je n’aurais jamais tenu dans cette campagne. Ses conseils politiques sont précieux. Il a toujours un coup d’avance.»

«L’UDC, la voie du bon sens»


Côté revers, on retient la récente acceptation par le peuple de la loi fédérale sur le climat à laquelle lui et son parti s’étaient fermement opposés, l’échec de l’initiative de l’UDC vaudoise contre l’intégrisme religieux (2017). Et un ouvrage, «L’UDC, la voie du bon sens», rédigé sous son pilotage en 2016, dans lequel étaient exposés «les effets dévastateurs» du féminisme, l’utilité de réintroduire dans la loi le «devoir de correction» sur les enfants ou les «carences psychologiques» des têtes blondes placées en crèche. L’ancienne présidente du PS Vaud Jessica Jaccoud s’en souvient encore: «Pour savoir qui est Kevin Grangier, il faut relire ce document rétrograde et ne pas oublier que lui et son parti ont défendu la gifle comme outil d’éducation et estimé que la place de la femme était à la maison.» 

La bibliothèque de Kevin Grangier, président de la section vaudoise de l'UDC

Dans sa bibliothèque, Guillaume Tell côtoie une version de la Bible.

Julie de Tribolet

A 38 ans, Kevin Grangier confie s’être assagi: «Je suis moins dur que par le passé.» Celui qui a été baptisé par le pape Benoît XVI, à l’âge de 26 ans, se ressource en arpentant les chemins de campagne de sa région, parfois avec un chapelet à la main. Les dimanches, il se rend à l’abbaye de Saint-Maurice avec ses enfants. «En politique, il existe une certaine mondanité et une forme d’ivresse du pouvoir, c’est forcément grisant. La foi me permet de me rééquilibrer, d’évacuer le superflu et de m’ancrer.» Sur la terre de son enfance. 

Par Alessia Barbezat publié le 3 juillet 2023 - 08:32