Enfant déjà, Katherine Choong grimpait partout. Aux arbres, aux murs, sur les meubles de la maison. «Je ne tenais pas en place», admet la Jurassienne. Les années ont passé mais cette manie ne l’a pas lâchée. A 27 ans, l’athlète est devenue la première Suissesse à réussir l’exploit de gravir une face de niveau 9a, l’un des degrés de difficulté les plus élevés en escalade, la limite maximale étant pour l’heure fixée à 9c.
Katherine Choong a accompli cette performance le 21 août dernier sur la mythique voie d’escalade Cabane au Canada, au Rawyl, au-dessus de Sion. Une ascension en falaise à 35 mètres de hauteur, avec beaucoup de dévers, des prises rares et très compliquées. «Une ascension extrêmement technique et physique, avec des mouvements très amples sollicitant énormément les bras, sans aucun répit entre les enchaînements. C’était intense et éprouvant», se souvient l’athlète en grimaçant. Ses paumes caleuses et son dos noueux témoignent de ses nombreuses heures suspendue aux parois à la seule force des bras et des jambes.
Grimper au-dessus de l’océan
Katherine Choong raconte ses souvenirs depuis son petit appartement de Moutier. Un deux-pièces logé sous les combles d’un vieil immeuble, plein de charme et de souvenirs de voyages, qu’elle occupe avec Jim Zimmermann, son compagnon, 29 ans, grimpeur lui aussi, rencontré dans une salle d’escalade il y a huit ans.
Ensemble, ils ont conquis les plus belles falaises de la planète lors d’un tour du monde de sept mois en 2015. Des rochers calcaires d’Europe aux faces ocres américaines, en passant par l’Afrique du Sud et l’Asie. Une manière de découvrir de nouveaux horizons à la verticale, loin des foules et de l’agitation touristique. «En Chine, nous avons escaladé d’énormes arches. En Thaïlande, nous grimpions au-dessus de la mer. Au Japon, c’étaient des falaises noires perchées sur l’océan. Un souvenir unique», se rappelle avec émotion Katherine Choong. «Voyager pour grimper, c’est magique, cela permet de découvrir des lieux sauvages et difficilement accessibles.»
Manque de fraîcheur et de montagnes
On comprend alors que la Jurassienne est du genre nature et plutôt hostile aux grandes villes. Son teint mat, ses cheveux lisses de jais et ses yeux en amande racontent ses origines métissées. Italiennes par sa mère, singapouriennes par son père.
Elle n’a visité qu’une seule fois la cité-Etat asiatique. «Un très bon souvenir, parce que j’y ai rencontré ma famille. C’est un bel endroit, très propre. Mais il manque la fraîcheur et les montagnes. C’est une si grande ville...» Une mégapole à mille lieues du calme de son village natal de Glovelier, dans le Jura. Là où s’est forgée sa passion pour l’escalade.
Taillée pour la grimpe
C’est une initiation lors d’un cours de sport à l’âge de 8 ans qui lui donne le virus. L’écolière s’inscrit plus tard au club de Porrentruy, alors dirigé par Carlos Sebastian, son premier entraîneur. «J’ai débuté sur un mur de grimpe minuscule, mais j’avais la chance que Carlos Sebastian nous emmène tous les week-ends dans de belles salles à Berne et à Zurich et sur des falaises en extérieur.»
Katherine Choong montre rapidement des aptitudes pour l’escalade et affiche bientôt un gabarit qui semble taillé sur mesure pour la discipline: 1,58 mètre pour 48 kilos. Un atout. «Le poids est important, parce que chaque kilo doit être soulevé à la force des bras et des jambes. Mais il faut surtout travailler sa musculature.»
De la détente du chimpanzé
Elle raconte avoir observé les chimpanzés au zoo, fascinée par leurs talents de grimpeurs. «J’admire leur façon innée de se déplacer à la verticale. Ils possèdent une détente immense dans les jambes et un équilibre hors du commun.» Pour le reste, l’athlète explique puiser son énergie dans un mental d’acier. «L’escalade exige des nerfs, une grande confiance en soi et en celui qui nous assure 50 mètres plus bas. Pour espérer réaliser une performance en compétition, il ne faut pas avoir à se soucier de sa sécurité, sinon c’est la fin.»
La compétition compte trois disciplines: l’escalade de vitesse, qui consiste à grimper de bas en haut le plus vite possible. Le bloc, soit une succession de mouvements très difficiles réalisés sans corde à environ 2 mètres de hauteur, au-dessus d’un matelas en mousse, qui comporte beaucoup de jetés et de mouvements de coordination. Enfin, l’escalade de difficulté, qui vise à toucher la prise la plus haute possible en un temps maximum de 6 minutes. La spécialité de Katherine Choong.
Sponsors
Première aux Championnats du monde juniors en 2009, puis au classement général en Coupe d’Europe chez les jeunes deux ans plus tard, elle est finaliste en Coupe du monde élite à Kranj, en Slovénie, en 2018. Un palmarès qui ne lui permet toutefois pas de vivre de sa passion. Dans le milieu de la grimpe, les rémunérations sont modestes. Quelques centaines de francs en Coupe de Suisse, environ 3000 francs pour un titre sur le circuit mondial. «Seule une poignée d’athlètes parmi l’élite réussissent à vivre de leur sport», assure Katherine Choong.
Diplômée en droit de l’Université de Neuchâtel, la jeune femme s’en sort grâce au soutien de ses sponsors et à des heures de remplacement comme enseignante à l’école primaire. Jim, lui, a travaillé dans l’horlogerie, puis comme charpentier et constructeur métallique, avant de démarrer une formation de masseur médical. Ses connaissances manuelles lui ont permis d’aménager en camping-car ingénieux le vieux bus parqué devant la maison, dans lequel Katherine et lui partent dès que le temps le leur permet à la conquête de nouvelles parois. A Pâques, le couple a mis le cap sur la Catalogne.
Rêve californien
Mais le rêve de Katherine Choong se situe du côté de la Sierra Nevada, en Californie, dans le célèbre Parc national de Yosemite. Un décor qui inspire la grimpeuse depuis longtemps. «Nous y sommes passés lors de notre voyage en 2015. Hélas, je manquais encore d’expérience dans les big walls. J’espère pouvoir me lancer dans cette aventure-là un jour.»
Pour l’heure, l’athlète vise trois objectifs: conquérir une deuxième paroi 9a, réaliser une grande voie dans les Aiguilles du Midi et se qualifier pour les Championnats du monde de Tokyo en août prochain. A 27 ans, Katherine Choong ne tient décidément pas en place.